Cours d’agriculture (Rozier)/FRÉNÉSIE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 66-69).


FRÉNÉSIE, Médecine Rurale. La frénésie est l’inflammation du cerveau, accompagnée d’un délire furieux & continuel, & d’une fièvre continue aiguë. Les signes qui la font connoître, sont le délire, une agitation excessive, une oppression forte, le pouls petit, fréquent & irrégulier, la fièvre continue. Quelquefois le pouls est dur & serré, mais ce n’est que lorsque l’inflammation attaque les membranes du cerveau. La pulsation des artères carotides, celle des temporales ; le malade a l’organe de l’ouie si fin, qu’il entend quelquefois ce que deux personnes se disent en parlant très-bas, quoiqu’elles soient dans l’endroit le plus reculé de la chambre ; la langue est très-sèche & très-âpre, quelquefois elle est noire ou citrine ; la soif ne tourmente presque jamais ceux qui sont attaqués de cette maladie ; ils refusent de boire. Leur esprit n’est affecté que des objets qui pouvoient les avoir frappé avant la maladie.

Les symptômes qui peuvent nous faire craindre une frénésie prochaine, & qui ont coutume de la précéder, sont une douleur à la tête, les trop grandes veilles, le sommeil interrompu, une rougeur au visage, & sur-tout aux yeux ; ceux-ci deviennent parfois troubles, les malades voient tous les objets en rouge ; un tintement d’oreilles ; ils ressentent une douleur à l’occiput ; les urines qu’ils rendent sont très-chargées ; bientôt après elles deviennent rares & très-limpides ; ils rendent par le nez quelques gouttes de sang ; la sensibilité du système nerveux est portée au dernier degré ; & quoique nous aions déjà avancé que le pouls étoit quelquefois foible, nous pouvons assurer avoir observé les soubresauts des tendons.

La frénésie peut être une maladie essentielle, tout comme symptomatique. D’après cela elle peut dépendre d’une infinité de causes ; elle est souvent produite par un excès de travail ; par l’usage immodéré des liqueurs trop échauffantes & trop spiritueuses. Les passions de l’ame très fortes peuvent lui donner naissance, ainsi que la suppression des mois chez les femmes, & le flux hémorroïdal chez les hommes : l’exposition à la trop grande ardeur du soleil, sur-tout si l’on y a resté sans chapeau. Elle peut être encore l’effet de violens coups, de fortes contusions faites sur la tête, & de beaucoup d’autres accidens qu’on ne peut pas prévoir ; elle peut encore survenir à des fièvres aiguës, mal traitées, sur-tout si on a employé mal à propos les saignées, ou un régime acre & échauffant.

Mais la cause prochaine de la frénésie, est l’irritation excitée dans les membranes du cerveau par l’engorgement du sang, ou par une matière acre & mordicante. Toutes ces causes agissent avec plus ou moins d’énergie, selon les dépositions qu’on a à contracter cette maladie ; les personnes colériques, celles qui se nourrissent des alimens salés, épicés & de haut goût, qui ont beaucoup de sang, & qui n’ont pas éprouvé certaines hémorragies auxquelles elles sont sujettes, sont les plus exposées à cette maladie. La frénésie diffère de la parafrénésie, en ce que, dans celle-ci, les vaisseaux du diaphragme sont engorgés, & que le délire subsiste par la sympathie du nerf de la huitième paire.

Cette maladie est très-dangereuse, & très-souvent funeste ; sa terminaison est prompte, & pour l’ordinaire, elle ne va jamais au-delà du septième jour, quand elle prend une mauvaise tournure. Les signes qui présagent une destruction prochaine & même assurée, sont une mobilité singulière dans les yeux, le tremblement des mains ; on voit les malades chasser aux mouches, accrocher sans cesse leurs doigts aux couvertures de leur lit ; on y observe encore un délire entrecoupé & obscur ; les questions qu’ils font, & les raisons qu’ils donnent n’ont aucune suite ; les urines se suppriment, la voix devient rauque, le délire cesse, à ce calme trompeur succède l’abolition entière de tous les sens, & enfin la mort.

Dans le traitement de la frénésie, il faut observer avec attention si la nature médite quelque évacuation critique, & l’aider, si elle peut être salutaire ; j’ai observé que le flux hémorroïdal est très-utile dans cette maladie, si elle est produite par la suppression des hémorroïdes. Le meilleur moyen pour le provoquer, est l’application des sangsues à l’anus. On soutient pendant ce temps-là les forces du malade. Le remède le plus sûr pour remplir cette dernière indication est le camphre, qui peut aussi soutenir le mode inflammatoire. On doit faire couper les cheveux de la tête pour favoriser l’évaporation des humidités superflues., On doit faire de fréquentes lotions sur la tête & la face ; elles procurent, en relâchant une évaporation à laquelle succède une espèce de froid qui est avantageux. Cette pratique est très-salutaire dans la frénésie chronique, qui dépend d’une sécheresse du sang.

