Cours d’agriculture (Rozier)/CLAVEAU, CLAVELLÉE

Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 387-392).


CLAVEAU, CLAVELLÉE, petite Vérole, Picotte des Moutons. Médecine Vétérinaire. Le claveau est une maladie épizootique, contagieuse, & d’un genre inflammatoire, qui attaque les bêtes à laine.

Nous distinguons trois espèces de claveau ; le discret ou bénin, le cristallin, le malin ou confluent.

I. Symptômes du claveau discret. Le premier est le moins dangereux, & le plus fréquent : il est rarement accompagné de symptômes fâcheux. Le dégoût, la tristesse, la fièvre, qui s’y soignent, sont de peu de conséquence. Les boutons sont en petite quantité, & d’un volume médiocre ; ils se montrent sur les parties dénuées de laine, telles que l’intérieur des cuisses & des épaules, le ventre, & le dessous de la queue. La peau n’est pas enflammée, & il est rare que la tête & les yeux en soient affectés.

II. Symptômes du claveau cristallin. Le second, ou le cristallin, ne se manifeste qu’après que le mouton a été deux ou trois jours, plus ou moins, dégoûté, triste, abattu. Ici, les pufiuies, ou les boutons qui le caractérisent, sont en plus grand nombre ; elles sont presque toujours blanches à leurs extrémités, & affectent indistinctement toutes les parties, & les enflamment.

III. Symptômes du claveau malin ou confluent. Le troisième, ou le confluent, est le plus dangereux & le plus meurtrier. L’animal perd l’appétit, ne rumine plus ; les yeux sont larmoyans, obscurs ; les boutons se touchent, sont violets ; & au-lieu de s’élever & de blanchir, ils s’aplatissent, & deviennent mols. Il survient une difficulté de respirer, avec battement des flancs ; l’haleine & la matière contenue dans les boutons, sont d’une puanteur insupportable ; une matière épaisse, tenace, coule avec abondance des naseaux. L’intérieur de la bouche est garni de pustules ; les yeux se ferment, l’animal meurt le troisième ou quatrième jour de l’éruption, & ne passe pas le sixième.

Des temps, ou époques qu’on observe dans le Claveau.

L’ordre que suit assez régulièrement cette maladie dans sa marche, nous y fait distinguer quatre temps, ou quatre époques, qui ne sont bien sensibles que dans le claveau de la troisième espèce. Ces quatre temps ou époques sont désignés par le nom d’invasion, d’éruption, de suppuration & d’exsiccation.

L De l’invasion. C’est ici le temps où le venin, admis dans le sang, y circule avec ce fluide, sans se montrer au-dehors, & où la nature prépare l’humeur à l’évacuation qu’elle médite : c’est ce que nous appelons l’invasion de la maladie. Cet état est annoncé par le mal-aise, l’inquiétude, la paresse, la foiblesse, le dégoût, la tristesse, le battement des flancs & la cessation de la rumination. Plus ces symptômes sont apparens & graves, plus la maladie approche du second temps, ou de la seconde époque.

II. De l’éruption. C’est le moment où les pustules paroissent, & se montrent sur la surface extérieure de la peau de l’animal. Les symptômes, ci-dessus décrits, augmentent d’intensité. La surface extérieure du corps de l’animal est très-chaude ; les yeux sont enflammés ; la bouche est plus ou moins sèche, & la soif plus ou moins ardente ; la respiration très-laborieuse, la fièvre très-développée ; les mouvemens du cœur sont plus ou moins forts, & plus ou moins appercevables par des coups très-violens contre les côtes ; la tête est très-basse, & le mouton est d’autant plus accablé, que ces symptômes sont graves ; & ils le sont toujours en raison du caractère de la malignité du claveau. Ils sont à peine sensibles dans le claveau de la première espèce, plus marqués dans la seconde, & toujours très-alarmans dans la troisième.

III. De la suppuration. L’éruption faite, la suppuration est établie dans les pustules : c’est ici la troisième époque. La nature est triomphante : la plus grande partie des symptômes disparoît, surtout si l’éruption a été bien complette, & si elle n’a pas attaqué des parties essentielles, telles que les yeux, le palais, les lèvres & l’anus ; si elle s’est faite de manière à se répandre également partout, si l’inflammation qui environne la baie de chaque pustule, est dissipée, & si la peau, à l’exception des parties tuméfiées, est dans son état naturel.

IV. De l’exsiccation. La quatrième, ou dernière époque, est celle où l’humeur séparée rompt les tégumens, se fait jour au dehors, s’évacue & laisse l’ulcère à sec : c’est pourquoi nous l’appelons exsiccation.

