Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 297-333).
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CHOU. M. Tournefort le place dans la quatrième section de la cinquième classe, qui comprend les herbes à fleurs régulières disposées en croix, dont le pistil devient une silique divisée en deux loges séparées par une cloison, & il l’appelle brassica. M. von Linné le nomme aussi brassica, et le classe dans la tetradynamie siliqueuse. M. von Linné renferme sous le genre de brassica, les choux, la roquette, les raves, les navets ; mais comme ce Dictionnaire n’en est pas un de botanique, & que cette science y est purement accessoire, je traiterai tous ces articles sous leurs lettres respectives. C’est donc en agriculteur, & non en botaniste que je vais parler de la nombreuse famille des choux. D’après ce point de vue, je crois que l’on peut la diviser en ordres ; la première comprendra les espèces dont on mange les boutons de fleurs, tels sont les choux-fleurs & les brocolis ; la seconde, les choux pommés ; la troisième, les choux non pommés, & cultivés dans les jardins ; la quatrième, des choux à racines semblables à celle des raves ; & la cinquième, les choux destinés à la nourriture du bétail, & que l’on cultive en grand, pour retirer, par l’expression, une huile de leur graine.

Plan du travail sur les Choux.
CHAPITRE PREMIER. Description du genre.
CHAP. II. Description des espèces.
Section première. Des espèces dont on mange les boutons de fleurs rassemblés en groupe. Chou-fleur ; Brocoli.
Sect. II. Des Choux-pomme ou cabus.
Sect. III. Des Choux non pommés, cultivés dans les jardins.
Sect. IV. Des Choux à racines semblables à celle des raves. Sect. V. Des Choux destinés aux usages économiques, & non pour la cuisine.
CHAP. III. De la culture des Choux.
Section première. De celle des Choux du premier ordre, ou Choux fleurs & brocoli.
Sect. II. De celle des Choux du second ordre, ou Choux cabu, de Saint-Denis ou d’Aubervilliers ; de celle du blanc hâtif ou de Bonneuil, du pommé rouge ou violet, du frisé précoce, du pain de sucre ou pointu d’Angleterre, du blanc de Strasbourg ou d’Allemagne, de Milan à grosse ou petite tête, & du frisé court.
Sect. III. De celle des Choux du troisième ordre, ou Choux verts & blonds à grosses côtes, & non pommés ; du pancalier.
Sect. IV. De celle des Choux à racines semblables à celles des navets ou Chou rave ou de Siam, ou du Chou-navet.
Sect. V. De celle des Choux cultivés dans les jardins, ou du Chou-colza ; du Chou en arbre ou Chou-Chèvre.
CHAP. IV. Des ennemis des Choux, & des moyens de les détruire.
CHAP. V. Des propriétés économiques des Choux, relatives aux hommes & aux animaux, & de la manière de préparer le saverkraut.
CHAP. VI. Des propriétés alimentaires & médicinales du Chou.
CHAP. VII. Observations détachées sur les Choux.


CHAPITRE PREMIER.

Description du Genre.


Le calice est divisé en quatre folioles droites, vertes, linéaires, creusées un peu en gouttière, & renflées à leur base. La fleur est composée de quatre pétales en forme de croix ; chaque pétale est presque ovale, ouvert, attaché au fond du calice par un onglet ; quatre glandes ovoïdes sont à la base, & renferment cette portion mielleuse, que les abeilles y recherchent avec tant d’avidité ; les étamines sont au nombre de six, dont deux plus longues, & quatre plus courtes ; le pistil est cylindrique, de la longueur des étamines, & son sommet est en manière de tête. Ce pistil se change en une longue silique, presque arrondie, mais légèrement aplatie des deux côtés, à deux loges, à deux valvules, moins longues que la cloison mitoyenne qui les sépare. La graine est roussâtre & arrondie ; en général, les feuilles de toutes les espèces de chou sont épaisses, plus rondes que longues.


CHAPITRE II.

Des Espèces.


Il n’est pas possible de décrire toutes les espèces connues par les jardiniers dans les différens pays ; la culture, le climat les ont fait varier à l’infini, & nous admettons ici, comme espèces jardinières, ce que les botanistes considèrent comme de simples variétés. Pour suivre l’ordre naturel, il auroit peut-être été convenable de commencer les descriptions par celle du chou des champs, & ainsi de suite pour celles qui en sont aujourd’hui le moins éloignées ; mais il faut parler ici aux cultivateurs, & non aux naturalistes.


Section première.

Des Espèces dont on mange les boutons de fleurs rassemblés en groupe. Choux fleur, brocoli.


I. Chou fleur. Brassica oleracea, Botrytis. Lin. Brassica cauli flora, Bauh. Quelques écrivains sur le jardinage, distinguent plusieurs espèces de chou fleur, & assez mal à propos. Ils les désignent par chou fleur d’Italie, de Turquie, de Chypre, d’Alexandrie, d’Alep, de Malthe, de Hollande, &c. ; ces dénominations indiquent les lieux dont on tire la graine, & qu’il est bon de renouveler après certain nombre d’années, parce qu’elle dégénère dans nos provinces septentrionales ; mais elles produisent tout au plus des variétés, & non pas des espèces jardinières. (Voyez le mot Espèce) Je ne connois réellement que deux espèces de chou fleur, le hâtif ou tendre, & le tardif, nommé par quelques-uns chou fleur de demi-dur, & dur, ou d’Angleterre ; trois dénominations qui désignent plutôt des variétés l’une de l’autre, que des espèces.

Le chou fleur & le brocoli sont-ils des variétés du chou pomme, dont il sera question dans la section suivante ? Dans ce cas, les parties de la fructification paroissent avoir absorbé, & s’être approprié la substance qui auroit dû se porter à la masse énorme des feuilles du chou cabus, tout comme les fleurs doubles, cultivées dans nos jardins, absorbent par leurs pétales, (voyez ce mot) la nourriture destinée aux parties de la génération ou de la fructification, qui sont complétement anéanties ou mutilées, au point qu’elles ne donnent point de graines capables de les reproduire.

Dans nos provinces méridionales, il n’est pas rare de voir des tiges ou troncs de choux fleurs s’élever jusqu’à dix-huit & vingt-quatre pouces ; dans celles du nord, au contraire, les tiges ont communément un pied de hauteur, & souvent moins. Du sommet du tronc s’élancent des feuilles, dont la pointe s’élève sur un angle plus ou moins ouvert : au centre de ces feuilles, commencent à paroître quelques points blancs, qui sont les rudimens des germes des fleurs. Ces points augmentent en nombre & en masse en tout sens, & font prendre à quelques feuilles une position horizontale, & les autres servent à garnir les côtés. Souvent quelques folioles pénètrent à travers cette masse de points blancs. Ces germes, en forme de mamelons, sont plusieurs ensemble, réunis sur une des divisions de la tige ; & cette tige, ainsi que ces divisions, s’élèvent & s’alongent comme celles des choux ordinaires, lorsqu’elles veulent fleurir ; de manière que chaque mamelon se transforme ensuite en une fleur décidée, semblable à la fleur des autres choux.

Outre ce caractère si marqué, on distingue encore le chou fleur par la forme de ses feuilles, qui est un ovale alongé & pointu : elles sont entières, presqu’unies à leurs bords, d’un vert clair, & parsemées de nervures blanches. Quelquefois on trouve des espèces de découpures à la base des premières feuilles ; qu’on peut regarder comme des appendices ou oreillettes. La différence des choux fleurs se prend particulièrement de la plus ou moins grande finesse dans les mamelons, & de la manière dont ils sont pressés les uns contre les autres, de la grosseur de la pomme, & des époques auxquelles il convient de les semer ; d’où est venu la dénomination de hâtif & de tardif.