Dans la vue d’abattre l’inflammation, on peut appliquer des fomentations émollientes, des épithèmes rafraîchissans, comme le vinaigre, le nitre ; les animaux récemment éventrés, comme les pigeons, les chats & chiens. Willis dit qu’il ne put guérir une fille frénétique, qu’en la plongeant dans la rivière. La nature peut être déterminée, par la plus légère cause, à procurer la solution de la frénésie, ou un changement en mieux.

On fait prendre intérieurement les tisanes nitrées ; l’eau de poulet, celle de veau, celle de laitue, la décoction de tamarins, les sirops rafraîchissans, noyés dans suffisante quantité d’eau.

Les autres indications curatives se réduisent à diminuer le volume du sang qui engorge les vaisseaux du cerveau, & à ralentir son cours impétueux.

Sous ce point de vue, la saignée sera le moyen le plus approprié ; on peut commencer par celle du bras, & ensuite par celle du pied ; & si elles sont insuffisantes, on les pratique dans les endroits qui avoisinent le cerveau & la tête ; on ouvre pour lors les veines jugulaires, & même on en vient à l’artériotomie : des médecins célèbres ont fait ouvrir en même temps la veine préparate, & celle du bras ou du pied, avec quelque succès. Mais en général cette pratique est pernicieuse, en ce qu’elle produit des syncopes desquelles il peut résulter beaucoup de mal, & qui sont très-funestes dans la frénésie idiopathique. Les pédiluves, les synapismes à la plante des pieds sont de puissans révulsifs de la fluxion à la tête.

Il faut donner peu de nourriture au malade dans le commencement de la frénésie ; les alimens doivent être proportionnés au besoin qu’il peut en avoir.

Il faut encore qu’il jouisse du plus grand repos ; la chambre doit être éloignée de la rue, si cela est possible, pour ne pas entendre le moindre bruit, & sur-tout celui des voitures & charrettes, dont la commotion peut beaucoup nuire ; toute compagnie doit lui être interdite, ainsi que tout objet qui pourroit trop affecter son imagination.

L’obscurité favorise le sommeil, & porte le calme dans son esprit trop tendu ; il faut donc éviter qu’il voie le trop grand jour.

Il faut encore le calmer d’un autre côté, en ne le contrariant en rien, en se prêtant à ses goûts, à ses fantaisies, quelquefois bizarres. On a vu les choses qui paroissoient les plus contraires à notre santé, produire les changemens en mieux les plus marqués. Si cependant on n’avoit pas ce que le malade demande, sans le lui refuser positivement, on peut le tranquilliser en lui disant qu’on a été chercher ce qu’il désire ; il faut en un mot ne rien négliger pour lui procurer le repos & le distraire agréablement.

Nous ne devons pas passer sous silence les avantages que l’on retire de l’application des sangsues aux tempes, qui soulagent plutôt le malade que la saignée du bras ; c’est sans doute en raison de leur application sur une partie qui est plus près de l’organe affecté.

Lorsque la frénésie dépend d’une sensibilité extrême, ce que l’on reconnoît aux veilles opiniâtres, & à l’état des yeux qui sont fixes, il faut avoir recours aux narcotiques, pour détruire cet excès de sensibilité, & prévenir les foiblesses qui procureroient ces insomnies. L’opium, dans ce cas, est très-bien placé ; mais aussi il faut convenir que, par son effet échauffant in recessu, il peut beaucoup nuire : aussi ne doit-on le donner que dans un cas extrême. Il vaut mieux y suppléer par d’autres narcotiques moins énergiques, & toujours plus relatifs au tempérament du malade. Si, au contraire, le tempérament du malade fait juger que la frénésie changera en léthargie, on appliquera les vésicatoires, & on s’abstiendra des narcotiques. Les effets des vésicatoires sont très-nuisibles dans la frénésie où l’affection dominante est dans le cerveau, parce que ce dernier est celui des viscères, après les reins, qui se ressent le plus de l’impression des cantharides.

On fera prendre au malade des lavemens émolliens avant l’état de la maladie.

Lorsque l’inflammation que produit la frénésie, est complette, les émétiques & les purgatifs forts y sont dangereux ; & quand c’est la bile en turgescence, qui cause sympathiquement la frénésie, il n’y auroit point d’inconvénient à l’évacuer promptement ; mais, comme ce diagnostic est très-difficile, il est plus sûr de n’employer que l’huile d’amande douce. M. AME.