Cours d’agriculture (Rozier)/FOULER, FOULOIR ou FOULOIRE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 20-23).


FOULER, FOULOIR ou FOULOIRE. Dénominations empruntées des arts, & appliquées à l’écrasement de la vendange. Cet infiniment varie dans sa forme suivant les cantons & les provinces. Voyez ce que j’en ai dit au mot Égrapper, tome III, page 168. M. Maupin, dans son ouvrage intitulé, la Richesse des Vignobles, en décrit une nouvelle dé son invention, que je vais faire connoître ; c’est lui qui parle :

« Cette machine est si simple qu’il n’y a pas d’ouvrier qui ne puisse facilement la comprendre & l’exécuter. Dix pouces de cuve à prendre du bord, un fort cerceau de cuve fixé à ces dix pouces, deux ou trois barres, quatre ou six forts tasseaux pour soutenir le bout de ces barres, un assemblage de planches posées sur le cerceau & les barres, de petites languettes de bois, longues environ de deux pouces, sur une ligne & demie, ou une ligne trois quarts d’épaisseur au plus : voilà la bâtisse de toutes les pièces de la nouvelle fouloire. »

» Le cerceau est fortement attaché dans la cuve à dix pouces au-dessous du bord, mais je pense que neuf, & assez généralement sept à huit, sont suffisans pour l’élévation du marc. Les grandes cuves & celles qui feront remplies en un jour, sont celles auxquelles, ainsi que dans les pays chauds, il en faut le plus laisser. »

» Le cerceau de chacune des cuves, après avoir été fixé, a été échancré à quatre endroits pour placer dans ces échancrures, & au niveau exact du cerceau, quatre forts tasseaux larges d’environ quatre pouces, & épais de deux bons pouces. »

» Les barres épaisses de deux pouces tout au moins, ont été posées, ou plutôt engrainées dans ces tasseaux, creusés exprès pour les recevoir. C’est sur ces barres & le cerceau que les planches ont été posées. Ces planches en bois de chêne, portent quinze lignes d’épaisseur. »

» Elles ont à un des bouts de chacun de leurs côtés, une des languettes dont j’ai parlé, pour maintenir les planches, & laisser entr’elles la distance nécessaire pour l’écoulement de la liqueur lors du foulage. »

» Ces planches ne tiennent point les unes aux autres, elles sont ce qu’on appelle des planches volantes. Les plus larges n’ont que six pouces de largeur, & quelques-unes n’en ont que quatre, ce qui multiplie les issues du moût ; celles du milieu ayant le plus de portée & de longueur, doivent avoir au moins six pouces de large. Toutes les pièces dont je viens de parler doivent être unies & reblanchies avec le rabot. »

» Il est sans doute inutile d’avertir que le cerceau & les tasseaux doivent être fixés de la manière la plus solide. Il est évident que c’est sur ces pièces que portent toute la charge, les barres, les planches, la vendange & les hommes qui la foulent. »

» Les planches doivent être façonnées de manière que par leur réunion elles forment, à huit ou dix pouces de profondeur dans la cuve, un contre-fond ou plancher circulaire qui occupe exactement tout le diamètre de la cuve à cette profondeur. »

» Toutes les planches doivent être numérotées pour les reconnoître, & les placer chacune en leur lieu. »

» J’estime que cette machine, en y comprenant le cercle dont je vais parler, pourra coûter 36 livres dans les vignobles des environs de Paris, & un tiers ou moitié moins dans la plus grande partie des provinces. »

» Cette machine servira en même temps à deux usages, à fouler la vendange & à couvrir la cuve, en ajoutant au fond de la fouloire le cercle que je viens d’annoncer. L’objet de ce cercle est de suppléer au fond de la fouloire, ce qui peut manquer du diamètre pour couvrir le marc à mesure qu’il s’élève au-dessus de huit ou dix pouces, auquel le fond doit être posé pour l’opération du foulage. Les cuves étant plus généralement évasées à leur bord[1] qu’elles ne le sont à huit ou dix pouces au-dessus, on conçoit que le fond qui pouvoit couvrir entièrement la liqueur à ces huit ou dix pouces, ne le peut plus quand elle est parvenue plus haut ; à ces huit ou dix pouces, la cuve a communément deux ou trois pouces de diamètre ou de largeur plus que le fond de la fouloire ; ainsi le cercle nécessaire pour y suppléer doit être de trois ou quatre pouces, plus ou moins, suivant les cuves. »

» Ce cercle sera divisé par quarts ou en quatre parties, ou même en six si l’on veut, pour plus de facilité, & pour qu’il puisse entrer dans la cuve & couvrir le marc, dès qu’il s’élèvera au-dessus de huit ou dix pouces, auxquels le fond de la fouloire aura été posé. »