II. Le Brocoli. On en compte deux espèces ; le violet, & le commun. On nomme encore le premier, brocoli de Rome ou de Malthe, lieux d’où on en tire la graine.

Les jardiniers désignent sous le nom de brocoli, les brotons des choux dont on laisse le tronc en terre pendant l’hiver, après en avoir coupé la pomme, & lorsqu’il pousse au printemps. Ces rejetons ont quelque ressemblance, il est vrai, avec le brocoli ; mais l’espèce dont je parle, est véritablement une it. (Voyez ce mot)

Cette espèce de chou pomme est à peu de chose près, quant à la forme, comme le chou fleur, avec cette différence que ses mamelons sont des boutons à fleur, plus développés, mieux formés & plus distincts ; en un mot, ils ont une apparence décidée de boutons à fleur. De l’aisselle de chaque feuille, il naît un rejeton ou branche tendre, bien nourrie, terminée par un bouquet, grenu & violet dans le brocoli d’Italie, & vert sur les pieds du brocoli commun. Le centre ou sommet de la tige offre des faisceaux de pareils rejetons, séparés les uns des autres par de petites feuilles, & quelquefois elles sont à peine visibles. Les bords des feuilles sont peu froncés dans la partie supérieure, profondément découpés vers leur base, & les feuilles du brocoli sont d’un vert plus foncé que celles du chou fleur ordinaire. La tige s’élève communément à la hauteur de dix-huit à vingt-quatre pouces. Lorsqu’on a coupé la pomme, le tronc pousse des drageons, encore nommés brocolis, qu’on prépare & assaisonne comme les asperges ; ce qui a engagé Bauhin à les désigner par cette phrase, Brassica asparagodes crispa. On peut regarder le brocoli, soit violet, soit vert, comme une espèce jardinière du chou fleur.


Section II.

Des Choux pommé ou pomme, ou cabus ou capus.


Sous la dénomination de chou pomme, je comprends le chou cabus ordinaire ou chou commun, le chou pomme de Saint-Denis ou d’Aubervilliers, le chou pomme rouge ou violet lustré, le chou pomme blanc-hâtif ou de Bonneuil, le petit chou pomme frisé précoce ou chou pointu d’Angleterre, le chou pomme de Strasbourg ou d’Allemagne, le chou pomme de Milan & ses variétés.

I. Chou Pomme ou Cabus. C’est le brassica oleracea capitata alba. Lin. Ne seroit-il pas le type de toutes les autres espèces de chou pomme ? Il y a lieu de le présumer, puisque si on examine bien un quarré de choux, semé de la même graine, on observera des différences, souvent assez marquées, d’un individu à un autre. Que sera-ce donc, si on transporte la graine dans un pays éloigné, ou dont le sol & sa position seront de nature opposée au premier ? La constitution des saisons, d’une année à l’autre, produit souvent ces variations, quoique dans le même lieu.

Le franc chou cabus a une tige courte, grosse, peu garnie de feuilles. Sa pomme est aplatie, large, ferme, compacte, formée par des feuilles qui se recouvrent successivement les unes & les autres. Sa végétation est quelquefois si active, que les feuilles intérieures ne pouvant se multiplier avec facilité, & faisant sans cesse des efforts contre l’extérieur, font éclater la pomme. Les feuilles sont rangées circulairement sur la tige : les extérieures touchent presque la tige par leur base ; le milieu est traversé par une large nervure ou côte. Elles sont froncées, & comme découpées sur leurs bords, vertes, assez souvent mêlées de bleu ou de violet.

Du milieu de la pomme s’élance une tige qui se divise peu à peu en un grand nombre de rameaux, chargés d’un grand nombre de fleurs jaunes.


II. Chou pomme de Saint-Denis ou d’Aubervilliers. Il diffère du précédent, 1o. par la hauteur de sa tige plus élevée ; 2o. garnie d’un plus grand nombre de feuilles, dont la couleur est celle du vert foncé ; 3o. par sa pomme un peu pointue à son sommet. Elle est ferme & blanche : c’est l’espèce la plus commune des environs de Paris.


III. Chou pomme rouge, ou plutôt violet lustré. Sa pomme est très-grosse, souvent large, de huit à douze pouces de diamètre, chargée de veines & de nuances plus ou moins foncées. Sa couleur le fait aisément distinguer de tous les autres.


IV. Chou pomme blanc hâtif, ou de Bonneuil. Il mûrit après les deux précédens, mais il a sur eux l’avantage d’avoir une pomme plus grosse, un peu aplatie, fort serrée & tendre ; sa tige est basse ; sa feuille est ample, ronde, d’une couleur, verte, mêlée de bleu.


V. Petit Chou pomme frisé précoce. C’est avec raison qu’on l’appelle précoce. Il ne reste pas ordinairement plus de quarante jours à pommer, à dater de celui où il a été replanté. Sa tige est fort basse, ses feuilles sont frisées sur les bords, leur couleur est d’un vert clair ; sa pomme est ferme, blanche, très-petite. Il est tendre & très-bon.


VI. Chou pomme pointu d’Angleterre, ou Chou pain de sucre. Je le regarde comme une variété du précédent ; il en diffère seulement par sa pomme en forme de pain de sucre, & par un goût plus délicat. Les amateurs le préfèrent à tous les autres. Les jardiniers ordinaires s’occupent peu de la culture de ces deux espèces, parce que les pommes en sont trop petites.


VII. Chou pomme de Strasbourg & d’Allemagne. Il est très-peu connu en France, le plus cultivé en Allemagne, & celui qui demande le moins de soins. Ses feuilles sont d’un vert pâle, & grandes ; sa tige est basse ; sa pomme est blanche, serrée, plate, fort évasée, entourée de feuilles qui font la coquille, volumineuses à l’excès, proportion gardée avec la grosseur des autres choux pommes. On en voit qui pèsent trente à quarante livres, & un particulier m’a assuré en avoir vu un qui pesoit quatre-vingts livres. Cette espèce de chou, si volumineuse & si pesante, est peut-être une variété perfectionnée du chou pomme de Strasbourg. L’auteur de l’École du Jardin Potager en fait une espèce distincte. Comme il ne l’a jamais cultivée, ni moi non plus, je vais rapporter ce qu’il en dit d’après d’autres : « La pomme n’est pas aussi serrée que celle des autres espèces, par la raison qu’il a la côte extrêmement grosse, ce qui l’empêche de se coiffer parfaitement ; sa feuille extérieure est d’un gros vert, lisse, précédée d’une longue queue un peu rougeâtre. Il est constant que dans nos provinces méridionales, le chou pomme de Strasbourg y devient le plus gros des choux ; mais jamais il n’y pèse trente à quarante livres. »


VIII. Chou pomme de Milan ; le plus délicat de tous les choux, & celui qui produit le plus de variétés ; on en distingue quatre principales, Tous ces choux ont une fleur blanche.


1. Chou de Milan à grosse tête. Sa tige est haute, très-garnie de feuilles frisées, & d’un vert foncé ; sa tête est grosse & ferme.


2. Petit Chou de Milan. Sa tige est courte, très-chargée de feuilles d’un beau vert, & très-frisées ; sa tête est ferme, & de moitié moins grosse que celle du précédent.