M. Hastfer, dans son ouvrage sur la manière d’élever & perfectionner les bêtes à laine, attribue la cause du claveau à l’abondance des humeurs ; & plusieurs autres auteurs, à des miasmes venimeux, & à un levain héréditaire. Nous ne discuterons point ici la question de son origine, ni de sa nature ; ce seroit s’éloigner de notre but. Ce détail, d’ailleurs, ne seroit que de pure curiosité, & satisferoit peu des cultivateurs plus occupés du soin de sauver leurs troupeaux, que des discussions scientifiques. Nous nous bornerons seulement à prescrire ;

i°. Les précautions qu’il convient de prendre, lorsque le claveau a pénétré dans une paroisse ; 2°. d’indiquer Ses moyens curatifs contre cette maladie.

Indication du premier cas. Le claveau étant une maladie contagieuse, la véritable manière d’éviter la contagion, est de la fuir. Il faut donc,

i°. Séparer les animaux sains des malades, & envisager ceux-ci, comme ayant plus ou moins participé au premier temps de la maladie, c’est-à-dire, à l’invasion.

2°. Ceux-ci seront tenus dans la plus grande propreté ; la bergerie sera parfumée régulièrement deux fois le jour, avec les baies de genièvre, macérées dans le vinaigre, & exposées sur des charbons ardens.

3°. Les bergers, chargés du soin de ces animaux, laveront leurs mains avec le vinaigre, & changeront d’habit, s’ils veulent approcher les bêtes saines.

4°. On se gardera des animaux domestiques : les chiens, les chats, les poules portent la maladie.

5°. Les cadavres feront enterrés profondément, & dans des terreins très-éloignés du passage des troupeaux sains. C’est ce qu’on ne pratique guère à la campagne ; aussi voyons-nous que cette imprudence rend cette maladie durable, & de plus en plus contagieuse.

6°. Un bloc de sel, placé dans la bergerie, que les moutons lécheront tour à tour, sera aussi un moyen facile & peu dispendieux d’éviter la contagion.

7°. Il importe que la bergerie soit très-aérée.

Indication du second cas. Cette maladie n’est point au-dessus des ressources & du pouvoir de l’art, comme la plupart des cultivateurs le prétendent. Cette erreur, qui tient encore dans plusieurs provinces de France, cause les plus grands maux.

Le médecin vétérinaire Suédois, M. Hastfer, prescrit des remèdes sudorifiques, sous une forme sèche, pour guérir cette maladie. Il proscrit la boisson, tant que les moutons sont malades. Cette méthode, nous l’avouons, peut être bonne pour la Suède, pays froid, où la transpiration est peu abondante, les plantes plus aqueuses, & le sang très-séreux ; mais elle n’auroit aucun succès en France, & spécialement en Provence & en Languedoc, où les alimens sont plus secs, & où ils portent par conséquent moins d’humidité dans le sang.

Le traitement, qui convient donc dans le pays que nous habitons, & dont nous avons retiré les plus grands succès, consiste dans la méthode suivante.

i°. Dans le temps de l’invasion, outre les précautions ci-dessus indiquées, & relatives à la propreté des bergeries, & aux parfums, on donnera un breuvage le matin, & un autre le soir, composé de la manière qui suit :

Prenez orvales des prés, racines de persil, & graines de lentille, deux poignées de chaque : faites bouillir un quart d’heure dans environ quatre pintes d’eau commune ; retirez du feu, laissez infuser deux heures, coulez ; ajoutez à la colature, camphre dissous dans un jaune d’œuf, un gros ; vinaigre de vin, un verre à liqueur ; miel, quatre onces : mêlez & donnez tiède pour un breuvage, à la dose d’un grand verre pour les forts moutons, d’un petit pour les brebis, & d’un demi pour les agneaux.

2°. La nourriture sera ménagée ; il ne faut pas que les moutons aillent aux champs. On ne donnera qu’un peu de bon foin, bien récolté, à ceux chez lesquels la rumination s’exécutera, & dont les symptômes maladifs seront de peu de conséquence ; car, pour peu qu’ils soient tristes, dégoûtés, foibles & abattus, il vaut beaucoup mieux supprimer toute nourriture solide, & leur donner un breuvage de plus sur le midi.

3°. Dans le temps de l’éruption, il s’agit d’aider les forces de la nature, & de pousser par conséquent le virus variolique du centre à la circonférence. Le breuvage précédent conviendra dans le cas où l’éruption se fera avec force & énergie ; mais, dans celui où elle ne se fera que difficilement, on ajoutera, sur la totalité des breuvages précédens, une once de sel ammoniac, & le camphre sera dissous dans deux onces d’esprit de vin, au-lieu de jaune d’œuf. C’est précisément à cette époque que les cultivateurs, pour chercher à précipiter l’éruption, administrent de forts cordiaux, sous le prétexte d’échauffer les malades, & de pousser fortement vers la peau la matière variolique. L’expérience doit les convaincre qu’une pareille méthode ne peut qu’être meurtrière.

