Cours d’agriculture (Rozier)/GLACIÈRE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 304-307).
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GLACIÈRE. Bâtiment construit pour y conserver de la glace dans les plus grandes chaleurs de l’été. C’est une espèce de double cône, c’est-à-dire, deux cônes réunis par leur base ; l’un est construit en maçonnerie, & a la pointe en bas, c’est le lieu où on met la glace ; l’autre cône est la couverture en charpente & chaume, dont la pointe est élevée ; l’entrée en est toujours placée au nord, & est formée d’un petit corridor fermé d’une porte à chaque extrémité ; son emplacement est, pour l’ordinaire, dans un bosquet, où elle est entourée d’arbres qui empêchent les rayons du soleil d’y pénétrer. Tels sont, en général, les principes d’après lesquels une glacière doit être construite, nous entrerons tout à l’heure dans de plus grands détails.

Ce n’est pas pour satisfaire la sensualité de ceux qui aiment à boire frais, que je place ici cet article. Je regarde les glacières comme un objet essentiel & du premier besoin, sur-tout dans les provinces méridionales : les chaleurs y sont vives, soutenues & quelquefois accablantes, lorsque les vents du sud & celui que les italiens appellent firoco, règnent pendant quelques jours. On éprouve alors une lassitude, une stupeur dans tous les membres, l’estomac fait avec peine ses fonctions, digère mal, la dyssenterie survient, & souvent elle est épidémique, ainsi que plusieurs autres maladies. La glace & des boissons à la glace redonnent du ton à l’estomac, & tout le système nerveux & musculeux se ressent du bien-être de l’estomac. Avec de la glace on supporte sans peine les plus grandes chaleurs, non pas, ainsi que la majeure partie des hommes le pense, parce qu’elle rafraîchît, mais à cause qu’elle redonne le ton, & remonte tous les ressorts de la machine.

Les glacières offrent encore un avantage bien réel pour ceux qui vivent à la campagne ; c’est la facilité de conserver les viandes & un grand nombre de provisions qui sont corrompues dans la journée même par la trop grande chaleur, & principalement lorsque règnent les vents du sud.

Comme la construction d’une glacière n’entraîne pas à une grande dépense, sur-tout si le local s’y prête, je ne vois pas pourquoi on se priveroit d’un secours qui réunit en même temps l’agréable à l’utile.

Je vais emprunter, de l’Ouvrage intitulé : Nouvelle Maison rustique, les détails de construction ; ils m’ont paru bien présentés, & j’ajouterai ensuite la méthode de quelques pays étrangers, afin que l’on soit dans le cas de choisir la manière qui paroîtra la plus avantageuse.

« On choisit un terrain sec, qui ne soit point ou peu exposé aux rayons du soleil ; on y creuse une fosse ronde, de deux toises ou deux toises & demie de diamètre par le haut, en finissant en bas comme un pain de sucre renversé. La profondeur ordinaire de la fosse est de trois toises ou environ ; plus une glacière est profonde & large, & mieux la glace & la neige s’y conservent. »

» Quand on la creuse, il faut toujours aller en étrécissant par le bas, crainte que la terre ne s’affaisse, il est bon de revêtir cette fosse depuis le bas jusqu’en haut d’un petit mur de moellon de 8 à 10 pouces d’épaisseur, bien enduit de mortier ; & percer dans le fond un puits de deux pieds de large, & de quatre de profondeur, garni d’une grille de fer par-dessus, pour recevoir l’eau qui s’écoule de la glace. Quelques-uns au lieu de ce mur, revêtissent la fosse d’une cloison de charpente garnie de chevrons lattés, & font descendre la charpente jusqu’au bas de la glacière, dans le fond de laquelle ils pratiquent le petit puits pour l’écoulement de l’eau de la glace. D’autres n’y font point de puits, & ne font descendre la charpente que jusqu’aux trois quarts de la glacière, & ménagent à deux ou trois pieds du fond, un bâti de charpente en forme de grille, sous laquelle l’eau s’écoule quand les grandes chaleurs font fondre la glace. »

» Si le terrain où est la glacière est bon & bien ferme, on peut se passer de charpente, & mettre la glace dans le trou sans rien craindre ; c’est une grande épargne ;[1] mais il faut toujours garnir le fond & les côtés de paille. »

» Le dessus de la glacière sera couvert de paille attachée sur une espèce de charpente élevée en pyramide, de manière que le bas de cette ouverture descende jusqu’à terre. »

» La petite allée par où l’on entre dans la glacière regardera le nord, sera longue d’environ huit pieds, large de deux & demi, & fermée soigneusement aux deux bouts par deux portes bien closes. »

» Tout autour de cette couverture, il faut faire en dehors, en terre, une rigole qui aille en pente pour en recevoir les eaux & les éloigner, autrement elles y croupiroient & altéreroient la glace. »