3. Chou frisé court. Sa tige est plus basse que celle des deux précédens ; ses feuilles sont arrondies, d’un vert tirant sur le bleu, frisées & cloquetées ; sa tête de la grosseur du petit chou de Milan, est très-serrée.


4. Chou à tête longue, bas de tige ; ses feuilles sont d’un beau vert, extrêmement cloquetées & alongées ; sa pomme est jaune, tendre, a la forme d’un œuf, de même grosseur que celle du No. 2.


Section III.

Des Choux non pommés, & cultivés dans les jardins.


I. Chou vert à grosses côtes ; Brassica oleracea viridis. La tige est basse ; les feuilles rondes, unies, épaisses, traversées par une grosse côte blanche ; la couleur des feuilles est d’un vert foncé.


II. Chou blond à grosses côtes. C’est une variété du premier ; il en diffère par ses feuilles, dont la couleur est d’un vert jaunâtre. Si ces deux espèces de chou sont placées dans une terre qui leur convienne, ils donnent une petite pomme ; le dernier est plus tendre & plus délicat que le premier.


III. Chou pancalier, ou Chou vert frisé. Sa feuille est verte, frisée & froncée sur les bords ; sa côte est très-grosse & tendre ; il ne fait presque pas de pomme. Ces choux tiennent le milieu entre les choux pommes & les choux sauvages.

Section IV.

Des Choux à racine semblable à celle des raves.


On peut regarder le chou à racine de rave, & celui à racine de navet, comme une variété l’une de l’autre ; mais il est difficile de décider celle qui a produit l’autre. Ces espèces jardinières, ou variétés botaniques, ne seroient-elles pas plutôt des espèces hibrides, (voyez les mots Espèces Hibrides & Étamines) formées par le mélange des étamines d’un chou quelconque, avec la fleur de la rave, ou des étamines de la rave, avec la fleur de quelques choux. Cette hibridicité est très-fréquente, lorsque plusieurs espèces de courges, citrouilles ou potirons sont plantées les unes près des autres, ou mélangées entr’elles. C’est le brassica napobrassica. Lin.

I. Chou rave, ou Chou de Siam. Ces dénominations indiquent, l’une, la forme de sa racine, & l’autre, le pays d’où on la tire. M. von Linné l’appelle brassica oleracea gongyloïdes. Sa tige, au lieu de s’élever comme celle des autres choux, reste dans la terre où elle s’enfle comme celle des raves, en prend la forme, & y acquiert un diamètre de trois, six ou huit pouces. L’intérieur a la même consistance que celui de la rave ; il est blanc, & l’écorce extérieure est jaunâtre, un peu rouge. Les feuilles naissent près de terre, & partent du centre de la tige comme celle des raves.

II. Chou Navet. Brassica napobrassica. Lin. Un auteur a regardé cette espèce comme un chou fleur dégénéré. Si cela est, ce que je ne crois pas, elle est singulièrement éloignée de son origine. La différence de celui-ci au précédent, consiste dans la forme de sa racine, imitant celle des navets, c’est-à-dire, alongée en manière de fuseau.


Section V.

Des Choux destinés aux usages économiques, & non pour la cuisine.


I. Chou colza. Brassica arvensis. Lin. Brassica campestris perfoliata flore luteo, Lœfling. Le jardinier méprise cette espèce, & le cultivateur de nos provinces septentrionales en fait le plus grand cas. Plusieurs auteurs ont confondu le colza avec la navette, parce qu’ils ne connoissoient pas les plantes sur lesquelles ils écrivoient. Le colza est décidément un chou, & la navette une rave. Ils ont encore été induits en erreur, parce que des semences de ces deux plantes, on retire une huile par expression, qui forme une branche de commerce, non-seulement très-étendue dans ces provinces, mais encore dans toute l’Allemagne : enfin, parce que leurs huiles sont en général vendues sous les dénominations d’huile de navette.

Il diffère peu des autres choux par les parties de la fructification ; son caractère spécial se tire des feuilles. On remarque successivement trois différentes espèces de feuilles, les séminales, celles qui partent de la racine, & celles des tiges. Les premières sont le développement des lobes de la graine ; elles sont en forme de rein, un peu échancrées dans le milieu, & elles tombent dès que la plante a poussé ses premières feuilles. Celles qui leur succèdent sont portées par un pétiole ou queue, long, charnu, quelquefois creusé en gouttière à sa partie inférieure ; l’extérieure est arrondie. Ces feuilles sont légèrement découpées à leur base, presque rondes à leur sommet, légèrement sinuées, & les sinus obtus. La base des feuilles est découpée en oreillettes, & ces découpures varient beaucoup ; toutes ces feuilles sont entièrement lisses, douces au toucher, & leur couleur approche de celle du vert de mer.

Les feuilles des tiges sont entières, faites en forme de cœur alongé par la pointe, & embrassent la tige par leur base ; de manière qu’on diroit qu’elle sort du milieu de la feuille.

La racine est pivotante, menue, fibreuse. Lorsque la plante est venue sans culture, & naturellement, sa tige s’élève depuis douze jusqu’à dix-huit pouces, & jusqu’à cinq pieds, & même plus, lorsqu’elle est convenablement cultivée. Cette tige se divise à son sommet en un grand nombre de rameaux alternativement placés, & en manière de spirale, recouverts par une feuille dans l’endroit de leur insertion à sa tige. Les fleurs naissent au sommet des rameaux ; elles sont jaunes, & la silique qui leur succède, est ordinairement jaunâtre dans sa maturité, & quelquefois rougeâtre, suivant les coups de soleil que le fruit a éprouvé.

On connoît deux variétés du colsat ; l’une nommée colza blanc, parce que les pétales ou feuilles de la fleur, sont blancs ; & le colza froid, dont les feuilles sont plus grandes & plus épaisses. Cette dénomination lui vient de ce qu’il supporte mieux les rigueurs de l’hiver.

II. Chou en arbre, ou Chou en chèvre, ou grand Chou vert. La première dénomination indique la hauteur de la plante, proportion gardée avec celle des autres choux, la seconde, qu’elle est destinée aux animaux de la ménagerie, & la troisième, la couleur de ses feuilles en général. De toutes les espèces de choux, c’est une de celles qui a produit le plus grand nombre de variétés. C’est le brassica arborea, de Morison.

Ce chou s’élève ordinairement à la hauteur de six pieds ; il pousse le long de sa tige, depuis le pied jusqu’à la tête, des feuilles qu’on peut cueillir d’un jour à un autre, à mesure qu’elles se multiplient. N’est-ce point aussi par le retranchement successif de ces feuilles que la tige s’élève, parce que la sève est obligée de se porter vers les feuilles du sommet, qui l’attirent avec force, jusqu’à ce que la grande masse soit retenue en partie par les feuilles qui naissent de nouveau vers le bas ? Il est certain que sans ce retranchement, la tige parvenue à une certaine hauteur, garnie de ses feuilles, pommeroit, & qu’elle acquéroit plus de consistance, au lieu de filer. Les feuilles, soutenues par de longs pétioles, ou côtes presque rondes & dures, sont grandes, peu épaisses, plates & peu frisées sur leurs bords. Il y a une autre espèce, dont les bords des feuilles sont presque aussi frisés que des chicorées ; d’autres, dont les feuilles frisées sont panachées de jaune, de rouge, &c. ; & par la bigarrure de leur couleur & de leur forme, elles offrent un coup d’œil très-agréable. Ces variétés de choux vivent deux ans. Ces dernières espèces sont le brassica sabellica, du chevalier von Linné. On l’a désigné en françois, sous la dénomination de chou frangé, ou de chou d’Espagne.


