Cours d’agriculture (Rozier)/FILETS À RESSORT


FILETS À RESSORT, de l’invention de M. Clavaux. La méfiance naturelle à plusieurs espèces d’animaux nuisibles, et qui est chez eux l’instinct de leur conservation, rend souvent inutiles un grand nombre de pièges subtils et sûrs, d’ailleurs, quant au mécanisme de leur jeu, mais dont l’appareil trop sensible sert d’avertissement à l’ennemi contre lequel ils sont préparés. M. Clavaux, à qui je dois déjà plusieurs renseignemens précieux, frappé de cet inconvénient, s’est occupé des moyens de le corriger ; et ses recherches l’ont conduit à imaginer que des filets montés sur des châssis, qui seroient couchés à plate terre, ainsi que le sont les nappes d’alouettes, et qui pourroient se relever au moyen d’un ressort appliqué à ces châssis, donneroient l’espèce de piège la moins saillante, la moins sensible de toutes, et échapperoient, autant que possible, à la curieuse inquiétude du gibier. Voici, en conséquence, comment cet ingénieux artiste est parvenu à exécuter son idée.

La figure première ; de la Planche 1re offre la tonne d’un filet à ressort monté sur sa base E F, avec ses deux ailes A B C D, et a b c d, déployées et tendues au moyen des pièces formant le ressort, et que je vais décrire toutes séparément et tour à tour.

La grandeur du piège est indéterminée. Celui dont on donne ici les proportions est garni de filets à ressort de quinze ponces sur douze : les autres grandeurs que je vais indiquer seront en rapport avec celles-ci.

D’abord la base E F est une petite pièce de bois, communément de hêtre, dont la longueur totale, de E en F, est de dix-neuf à vingt pouces. Sa largeur primitive est de vingt-huit a vingt-sept lignes à sa tête, à la prendre entre tes lettres D d. Cette largeur va en diminuant jusqu’à l’autre extrémité comprise entre A a, où elle n’est plus que de vingt-deux à vingt-une lignes. La poignée F D d, est d’environ trois pouces, pris sur la longueur totale : on la voit ici découpée en espèce de pique. On sent que cette façon est indifférente, et que cette partie, uniquement destinée à servir de prise, pourroit tout aussi bien être tout d’une venue. L’épaisseur de cette base est par-tout de huit lignes. J’ai dit que sa largeur primitive étoit de vingt-huit à vingt-sept lignes d’un bout, et de l’autre de vingt-deux à vingt-une, En, effet, ces largeurs n’existent plus qu’aux deux points indiqués entre D d et A a : ce qui forme deux espèces de têtes d’environ six lignes chaque d’épaisseur, et entre lesquelles le bois est entaillé et évidé de A en D, sur une longueur d’environs quinze pouces, et à huit lignes de profondeur. Cette entaille est pratiquée de l’autre côté, c’est-à-dire de a en d : ce qui ne laisse à la base, entre ses deux têtes, qu’environ douze lignes de large. On peut voir cette disposition d’une manière sensible à la figure 6, représentant la base E F vue par-derrière, et où l’espace e f indique la partie rétrécie entre les deux têtes, sur une longueur d’environ quinze pouces. La destination de cette entaille est de recevoir et loger les deux cylindres G H et g h, mêmes figures, sur lesquels est monté le châssis de fil de fer qui soutient le filet. Ces cylindres ont environ sept lignes de diamètre ; à chaque bout et au centre du diamètre sont plantées quatre petites broches de fer iiii, fig. 6, lesquelles sont reçues à ces mêmes points i par quatre tourillons, ou petits pitons percés, dont on voit les têtes. C’est dans ces tourillons que tournent les broches ou axes des cylindres : leur ressort est de fil de fer tourné en spirale, dit aussi ressort à boudin. Ce sont deux branches de fil de fer implantées dans chaque cylindre par une de leurs extrémités aux points L l, fig. 6, et qui, après avoir embrassé ces cylindres dix ou douze fois, s’enfoncent, par leur autre extrémité dans la face supérieure de la base. À chacun de ces points G et g fig. 6, on distingue dans, les cylindres deux points noirs : ces points désignent l’extrémité de deux autres broches de fer, qui traversent diamétralement le cylindre et le débordent d’environ deux lignes en dessous seulement ; en dessus elles doivent être rivées à fleur du bois : elles sont implantées, d’ailleurs, dans la même direction que le châssis, et elles servent, comme on va le voir tout à l’heure, à retenir les ailes déployées.