» Les personnes qui pratiquent ma manipulation & qui en conséquence sont dans l’usage de couvrir leurs cuves, (Voyez tome III, page 613, & tome IV, page 486) pourront faire rogner circulairement les bouts de planches du couvercle dont elles se servent, & en réunir les bouts en quart ou sixième de cercle ; mais comme il est à croire que généralement les planches avec lesquelles elles couvrent, n’ont pas en entier toute l’épaisseur nécessaire, je leur conseille de soutenir le plancher ou fond de la fouloire par trois barres, au lieu de deux, en sorte que ces barres n’ayent pas plus de dix-huit à vingt pouces de distance de l’une à l’autre. Cette précaution peut n’être pas absolument nécessaire, mais elle ne peut nuire. Je donne le même conseil à l’égard de toutes les cuves dont la contenance excède dix muids. »

» On foulera la vendange à mesure qu’on l’apportera de la vigne, & dès qu’on aura fini de la décharger dans la fouloire ; moins il y en aura, & plus promptement elle se foulera ; mais la fouloire fût-elle pleine, les raisins se fouleront toujours très-bien, mieux, plus diligemment, à moins de frais, avec moins d’embarras que de toutes les autres manières imaginées jusqu’à présent pour fouler les raisins à mesure & par parties. »

» Un ou deux hommes, suivant la distance de la vigne, pourront suffire pour le foulage de la vendange, pourvu toutefois que les voitures ne se succèdent pas trop rapidement ; au lieu de deux hommes il en faudroit le plus souvent quatre. »

» Quand on aura bien foulé, écrasé, ouvert & exprimé autant qu’il sera possible tous les raisins d’une foulée, (car il faut bien prendre garde que l’opération ne soit trop brusquée ou faite à demi) on lèvera deux planches du milieu du fond pour pousser & faire tomber le marc dans la cuve qu’on égalisera lorsque cela sera nécessaire. Il faut veiller à ce que le marc soit également distribué dans toutes les parties de la cuve, & qu’il n’y en ait pas une plus grande épaisseur dans l’une que dans l’autre. Cela fait, on remettra les planches, & on recommencera un nouveau foulage jusqu’à ce que la cuvée soit achevée. »

» L’usage de la nouvelle fouloire est si facile & si simple, que je crois devoir me dispenser d’entrer dans de plus grands détails sur cette opération. Cet usage suffira seul pour apprendre les petites attentions nécessaires pour faciliter, à mesure du foulage, l’écoulement du moût par les petits intervalles qui séparent les planches du fond. Je dirai pourtant que, lorsqu’après avoir achevé une foulée, & l’avoir déblayée dans la cuve, il en arrivera une autre de la vigne, il est à propos de la laisser décharger entièrement, & s’égoutter dans la fouloire ayant d’en entamer le foulage. »

On ne peut disconvenir que la fouloire proposée par M. Maupin, ne soit très-utile, très-avantageuse, & qu’elle n’épargne beaucoup d’embarras. Le public auroit été encore plus reconnoissant, si l’auteur avoit prescrit quel devroit être le diamètre des petits intervalles qui séparent les planches du fond. J’ai observé que lorsque ces intervalles étoient d’une à deux lignes seulement, ils étoient bientôt engorgés pour peu que le raisin fût mur & peu aqueux, comme le sont en général ceux des espèces cultivées dans les provinces méridionales. La chair de leurs grains est ferme & souvent cassante, suivant les espèces, & presque toujours gluante & visqueuse ; souvent même des espaces de trois lignes sont engorgés sur toute la longueur de la planche, mais en leur donnant plus de diamètre il passeroit beaucoup de grains très-peu foulés, mal écrasés, &c. ; il vaut donc mieux avoir la peine, de temps à autre, de soulever les planches & de les nettoyer à la fin de chaque foulée. Lorsque le fluide est retenu en partie dans la fouloire, on a beau piétiner le raisin, le grain fuit sous le pied du fouleur, glisse & échappe à l’action du foulage, ce qui rend l’opération plus incomplète & beaucoup plus longue. Le grand point est, ainsi que l’a très-bien remarqué M, Maupin, de fouler très-peu de raisins à la fois. Plus le foulage a été rigoureux, & plus le mucilage, les débris du parenchyme, les pellicules nagent dans un grand véhicule, & c’est cette fluidité première qui permet à la fermentation d’exercer la plénitude de ses loix, d’où résulte la perfection, la fermentation, & par conséquent du vin.


  1. Cette règle n’est point générale. Voyez ce qui a été dit au mot Cuve.