CHAPITRE III.

De la culture des Choux.


Tous les choux, en général, demandent un bon terrein, bien substantiel & frais. Il réussit mal dans les terreins maigres, sablonneux, même malgré les irrigations. Les sols forts, nouvellement dérompus, leur sont très-profitables. J’ai vu des choux cabus, monstrueux par la grosseur, dans un plantier de vigne, dont le terrein avoit été défoncé à dix-huit pouces. Ils n’auroient pas si bien réussi dans les provinces méridionales, à cause de la sécheresse des étés.


Section première.

De celle des Choux du premier ordre, ou Chou fleur & Brocoli.


I. Chou fleur. Plus cette espèce s’éloigne des pays méridionaux, plus elle diminue de qualité & de grosseur ; il convient donc, dans les provinces du nord, de prendre de grandes précautions, afin de se procurer de bonne heure cette agréable production.

Chou fleur hâtif. Si on désire jouir de bonne heure, il convient de semer le chou fleur tendre ou hâtif, le premier. Il n’est pas le meilleur au goût, mais il est plus printanier. À Paris & dans ses environs, où le fumier de litière surabonde, on le sème en janvier sur une couche (voyez ce mot) qui a jeté son grand feu. La graine est jetée de distance en distance, dans l’espace que peut recouvrir une cloche de verre ; elle est enterrée, & la cloche mise par-dessus. Si, au contraire, la couche est établie sous un châssis, on sème à la volée, sur toute sa superficie & on rabat le châssis, en observant cependant, ainsi que pour la cloche, d’en tenir une partie légèrement soulevée, afin de laisser respirer la plante, & faciliter l’issue de la grande humidité qui s’élève de la couche. Si après le semis, & lorsque la jeune plante commence à sortir de terre, la saison devient trop rigoureuse, le froid âpre & très-vif, c’est le cas de recouvrir le tout avec de la paille longue, pendant la nuit, de la retirer pendant le jour, lorsque le soleil paroît, & autant de fois qu’il est possible. Sans cette précaution, la plante s’étioleroit ; & si l’étiolement (voyez ce mot) est considérable, la plante réussira mal dans la suite.

Dès que la graine a germé, dès qu’elle a poussé hors de terre son premier dard, que ses deux lobes entr’ouverts ont formé ses deux feuilles séminales, qui ont la forme d’un rein, c’est le moment de transporter ces plantules sur une autre couche, de les espacer d’un demi-pouce, de les arroser légèrement, afin de serrer la terre contre leurs radicules ; enfin, de les couvrir avec des cloches, ou avec un châssis. (Voyez ces mots)

En mars, on les transplante de nouveau sur une autre couche, depuis douze jusqu’à dix-huit lignes de distance les uns des autres, & on les recouvre avec les cloches, ou avec les châssis. On leur donne souvent de l’air, soit afin de les y accoutumer, lorsqu’ils seront en pleine terre, soit pour les endurcir contre les vicissitudes de l’atmosphère. Cette seconde transplantation me paroît inutile, & même pourroit être supprimée, si, à la seconde, on donnoit plus de distance d’un pied à l’autre. Il est bien difficile que les racines encore tendres, & la plante même, ne souffrent pas toujours un peu de ces transplantations multipliées. Comme l’hiver, dans nos provinces du nord, est, pour ainsi dire, une saison morte, relativement au jardinage, ces petits soins ne dérangent, & n’occupent pas beaucoup les maraîchers.

Dès qu’on ne craint plus les rigueurs de la saison ; c’est-à-dire, vers la fin d’Avril, c’est le cas de replanter à demeure & en plaine, les jeunes choux ; ils ont alors six, sept ou huit feuilles bien formées. On aura eu soin auparavant de défoncer la terre profondément, de ne pas y épargner les engrais les plus consommés, mais non pas au point d’avoir perdu leur feu, leur énergie. Enfin, à la distance de deux pieds, en tout sens, on ouvre de petits trous, qu’on remplit de terreau ; & avec une cheville, on plante dans chacun un pied de chou fleur hâtif, qu’on y enterre jusqu’au-dessus du collet. Aussitôt après on retire la terre qui avoisine le collet, afin de former autour de lui un petit bassin, qui retiendra l’eau des arrosemens. Le premier a lieu aussitôt après que le plançon est mis en terre, afin qu’elle s’attache aux racines, & que ce terrein, jusqu’alors si meuble, se plombe. Quinze jours après, un second arrosement suffit ; mais, cette époque passée, il faut arroser de deux en deux jours, à moins que la pluie n’y supplée. Si l’on désire plus de grosseur dans les pommes, il faut biner tous les mois, & débarrasser le sol de toute herbe inutile, &, de temps à autre, ajouter du fumier, non pas aussi consommé que le premier ; il aidera à la vigoureuse végétation de la plante, & maintiendra l’humidité de la terre, en empêchant son évaporation.

Il est essentiel, après que les choux ont été replantés à demeure, de les visiter souvent, & presque jusqu’au moment où l’on coupe la pomme. Il s’agit d’examiner si tous les plants ont repris ; s’il y en a de foibles, de languissans, de les arracher, & de leur en substituer de nouveaux ; s’il s’en trouve de borgnes, ou sans œil, de les arracher, ainsi que ceux dont la feuille, qui doit avoisiner la pomme, a été détruite, ou très-endommagée d’une manière quelconque : si, sur des tiges foibles, la pomme paroît, & devance le temps ordinaire, c’est le cas de butter la tige avec de la terre, de former un bassin tout autour, & de multiplier les arrosemens ; enfin, lorsque la pomme est sortie, & qu’elle a acquis la grosseur du poing, de lier les feuilles par l’extrémité, ou de les rompre par le milieu, afin que, recouvrant la pomme, elle blanchisse & augmente de volume au-dessous de cette enveloppe. Telle est la méthode des environs de Paris, & qui peut s’appliquer aux provinces plus septentrionales, si elles ont la facilité d’avoir des fumiers pour les couches. Le mérite de l’espèce de chou dont on vient de parler, est d’être plus printanière que les autres, de prospérer mieux dans les années sèches, & dans les terres fortes. Il est donc d’une grande ressource pour le jardinage des provinces du nord ; mais, comme les prix des primeurs ne sont pas partout aussi hauts qu’à Paris, le jardinier n’a pas les mêmes moyens : je lui conseille de construire des châssis en papier, semblable à ceux dont les hollandois se servent pour les semis du tabac. (Voyez le mot châssis) Un coin de mur qui abrite bien, un encaissement fait grossièrement avec des planches, & environné de toutes parts par la terre, ou placé dans une fosse faite exprès, suffira pour ses semis ; & la paille jetée par-dessus le châssis & la terre environnante, pendant les jours les plus rigoureux, les préservera des trop fortes impressions du froid.

Dans les provinces du centre du royaume, on peut semer dans un bon abri, dès la fin de février, & dans les méridionales, en janvier même ; car les froids de ce mois y sont ordinairement moins actifs que ceux de février, lorsqu’ils s’y font sentir. Des abris, une terre bien préparée & bien fumée, une couche, si on le peut, suffisent : il est inutile de transplanter aussi souvent qu’à Paris ; le plançon ne doit se lever du lieu du semis, que pour être mis à demeure dans la terre qu’on lui destine.

Dans ces provinces, on ne fait, en général, aucune différence entre le chou fleur hâtif, & le chou fleur tardif ; ils sont semés tous en même temps. Comme on ne leur donne pas les mêmes soins qu’à Paris, on les cueille un peu plus tard. Il n’est pas rare de voir dans cette Capitale des choux fleurs hâtifs dès le mois de Juin ; & ceux qui les cultivent dans nos pays méridionaux, les récoltent en juillet & en août.