Pour faire les châssis ABCD et a b c d, fig. i, on se sert de fil de fer normand non recuit, désigné dans le commerce par le n°. 18. On en a deux bouts de longueur suffisante, qu’on implante fortement dans chaque cylindre, de manière à former un carré long, comme on le voit figure 1. On les enfonce dans une position telle, que, dans l’état naturel du ressort à boudin, ces deux espèces de portes ou ailes soient serrées l’une contre l’autre, et qu’elles ne puissent s’étendre et se déployer, comme les représente cette figure 1, qu’en opérant un resserrement considérable dans les spirales L l. Les deux anneaux m m, qu’on voit pratiqués sur le côté d’une des ailes, même figure, doivent être ménagés de manière à ce que le côté b c de l’autre aile batte contre. Sur ces châssis on attache un filet d’un fil proportionné à la force du gibier. On sent que ce filet doit être tendu lâche et boursé, pour envelopper le corps de l’animal.

C’est ici, en quelque sorte, la première partie du piège ; la seconde est le ressort et les différentes pièces dont il est composé. Ces pièces sont montées sur une plaque ou platine de métal, de cuivre ou le fer : c’est la pièce N n, fig. 1, appliquée le long de la base de hêtre, dans l’espace compris entre les deux têtes où la largeur du bois est la moindre. Cette plaque soutient quatre pièces jouant sur autant de pivots, comme on les voit chacune à part, figures 2, 3, 4 et 5. La première de ces pièces est la bascule, la seconde, le levier ; la troisième, l’échappement ; et la quatrième, la détente.

La bascule, fig. 2, est composée de deux pièces ; la bascule proprement dite PP p p, qui joue sur un pivot o, et le piston y 2, engagé dans cette bascule au crochet p par une rainure formée d’une broche ; ce qui se voit très-sensiblement à ce point p. Le piston q 2 est une branche d’environ seize ou dix-huit lignes de long, qui traverse verticalement la plaque de métal, ainsi que la base de bois au point N, fig. I, et qui sortant en dessous de la base, y est terminé à son extrémité 2 par une espèce de bouton qu’on voit en 2, fig. 6. Ce bouton, comme on doit le sentir, est brasé au bout du piston, après qu’il a été placé ; il doit être un peu plus large que la hase de bois en cet endroit, et ses bords servent à pincer et retenir les broches de fer G g qui se trouvent sous ce bouton, lorsque les ailes du piège sont ouvertes. Remarquez que, pour que le boulon recouvre ces petites broches, il faut, avant d’étendre tout à fait les ailes, faire baisser le piston, en appuyant le doigt sur le sommet de la bascule, marqué du second P, fig. 2. Lorsque les broches sont prises sous le bouton, on abaisse la branche coudée V p de cette bascule, et on la couche sur la platine, de sorte que son coude embrasse le pivot s du levier, fig. 3. Ce levier, aussi coudé, est renversé vers le point P de la bascule, lorsqu’on tend le piège ; et la bascule étant couchée sur la platine, le levier se ramène par dessus, et presse, à son premier point t l’extrémité p de la première pièce, à l’effet de l’empêcher de se relever : pour que lui-même ne se relève pas à son tour, on le recouvre, à son autre extrémité de v pièce fig. 4, que j’appelle échappement, laquelle roule sur un pivot u, et est taillée en biseau à son extrémité t Lorsque cette pièce a été, rabattue sur la précédente, on l’y fixe au moyen de la dernière de toutes, qu’on voit fig. 5 ; c’est une espèce de dard roulant aussi sur un pivot x, et sur lequel une crémaillère y, regardant l’extrémité v de la pièce précédente, reçoit et engage cette pièce par cette même extrémité. Lorsque cette crémaillère a mordu l’extrémité v de l’échappement, le piège est complètement tendu. Dans cet état, on arme le point z du dard de quelque appât ; et la bête pour laquelle il est destiné, venant pour s’en saisir, agite cette détente, qui, obéissant au plus léger mouvement, abandonne l’échappement v : celui-ci permet au levier T t de se relever, lequel à son tour, ne pressant plus la bascule p, la laisse se baisser, ainsi qu’elle en est sollicitée par les points G g des petites broches qui repoussent le bouton par lequel elles étoient retenues, et cessent de faire obstacle à ce que le ressort à boudin ramène l’une contre l’antre les deux ailes du filet. Tous ces mouvemens successifs se font dans le piège avec une incroyable rapidité.