» La glacière ne doit avoir aucun jour, & il faut avoir grand soin d’y bien boucher les trous ; pour la remplir de glace on choisira un jour froid & sec afin que la glace ne se fonde point, autrement il y auroit du danger, car l’humidité de l’air y est fort contraire. Le fond de la glacière sera construit à claire voie par le moyen des pièces de bois qui s’entrecroiseront ; avant que d’y poser la glace, on couvre ce rond d’un lit de paille, & on en couvre tous les côtés en montant, en sorte que la glace ne touche qu’à la paille, & non aux parois des murs. On met donc d’abord un lit de glace sur le fond garni de paille ; plus ces lits sont entassés sans aucun vide, & plus ils se conservent. On bat la glace avec des maillets sur le bord de la glacière avant de l’y jeter, afin qu’elle fasse corps : sur le premier lit de glace, on en met un autre, & ainsi successivement jusqu’au haut de la glacière, sans aucun lit de paille entre ceux de la glace. Pour la bien entasser on la casse avec des mailloches ou avec des têtes de coignée. On jette un peu d’eau de temps en temps, afin de remplir les vides par les petits glaçons ; en sorte que le tout se congelant, fait une masse qu’on est obligé de casser par morceaux pour s’en servir. »

» La glacière pleine, on couvre la glace avec de la grande paille par le haut comme par le bas & par les côtés ; par-dessus cette paille, on met des planches qu’on charge de grosses pierres pour tenir la paille serrée. Il faut fermer la première porte de la glacière, avant d’ouvrir la seconde, afin que l’air extérieur n’y entre point ; en été, il fait fondre la glace pour peu qu’il y pénètre. »

» La neige se conserve aussi bien que la glace dans les glacières. On la ramasse en grosses pelottes, on les bat & on les presse le plus qu’il est possible, on les range & on les accommode dans la glacière de manière qu’il n’y ait point de jour entr’elles, observant de garnir le fond de paille comme pour la glace. Si la neige ne peut pas se serrer & faire un corps, ce qui arrive quand le froid est grand, il faudra jeter un peu d’eau par-dessus, elle se gèlera aussi-tôt avec la neige, & pour lors, il sera aisé de la réduire en masse ; elle se conservera bien mieux dans la glacière, si elle y est pressée & battue & un peu arrosée de temps en temps. Il faut choisir de beaux jours & le temps sec pour la neige, autrement elle se fondroit à mesure qu’on la prendroit. Il ne faut pourtant pas qu’il gèle trop fort, parce qu’on auroit trop de peine à la lever. »

Dans quelques endroits, on élève un double mur autour du cône à deux ou trois pieds de distance, & l’entre-deux de ces murs est rempli d’argile fortement corroyée. Le même lit d’argile & le même mur extérieur règnent également sur le cône supérieur ; c’est doubler la dépense. Il vaut beaucoup mieux recouvrir le cône supérieur & les côtés simplement avec douze ou dix-huit pouces d’argile & jeter par-dessus un à deux pieds de terre ordinaire. Si on n’a pas de l’argile à sa disposition, il faut nécessairement enduire les murs de côté & ceux de la voûte avec un fort ciment, (voyez le mot Mortier) & recouvrir le tout avec beaucoup de terre ; on ne sauroit trop en mettre. Afin que les pluies ne dégradent pas cette terre, on aura soin d’y semer de la graine de foin & la fraîcheur de la glacière maintiendra sa verdure pendant Pété, même dans les provinces méridionales.

En Italie, pour placer les glacières, on choisit les croupes des montagnes escarpées : on y creuse un cône, ainsi qu’il a été dit, & la toiture est formée avec de la paille d’orge.

Si on craint les inondations, la stagnation des eaux, (ce qui dépend du local) il faut bien se garder d’enfoncer le cône en terre, & à plus forte raison le puits d’écoulement ; il faut tout au contraire élever le puits & le cône inférieur au-dessus du sol. La plus grande dépense consistera dans le transport de terre pour recouvrir le tout.

Il est rare que la glace ne fonde pas la première fois qu’on remplira la glacière, à moins que la maçonnerie n’ait eu le temps de sécher avant l’approvisionnement de la glace ; ce qui dépend beaucoup de la qualité de la chaux : mais si on employé la chaux réduite en mortier du moment qu’elle est éteinte & qu’elle a encore toute sa chaleur, elle cristallisera beaucoup plus promptement.


  1. Note du Rédacteur. Je n’aime point ces économies mesquines : un père de famille doit construire avec la plus grande solidité, ou ne point construire du tout. Une poutre du toit pourrit ; on néglige de la remplacer, parce qu’il faudroit enlever la terre, refaire toute la toiture en paille, &c. &c. De jour à autre, la glacière se dégrade, & une destruction totale est la suite ou de la négligence, ou de la crainte de la dépense. Le cône inférieur, comme le cône supérieur, doivent être en pierre, & au défaut de pierre, à cause de sa rareté ou de sa cherté, en briques très-cuites, & revêtues d’une couche de bon mortier, bien lissé, &, s’il se peut, mêlé avec la pouzzolane.