Du chou fleur tardif. La pomme de ce chou est plus grosse que celle du précédent, & elle est plus délicate à manger. Dans les provinces méridionales, on les sème en janvier, février, avril, juin, août & octobre, & on les mange depuis le mois de novembre, jusqu’à celui d’avril. On doit observer que cette indication générale souffre des modifications, souvent d’un lieu à un autre peu éloigné, à cause du plus ou du moins d’intensité de chaleur, de la qualité du sol, de la facilité des irrigations, &c. Il faut encore observer que les arrosemens, dont on a parlé plus haut, sont suffisans dans les provinces du nord & du centre du Royaume, mais que vingt hommes, employés toute la journée à charier des arrosoirs pleins d’eau, ne suffiroient pas pour donner l’eau nécessaire aux plantes d’un jardin de deux arpens, situés au midi du Royaume, où on est forcé d’arroser par irrigation. (Voyez ce mot) Comme les chaleurs sont vives, & l’évaporation considérable, on ne plante pas les choux fleurs, ni les brocolis dans des carreaux, mais tout le long du bord du petit fossé ou rigole, qui distribue l’eau sur toutes les parties du carreau. De cette manière, ces espèces de choux, qui aiment beaucoup l’humidité, sont fréquemment & abondamment arrosées. Si, dans le nord, on suivoit la méthode des provinces méridionales, on auroit de bien chétives productions, & ainsi tour à tour.

M. Descombes, dans son École du jardin potager, ouvrage très-bien fait pour le climat de Paris, décrit ainsi la culture du chou fleur tardif. Je le copie mot pour mot.

« On le sème de deux manières : les uns le sèment fort clair, à la fin d’août, à l’abri du nord, dans des baquets remplis de terre & de terreau mêlés ensemble, qu’ils ont soin d’arroser à propos, & ils les laissent dans cette situation jusqu’aux gelées : ils les enferment alors dans de grandes serres pendant tous les froids, & les remettent à l’air aussitôt que le temps se radoucit. Le mois de mars arrivé, ils les replantent en place, & les arrosent.

» Cette manière n’est pas fort usitée, par la raison que ce plant, souvent enfermé dans la serre, jaunit lorsque les hivers sont un peu longs, s’attendrit ensuite lorsqu’on le met en plein air ; mais si leur prison dans la serre n’est pas longue, & si on a l’attention de sortir de temps en temps ces baquets, lorsqu’il survient de beaux jours, on peut être sûr que le plant réussira bien, & qu’il donnera son fruit le premier. S’ils ont besoin d’un peu d’eau, on leur en donne. La règle est de laisser dans un baquet de deux pieds de diamètre, environ cinquante plants.

» La seconde manière de le semer est celle de nos maraîchers : ils le sèment le 1er. octobre sur couche, avec l’attention, quand il est levé, d’ôter les cloches pendant le jour, lorsqu’il ne gèle pas, pour l’accoutumer à l’air, & de les remettre tous les soirs. On les repique ensuite sous cloche, le long d’un mur bien exposé, après avoir bien labouré & bien terreauté la terre : on en met vingt à vingt-cinq sous une même cloche, & on observe de ne pas trop les enterrer ; il suffit qu’ils le soient autant qu’ils l’étoient sur la couche.

» Au bout de quatre à cinq jours, on donne un peu d’air aux cloches, si le temps est favorable ; & huit jours après, on les ôte tout-à-fait pendant le jour, pour les endurcir ; mais on a soin de les remettre le soir.

» On les laisse dans cette situation jusqu’à la fin de février, auquel temps on les repique sur couche, & on les remet un peu plus au large. Douze à quinze sous chaque cloche suffisent : on les tient couverts pendant quatre à cinq jours, jusqu’à ce qu’ils aient bien repris, & on leur donne ensuite un peu d’air, si le temps n’est pas trop rigoureux. Huit jours après, on ôte entièrement les cloches pendant quelques heures du jour, & tous les soirs on les remet ; car il faut qu’ils s’endurcissent à l’air en même temps qu’ils profitent.

» Lorsque les plus grands froids sont passés, on ôte tout-à-fait les cloches, & on bâtit un petit treillage, sur la couche, pour soutenir quelques paillassons qu’on jette par-dessus, pendant les nuits seulement, à moins qu’il ne survienne encore quelques jours de gelée ou de giboulées ; auquel cas, on les tient couverts.

» On les laisse se fortifier dans cette situation jusqu’à la mi-avril, & on les replante alors en place, espacés de deux pieds ou deux pieds & demi, si c’est une terre bien fertile, & non pas forte ; car cette dernière qualité de terre ne convient pas à cette espèce. On observe d’y mettre un peu de terreau comme au chou tendre ; & s’il s’en trouve de borgnes, ou qui paroissent disposés à monter, on les rejette. On a attention aussi que le pied soit enterré jusqu’aux premières feuilles, en observant de même de ne les mouiller que fort légèrement, ou point du tout, & de les abandonner pendant quinze jours.

» Quand ils sont bien repris, on commence alors à les mouiller de deux en deux jours ; mais dès que le mois de mai arrive, il faut les mouiller amplement, & régulièrement de deux en deux jours, à moins qu’il ne tombe de grandes pluies ; car les petites ne doivent pas en dispenser. La bonne dose est d’en mettre une cruchée ou arrosoir pour trois pieds, & il faut la jeter par la pomme, & non pas par la gueule de l’arrosoir, comme font beaucoup de jardiniers, afin que les feuilles profitent de ce rafraîchissement, aussi-bien que le pied ; & que si elles ont reçu quelques mauvaises influences de l’air, cette eau les puisse laver, & empêcher d’éclore les mauvaises semences d’insectes, que les brouillards, ou autres intempéries y apportent. Le puceron, le tiquet, les chenilles sont leurs grands ennemis. »

Sur ce dernier point, je ne suis pas de l’avis de M. Descombes : les brouillards, les intempéries de l’air peuvent nuire aux choux, en agissant mécaniquement sur eux ; mais il est bien démontré qu’ils n’apportent aucun insecte, ni les germes de ces insectes ; que l’irrigation sur les feuilles ne sauroit les détruire, puisque les insectes, toujours prévoyans, placent les œufs sous les feuilles, & jamais par-dessus : dès-lors ils sont à l’abri des effets de l’eau des arrosemens, & de celle des pluies les plus abondantes. Dans toutes les provinces du Royaume, où l’on arrose par irrigation, il est impossible que le petit ruisseau qui passe au pied des plantes, puisse en arroser les feuilles ; cependant elles sont infiniment moins arrosées par la pluie, que dans les provinces du nord, puisque, dans celles du midi, il y pleut rarement, & que souvent, pendant l’été, il s’écoule plus de trois mois avant qu’il tombe une seule goutte de pluie ; cependant les choux fleurs de toute espèce y sont de beaucoup plus volumineux que sous les climats pluvieux du nord de la France, & n’y sont pas plus attaqués par les insectes que les autres. Il ne faut donc point attribuer aux brouillards, ni aux influences de l’air, la génération des insectes ; ils ont leur père & leur mère, comme l’homme, les chevaux, &c. ont les leurs ; & les papillons même, qu’on appelle papillons des choux, sont nés sur le lieu, ou dans un voisinage peu éloigné. Reprenons la description de M. Descombes.