Les fig. 6 et 7 forment un autre échappement un peu différent du précédent, et peuvent remplacer les fig. 4 et 5. Mais, au lieu d’être posées en ligne sur la longueur de la platine, elles sont posées Vis-à-vis l’une de l’autre sur la largeur de la base, à peu près à la place qu’occupe le dard dans la fig. 1, et se rabattent de droite et de gauche. Dans cet échappement, le levier T t, fig. 3, n’est point coudé ; il est droit dans toute sa longueur. Sa tête t est prise sous le point 2 de la fig. 6. Cet échappement roule sur un pivot I I, enfoncé comme je l’ai dit, sur le côté de la base du piège, et son extrémité 3, taillée en biseau, se prend dans une légère rainure, dont on voit la naissance au point 4 de la branche plate qui forme la détente, fig. 7. Le petit morceau de bois 5 est d’un bois tendre et moelleux ; on y attache au point 5, avec une forte épingle, l’appât convenable. La branche 6, de fil de fer ou de fort laiton, enfoncée dans la base vis-à-vis le pivot I I de l’échappement, forme une espèce d’anneau qui sert de pivot à la détente, en lui permettant de jouer librement. Cette détente n’est pas moins subtile que la précédente ; elle a pour but de faire, que l’appât soit placé moins en l’air que dans l’autre piège, d’où il suit que l’un convient mieux aux oiseaux, et le dernier aux quadrupèdes. Le premier peut être employé pour les oiseaux, tels que corbeaux, corneilles, pies, et autres espèces voraces ; le second, pour les fouines, putois, etc…

Lorsqu’on tend ce piège, on le recouvre de poussière ou de feuilles mortes. On peut l’attacher contre terre, en fixant ses extrémités sous des piquets ; et les pièces du ressort étant de métal, cuivre ou fer, doivent être brunies et mates, pour ne pas jeter de lumière.