4°. La diète fera des plus sévères ; & dans l’intervalle des deux breuvages prescrits, l’un le matin, l’autre le soir, on donnera un bon verre d’une infusion d’une once de baies de genièvre, & d’une demi-once de quinquina, dans une pinte de vin.

5°. Si l’éruption est accompagnée de flux par les naseaux, il faudra injecter souvent, dans ces parties, une décoction d’orge & de ronces, sur une pinte de laquelle on aura fait dissoudre une once de miel commun.

Le troisième temps de la maladie, c’est-à-dire, la suppuration, sera traité de même, en observant cependant, que si elle est accompagnée de malignité, si les boutons, au-lieu de s’élever & de blanchir, s’affaissent, s’aplatissent, & deviennent violets, de passer un séton à la partie latérale interne de la cuisse, ou à la partie supérieure & latérale de l’encolure, dans le cas où les pustules affecteroient singulièrement la tête. Les sétons feront frottés avec de l’onguent basilicum, sur quatre onces duquel on aura incorporé quatre gros d’euphorbe, & autant de mouches cantharides en poudre. Si nous préférons l’usage des sétons à celui des vessicatoires, c’est que l’expérience prouve que l’emplâtre de levain, de vinaigre & de cantharides, quoique long-temps appliqué, après avoir coupé la laine, mord avec peine sur la peau des moutons. On aidera les effets des sétons, en multipliant la dose de breuvages prescrits.

Le quatrième temps de la maladie, c’est-à-dire, l’exsiccation, est très-pénible, surtout dans le claveau malin. Il ne faudra pas s’en rapporter à la nature pour la rupture des pustules ; on hâtera, au contraire, la sortie de la matière, en les piquant, les unes après les autres, avec un canif ; on les pressera, & on en fera sortir toute l’humeur contenue. Les mêmes breuvages seront continués, de même que les injections, suivant les circonstances qui en requerront l’emploi. L’exsiccation faite, il est essentiel de purger les moutons qui auront eu le claveau confluent, avant que de les mener aux champs, & de les mettre à la nourriture ordinaire. La médécine sera composée ainsi : prenez sené, une once ; jettez dans une chopine d’eau bouillante, & retirez du feu dès le moment que vous aurez ajouté le sené ; couvrez, laissez infuser deux heures, coulez ; ajoutez aloès en poudre, deux drachmes ; mêlez, & donnez une demi-dose aux plus forts moutons, & un quart de dose aux brebis.

Les pustules de la petite vérole affectent quelquefois si particulièrement certaines parties extérieures du corps de l’animal, qu’il importe de prendre un soin particulier de celles qui sont maltraitées. On ouvrira donc les pustules qui se seront fixées sur les paupières ou sur l’œil, dès qu’elles commenceront à blanchir, afin de ne pas donner le temps à la matière de creuser & de dénaturer ces parties, parce que nous voyons des moutons qui perdent un œil, & d’autres qui deviennent aveugles. Cela fait, on fera des lotions avec un collyre d’une décoction d’orge & de ronces, sur une pinte de laquelle on ajoute une drachme de vitriol blanc. Les lotions seront les mêmes, quant aux pustules qui viennent à l’anus, aux lèvres, au palais, &c. mais, eu égard à celles qui se forment dans les sabots, il faudra tremper le pied de l’animal dans l’eau chaude, dans laquelle il restera une bonne demi-heure, après quoi on ouvrira les pustules ; & si elles sont fixées dans l’ongle, on extirpera la partie de la corne qui les recouvre, sans avoir égard au lieu, ni à l’endroit où elles siègent. L’opération faite, on appliquera sur la plaie parties égales de térébenthine de Venise & de jaune d’œuf, maintenues au moyen d’un plumaceau & d’un bandage.

Il est aussi d’autres pustules qui s’amoncèlent sur une partie du corps, & qui la gangrènent, si l’on n’y fait attention. Pour lors, les scarifications faites dans toute la longueur & toute l’étendue de la tumeur de la partie affectée, emportent tout ce qui est mortifié, & on finit la cure, en lavant les ulcères qui en résultent, avec une forte décoction de quinquina, animée avec un verre d’eau-de-vie camphrée, sur une pinte de cette décoction.

Remarques. La nature du claveau ayant donné des vues sur la manière de le traiter, pourquoi n’en donneroit-elle pas sur l’art de l’inoculer ? On a inoculé de nos jours, & l’inoculation a réussi ; témoin, M. Venel, professeur en médecine de Montpellier. Ce Docteur célèbre inocula un troupeau de cent cinquante moutons, & il n’en mourut que trois. Presque tous les médecins conseillent l’inoculation dans les maladies inflammatoires & épizootiques. Nous espérons, dans le cours de nos travaux, d’éclairer les habitans de la campagne sur l’avantage de cette opération, après l’avoir pratiquée. Les succès que nous en attendons, suffiront, sans doute, pour les convaincre d’une pratique aussi salutaire. M. T.