« Quand les choux commencent à grossir, il faut leur faire un petit bassin au pied, qui retienne l’eau ; & si c’est en terre grasse, un peu de grand fumier au pied leur est très-avantageux ; il conserve la fraîcheur, & empêche la terre de se durcir.

» Leur pomme se trouve bonne à couper au mois de juin, si la saison a été favorable. »

Voici encore une très-bonne observation de M. Descombes : « Si on en trouve une grande quantité qui pomme à la fois, & plus qu’on en peut consommer, il faut arracher les pieds avant que la pomme soit tout-à-fait à sa perfection, & les enterrer jusqu’au collet dans un endroit frais, la tête penchée, & près à près ; ils achèvent de grossir, & s’entretiennent bons assez longtemps. Sans cette précaution, ils montent en graine, & on en perd beaucoup.

» Les choux fleurs qu’on veut avoir dans l’automne & en hiver, exigent une culture plus simple, & différente : on sème la graine assez clair au mois de mai, le long d’un mur placé au nord, ou au couchant ; on herse bien la terre, après l’avoir labourée, & on jette par-dessus deux pouces de terreau ou de crotin de cheval brisé : elle lève en peu de jours ; & quelquefois à peine est-elle sortie de terre, qu’elle est dévorée par les tiquets. Nous dirons comment on les détruit, à l’article des ennemis des choux. On laisse fortifier le plant, sans autre soin que de le sarcler & mouiller souvent, jusqu’à ce qu’il soit en état d’être planté à demeure. On les conduit ensuite de la même façon que les premiers ; mais, surtout, il faut les mouiller copieusement dans les mois de juillet & d’août. Ils commencent à donner leur fruit en octobre ; & il est d’autant plus beau, que l’été s’est trouvé plus pluvieux ; car les sécheresses leur sont très-contraires, & ils se succèdent les uns aux autres, jusqu’en décembre. Il s’en trouve même une partie dans le nombre, qui ne pomme pas en place, & qu’il faut mettre dans la serre, où leur pomme se fait : ce sont ceux qui servent pour la fin de l’hiver.

» Les précautions à prendre pour les enfermer, sont de choisir d’abord un beau jour, quand il n’y a ni eau ni humidité sur les plantes ; &, pour plus de sûreté encore, on les pend en l’air par la racine, pendant un jour ou deux, dans un lieu fort aéré. On leur ôte ensuite une partie de leurs feuilles les plus basses, & on les enterre près à près, jusqu’au collet, dans des tranchées de profondeur convenable, & dans un terrein de sable. S’il est trop sec, on le mouille un peu auparavant, & l’on donne de l’air à la serre, le plus que l’on peut. Lorsque les gelées surviennent, on calfeutre porte & fenêtre : ils font leur pomme dans cette situation, plus petite à la vérité qu’en plein air ; mais on est bien aise de les trouver telles pendant tout l’hiver. Ils vont quelquefois jusqu’à Pâques, quand la serre est bonne, & qu’on a soin d’ouvrir les fenêtres, dès que le temps s’adoucit.

» Dans les mois de novembre & décembre, pendant lesquels ils sont encore en pleine terre, il faut de l’attention pour les préserver des gelées, souvent assez fortes, en faisant porter de la grande litière bien secouée, au bord des carrés, pour les couvrir diligemment, lorsque le temps menace ; & à mesure que les pommes sont en état d’être coupées, il faut les porter dans la serre. On coupe le pied au-dessous de la pomme ; on les dépouille de toutes leurs feuilles, jusqu’à fleur de la pomme ; c’est-à-dire, on les coupe à fleur, sans les éclater, & on les range proprement sur des tablettes. Ils se conservent bons, quoique coupés depuis deux ou trois mois ; mais il faut que la serre ait de l’air, & ne soit pas humide ; sans quoi, ils moisissent & pourrissent. »

M. Descombes, & avec lui presque tous les maraîchers des environs de Paris, distinguent le chou fleur tardif demi-dur, du chou fleur tardif, dont on vient de parler. Voici ce qu’il en dit : « C’est une espèce qui tient le milieu entre les deux autres, & qui se sème dans le même temps, & de la même manière que le dur ; mais on peut également le semer sur couche en janvier & en février, & il se trouve bon entre les premiers & les derniers. Il n’est pas tout-à-fait si parfait que les durs ; mais il n’a pas non-plus le défaut du tendre, & il s’accommode mieux de toute sorte de terre : il se soutient mieux aussi dans les années, soit pluvieuses, soit sèches, que ne le fait le tendre ni le dur, qui demandent chacun une saison, & un terrein différent. »

II. Du brocoli. On distingue deux espèces de chou brocoli ; le brocoli violet, ou de Malthe ou de Rome, & le brocoli commun, ou jaune ou blanc ou vert, variétés de couleur dans ses bourgeons.

Ce chou, comme le chou fleur, perd ses qualités, en raison de son éloignement des pays chauds. À force d’art & de soins, on parvient à se procurer, dans nos provinces du nord, d’assez beaux brocolis, mais jamais aussi forts & aussi délicats que dans celles du midi. Ici on les sème dans le même temps, & de la même manière que les choux fleurs ; on les transplante à demeure dès qu’ils ont cinq ou six feuilles, le long des rigoles servant à l’irrigation, dont on bine le terrein une fois ou deux dans l’année ; mais, avant la transplantation, il a été soigneusement défoncé, & fortement fumé.

Dans les provinces du nord, il se sème sur couche à la fin de janvier, & sa conduite & sa culture sont les mêmes que celles du chou fleur hâtif. Si on le sème en pleine terre, en avril, sa culture est semblable à celle des autres choux ; mais il faut l’arroser plus souvent. Lorsque la saison des gelées approche, on enlève les pieds de terre, & on les porte dans la serre, ainsi qu’il a été dit ci-dessus. Le brocoli commun se sème en mars, & se cultive comme le premier.


Section II.

De la culture des Choux du second ordre, ou des Choux pommes.


I. Chou pomme ou cabus. Dans les provinces méridionales, on sème ce chou au commencement d’octobre. Après sept ou huit jours, il est hors de terre, & on le replante en mars & en avril. Si, avant cette dernière époque, la saison devient trop rigoureuse, il convient de couvrir avec de la paille la pépinière au moins pendant la nuit, & avant que le soleil se couche ; car il est rare que le temps soit couvert dans ces provinces pendant le froid. On enlèvera cette paille aussi souvent que la saison le permettra, afin de donner de l’air aux plantes, & prévenir leur étiolement. Il est inutile de répéter que la terre destinée à la pépinière doit avoir été bien défoncée, & largement fumée ; & si on peut se procurer de bons abris, il faut les préférer à toute autre position.

Les choux semés en octobre, & replantés en mars ou en avril, se hâtent souvent de monter en graine ; les chaleurs du printemps les pressent trop ; & les irrigations, même les plus répétées, ne modèrent pas toujours leur impétuosité. Il vaut beaucoup mieux retarder les semailles, & attendre le mois de novembre, pour les replanter en mars. Si on a de bons abris, & assez de fumier de litière pour faire des couches, on peut semer en janvier, & replanter dès que les tiges ont cinq à six feuilles. Tant que la plante est en pépinière, elle exige d’être préservée des gelées.