On peut encore mettre au nombre des filets à ressort, le piège décrit dans l’Aviceptologie, sous le nom de trébuchet œdonologique de M. Arnault de Nobleville, bien que l’auteur des Ruses innocentes en eût depuis long-temps décrit un à peu près pareil. Dans ce piège, le filet au lieu d’être monté sur es châssis rectangulaires, comme dans les précédens, l’est sur deux branches de fort fil de fer, courbées en demi cercle. Les deux parties ne recouvrent point l’une sur l’autre, mais elles s’étalent à plate terre, et ne peuvent être tendues que sur un endroit uni. La grandeur de ce piège est indéterminée ; pour le rendre plus portatif, on ne donne à ses demi cercles que quinze à vingt pouces d’ouverture ou de diamètre. La construction de ce piège est fort simple, et peut s’exécuter sans ouvrier : on prend un premier bout de fil de fer d’une longueur convenable qu’on ploie en demi-cercle, et dont on recourbe les deux extrémités pour former à chacune d’elles un œillet. Par ces deux trous, on passe en double une forte ficelle ou une corde à boyau, et on la noue de manière qu’elle soit juste à l’espace compris entre les deux cornes ou extrémités du demi-cercle. L’on a ensuite un second bout de fil de fer d’un ou deux pouces plus court que le premier, et qui soit moins gros de moitié, ou même moins encore. On courbe aussi ce second fil de fer en demi cercle, et on en retourne en crochet les extrémités, comme si on vouloit imiter l’anse d’une marmite de fonte. On sent que ce second demi-cercle a moins de diamètre que le premier, et qu’il lui est concentrique, selon l’expression des géomètres ; c’est-à-dire, que le plus grand l’embrasse, comme le bord d’un grand verre peut recevoir le bord d’un plus petit. Cela compris, on engage les crochets qui terminent le plus petit demi-cercle, dans la corde double, tendue d’une extrémité à l’autre du plus grand, et faisant faire à ce plus petit demi-cercle un certain nombre de tours ou de révolutions complètes, il opère dans la corde sur laquelle il roule une tension pareille à celle par laquelle on bande une scie. Alors, si on étend à plat ces deux demi-cercles, et qu’on relève en l’air le plus petit comme pour le replier sur le plus grand, on conçoit qu’il ne restera pas dans cette position, mais que, par le fait de l’entortillement de la corde sur elle-même, il sera ramené avec prestesse contre terre dans cette position ; les deux demi-cercles se touchant à peu près par leurs extrémités, présentent grossièrement la figure d’un O composé de deux parties, l’une un peu plus étroite que l’autre, et séparé en deux à son milieu par une corde. Dans cet état, on attache sur les bords des demi-cercles un filet lâche qui s’étend sur tous deux, et sous lequel se trouvent pris les oiseaux, lorsque le plus petit demi-cercle est levé et tendu. Pour exécuter cette dernière tension, qui complète tout le mécanisme du piège, on commence par fixer solidement le plus grand demi-cercle sur terre à l’endroit que l’on aura choisi, avec un ou deux piquets à crochet. On arrête aussi contre terre la corde diamétrale dont je viens de parler plus haut, en passant entre ses deux branches un long clou ou piquet à tête. L’objet de ces précautions est d’empêcher la machine de sauter et bondir par le contre-coup, qu’elle reçoit lors de la chute du demi-cercle battant. On peut adapter plusieurs détentes à ce demi-cercle pour le tenir élevé, jusqu’à ce qu’un oiseau vienne le faire tomber ; on peut très facilement y adapter un quatre de chiffre ordinaire. On se sert aussi d’une détente formée de deux petits bâtons réunis ensemble, et attachés l’un sur l’autre à demeure, de manière à former une sorte de T, la branche descendante étant inclinée par rapport à la supérieure. Celle-ci, grosse comme le petit doigt, est entaillée en dessus de deux coches, une à chaque bout, et dont les mentonnets, ou la partie mordante, se regardent. On place une des coches sous le plus petit demi-cercle fixe ; on relève le battant jusqu’à ce qu’on puisse l’engager dans la coche de l’autre bout, et le piège est tendu ; amorçant alors le bâton croisant, ou la queue du T, de vers ou de fruits qu’on y fiche avec de longues épingles, les oiseaux qui viennent pour s’en saisir opèrent sur cette petite machine une secousse qui dégage une des coches si elles ne sont pas trop profondes, et qui permet au demi-cercle battant de se rabattre sur eux. On prend à ce piège, en l’appâtant convenablement, des rossignols, des mésanges, des merles, des verdiers, des pinsons, des moineaux, des linottes, etc., etc. On sait que les vers de farine sont l’appât qui convient aux rossignols. Avant de placer le piège, il est bon d’appâter la place quelques jours d’avance pour y attirer le gibier.

L’Aviceptologie décrit encore sous le nom d’assommoir du Mexique, un autre piège qui, par sa construction, se rapporte beaucoup à celui-ci. La grande différence consiste en ce que le bal tant de l’assommoir est une planche qui joue entre des montons de bois ; la détente est une marchette qui correspond à une gâchette à crémaillère, laquelle agit à peu près comme la détente du let à corbeaux, décrite plus haut. On tend cet assommoir pour des oiseaux, et même pour des quadrupèdes. (S.)