On forme des carreaux entiers avec ces choux, & on les plante à la distance de deux pieds l’un de l’autre, sur un des côtés de l’ados du sillon. Au mot Irrigation, je décrirai la méthode de tracer les sillons, parce que, sans leur secours, on ne sauroit arroser. L’autre ados du sillon est garni par des salades & autres menues herbes, qui ont le temps de compléter leur végétation avant que les feuilles du chou puissent leur nuire par leur ombrage, & les priver des bienfaits de l’air. Si on le peut, il convient de replanter pendant des jours pluvieux, malheureusement trop rares dans ces provinces, lorsque l’hiver a terminé son cours.

On laisse communément à demeure, & pour monter en graine, les choux placés à l’extrémité du sillon, opposée à celle par où l’eau entre. Comme cette extrémité est fermée, & que l’eau ne sauroit aller plus loin, l’écume, l’engrais, entraînés par l’eau de l’irrigation, s’y rassemblent, & le chou est ordinairement le plus beau. Si on ne prend pas ce parti, on laisse un rang à la tête, ou à l’extrémité du carreau ; de manière qu’aussitôt que la récolte des choux est finie, on peut travailler tout de suite la terre du carreau, & la couvrir de nouveaux plants, ou la semer. D’autres transplantent quelques-uns des plus beaux pieds, afin de garnir entièrement les carreaux ; ils les mettent dans un lieu abrité. Les froids du mois de février 1782, qui ont fait beaucoup de mal aux oliviers, n’ont nullement endommagé les choux destinés pour la graine. L’intensité du froid a été de sept degrés.

Dans les environs de Paris, on sème le chou cabus en août, & on le plante en octobre, dans un lieu à l’ombre, où il passe l’hiver, en le garantissant des effets des gelées, ainsi qu’il a déjà été dit plus haut ; mais si la gelée les surprend avant qu’on ait pu les en garantir, il faut attendre que le soleil les ait fait dégeler, & on les couvre ensuite. On leur donne de l’air quand on le peut, &c.

On replante ce chou en mars, à deux pieds ou deux pieds & demi de distance en tout sens : on commence à en manger au mois d’août, & sa pomme ne se conserve pas longtemps. Si on sème en mars, la pomme du chou cabus sera bonne en septembre, octobre & novembre.

Tous les choux pomme, en général, ont une tendance à crever ou à se fendre : dès-lors la pluie pénétrant dans l’intérieur de la pomme, la fait pourrir. L’expérience a démontré aux maraîchers, qu’avec un peu de soins, il est possible de prévenir cette rupture qui les prive de leur plus douce espérance, au moment de jouir. Voici leur procédé : lorsque la pomme est parvenue au point de sa grosseur, ils arrachent la plante à moitié, & la force de la végétation est ralentie par le brisement d’une partie des racines. Celles qui restent intactes reprennent une nouvelle vigueur, & semblent vouloir dédommager la plante de la perte de nourriture qu’elle avoit faite. En effet, elles parviendraient à rétablir le cours dé la végétation, si on ne se hâtoit pas, dès qu’on s’apperçoit de sa reprise, d’arracher entièrement le pied de terre, & d’enlever, de dessus la tige, toutes les feuilles, excepté celles qui forment la pomme. Après cette opération, on étend sur la terre, dans un lieu abrité du soleil, chaque pied de chou l’un près de l’autre, la tête tournée au nord, & on jette de la terre sur les racines. On commence de la même manière un second, un troisième rang, & ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les pieds soient en sûreté. En suivant cette méthode, on les conserve fort longtemps ; mais s’il survient de fortes gelées, il est essentiel de les couvrir avec de la litière longue & sèche.

Les pieds ainsi disposés, on choisira ceux qui auront le mieux passé l’hiver, & on les conservera pour grainer. Après la saison des froids, c’est-à-dire, en mars, on les replantera à demeure. À mesure que le renouvellement de chaleur commence à se faire sentir, la tige s’élance du milieu de la pomme qui crève ; elle se charge de rameaux de fleurs, ensuite de siliques qui renferment la graine, vertes d’abord, ensuite jaunâtres, & quelquefois rouges. Dès qu’on s’apperçoit que les siliques commencent à s’ouvrir, c’est le moment de couper la plante par le pied, & de l’exposer perpendiculairement, & pendant un jour, à l’ardeur du gros soleil.

Il y a deux observations à faire. La première est, que les feuilles qui forment la pomme du chou, sont si serrées les unes contre les autres, que la tige n’a pas la force de les pénétrer, & de s’ouvrir un passage. Elle soulève ces feuilles autant qu’elle peut, les détache en partie les unes des autres ; l’air & l’humidité les pénètrent ; enfin, elles pourrissent & sont pourrir la tige. Dès qu’on reconnoît cette résistance, qui s’oppose à l’élancement de la tige, il faut fendre en croix la masse des feuilles, mais prendre garde de ne pas attaquer la tige ; & il vaut mieux revenir, pendant plusieurs jours de suite, à l’opération, que de trop brusquer la première.

La seconde observation consiste à cueillir, pour sont usage seulement, les graines de la tige du milieu, & on fera affiné d’avoir de beaux choux dans la suite : elles sont toujours les plus saines & les mieux nourries. Les marchands de graines potagères achètent de toutes mains, & les graines des rameaux qui naissent sur les côtés de la tige, sont très-inférieures aux premières, soit parce qu’elles sont moins bien nourries, soit parce qu’elles n’étoient pas assez mûres, lorsqu’on a coupé la plante par le pied. On ne doit donc pas être étonné, si plus de la moitié des graines qu’on achète chez ces marchands, ne lèvent pas, ou lèvent mal. Ce qui vient d’être dit du chou cabu, s’applique à tous les choux pomme.

Pomme de Saint-Denis ou d’Aubervilliers. On le sème dans les environs de Paris, en mars & en août, & il y est cultivé de la même manière que le chou cabu, dont on a parlé : c’est le chou pomme qu’on y mange pendant tout l’été. Dans les provinces méridionales, on le sème en janvier & février, & sa culture n’a rien de particulier.

Pomme blanc-hâtif ou de Bonneuil. Dans le nord, on le sème en janvier sur couche, & en août, en pleine terre. Il est bon à manger à la fin de juin : vers le midi, on le sème & on le cultive comme le précédent.

Pomme rouge ou violet. Il est désagréable à la soupe, à cause de la couleur qu’il donne au bouillon, très-bon pour les apprêts, & surtout pour confire au vinaigre comme des cornichons. Dans les environs de Paris, on le sème & le cultive comme le chou de Saint-Denis ; & au midi, on le sème en janvier & en février. Il y passe fort bien l’hiver en pleine terre ; tout au plus faut-il le couvrir d’un peu de paille pendant les fortes gelées. Il n’a donc pas besoin d’être replanté pour grainer.

Pomme cabu frisé précoce. Si on le sème en août, si on le repique en octobre, & si on le garantit des gelées, on peut en avoir de bien pommés au mois de mai suivant. Il est très-peu connu dans les provinces méridionales.

Pomme pain de sucre, ou pointu d’Angleterre, également presque inconnu dans les provinces du midi. On le sème, dans le nord, pendant le mois d’août ; on le repique en pépinière dans un bon abri, & on le replante en février & mars, & sa tête est formée en mai.

Pomme de Strasbourg, ou d’Allemagne. Dans les environs de Paris, on le sème en mars, & on le replante en mai. Si on le sème en août, si on le repique en octobre, il passe l’hiver en le garantissant légèrement des gelées. C’est le chou le plus commun d’Allemagne ; des champs entiers en sont couverts. Après avoir bien défoncé & amplement fumé la terre, on trace de profonds sillons avec la charrue. Quelques-uns garnissent les sillons au plantoir ; d’autres couchent les pieds dans ces sillons à distance égale, & par une seconde raie avec la charrue à versoir, ils recouvrent le premier sillon, & par conséquent enterrent le tronc & les racines. Ces deux manières d’opérer supposent nécessairement une chaleur modérée de l’atmosphère, & une fréquence de pluie inconnue dans les pays méridionaux. Ce premier travail n’est pas suffisant. On doit, de temps à autre, travailler les choux au pied, les serfouir, & détruire les mauvaises herbes. C’est avec ce chou que les allemands préparent le saur-kraudt, dont on parlera dans un des chapitres suivans.

Pomme de Milan... De Milan à grosse tête. Il ne craint point les rigueurs de l’hiver, ce qui permet de le semer, dans le nord, en mars & en avril. On peut encore le semer en août, le repiquer en pépinière en octobre, & le replanter en mars. Il est bon à manger en juillet, mais il n’est pas aussi délicat que celui qui a été attendri par la gelée. Dans les provinces du midi, on le sème en février.

Petit Chou de Milan, très-tendre, très-délicat ; il se sème comme le premier, craint plus la gelée, & sa pomme crève facilement. Voyez pour sa conservation, ce qui a été dit à ce sujet, dans l’article du chou cabu. Dans les provinces du midi, on le sème en février.

Chou frisè court. Au nord, on le sème sur couche en février ; en avril, en pleine terre ; en juin, à l’ombre ; il craint peu les gelées : au midi, en février.

Chou de Milan à tête longue, excellent au goût, craint beaucoup les gelées : on le sème comme le précédent.


Section III.

Des Choux du troisième ordre, non pommés, & cultivés dans les jardins.


Du Chou vert, & du Chou blond à grosses côtes. Le blond est plus délicat au goût que l’autre, plus tendre quand il a essuyé quelques petites gelées ; mais il craint le grand froid ; le vert supporte toutes les intempéries de la saison, & même elles l’attendrissent ; & pour les avoir dans leur perfection, il convient de les cueillir, & de les faire cuire lorsqu’ils sont chargés de glaçons : on les sème à la fin de juin ; on les repique en août, & on les plante jusqu’à la mi-septembre : le blond que l’on veut garder pour graine, demande à être couvert pendant les gelées. Dans les provinces du midi, on les sème en janvier & février. On les cultive plus pour leurs feuilles, que pour leur pomme presque sans grosseur.

Chou pancalier, s’attendrit par les neiges & les frimats. Au midi, il se sème en janvier & février, & au nord, en mai & en avril. Ce chou est d’une grande ressource dans les pays montagneux & froids.


Section IV.

Des Choux à racine semblable à celles des navets.


Chou rave, ou Chou de Siam. Cette plante, plus cultivée pour sa tige, ou pour mieux dire, pour sa racine, est employée dans les cuisines, comme les grosses raves du Dauphiné, de Savoie. (Voyez ce mot) On le sème en avril, & on le replante dans le courant de juin. Il demande beaucoup d’eau, si on ne veut pas que la racine se corde. À l’entrée de l’hiver, un peu avant les gelées, on l’arrache de terre ; & après l’avoir dépouillé de ses feuilles, on amoncèle ses racines dans un lieu à l’abri des gelées. Les pieds qu’on destine à grainer, sont ménagés & enterrés dans le même lieu. Dès que la saison des froids est passée, on les replante de nouveau, & ils donnent leurs graines dans le temps désigné par la nature, & souvent très-différent, à raison des climats. Dans les provinces du midi, on le sème en janvier & en février.

Chou navet. Il se sème, se cultive & se conserve comme le précédent ; il n’en diffère que par la forme de sa racine.

Les jardiniers font peu de cas de ces deux espèces, & les cultivent plutôt par curiosité que pour donner du profit. L’agriculteur a des yeux diffère ns ; il en fait le plus grand cas, parce que ces plantes offrent une nourriture d’hiver précieuse au bétail.


Section V.

Des Choux non cultivés dans les jardins, mais destinés aux usages économiques.


Chou colza. La culture de cette plante est d’un grand produit dans le nord ; elle fournit la meilleure huile qu’on y puisse retirer des productions du sol. Dans les pays du centre du royaume, l’huile de noix supplée à celle du colza : aussi on le cultive peu. Cependant, depuis un certain nombre d’années, sa culture y prend faveur, & je ne désespère pas qu’avec le temps tous les noyers ne disparoissent. Rien de si casuel que la récolte des noyers, rien de plus sûr que celle du colza. L’huile de colza bien faite l’emporte, à mon avis, sur celle de noix : il est donc raisonnable de rendre aux grains, le terrein immense que le noyer couvre de son ombre. D’ailleurs la récolte en blé, qui suit celle du colza, est toujours excellente, parce que la racine de cette plante pivote & n’effrite, & n’appauvrit pas la superficie ni les six pouces de profondeur de terre dans laquelle la racine de cette plante s’enfonce. Cette culture mériteroit des encouragemens de la part de l’administration, afin d’avoir, pour la consommation intérieure du royaume, assez d’huile, sans être obligé de recourir à l’étranger. Ce que je dis ne peut pas s’étendre, jusqu’à un certain point, aux provinces méridionales, parce que la chaleur y est très-forte, & la pluie très-rare, à moins qu’il ne fut possible de détourner des eaux, & d’arroser les champs plantés en colza. Dans ce cas, il vaudrait beaucoup mieux les convertir en prairies, le produit seroit beaucoup plus considérable. Je vais donner une certaine étendue aux détails sur sa culture, à cause de son importance.

Le colza ne se plaît pas dans les terres légères, sablonneuses, caillouteuses, elles laissent trop facilement écouler l’eau ; la tige file, prend peu de consistance ; la graine est petite, son écorce coriace, & son amande est sèche. Cependant l’huile qu’on retire des grains de ce colza, est plus délicate. Dans un terrein trop gras, trop argileux, & qui retient l’eau, le colza jaunit promptement, y végète avec peine ; il y pousse avec lenteur une tige fatiguée, produit des siliques étiques, des grains petits, remplis d’eau surabondante de végétation, & ils contiennent peu d’huile. C’est donc une bonne terre végétale que le colza exige. Celle à froment lui convient, si son fond est d’un pied de profondeur. Il seroit ridicule de proposer de convertir nos terres à froment en terres à colza ; on verra bientôt que la culture de l’un ne nuit point à celle de l’autre.

I. Examen des manières de semer. Il y a deux méthodes de semer le colza. Dans les pays du nord, où cette culture est en si grande recommandation, on le sème en pépinière pour le replanter ensuite : dans l’intérieur du royaume, ou cette culture commence à prendre faveur, on le sème comme le grain ; sans doute qu’on ne la connoît pas assez parfaitement, mais peu à peu l’expérience dessillera les yeux de l’agronome, & lui apprendra à connoître ses véritables intérêts.

Les avantages des pépinières se réduisent, i°. au choix du terrein, & il est aisé de trouver un petit espace convenable ; 2°. la pépinière est ordinairement près de l’habitation, & le terrein qui l’environne est toujours la partie la mieux cultivée ; 3°. on défonce plus facilement une parcelle de terre qu’une vaste étendue. La proximité, l’occasion, l’emploi de plusieurs momens qu’on auroit perdus, contribuent singulièrement à améliorer ce petit fonds ; 4°. on y voiture à moins de frais les engrais, dès lors ils y seront plus abondans ; 5°. sans cesse sous les yeux du propriétaire, la pépinière est mieux soignée, mieux dépouillée des mauvaises herbes ; 6°. les semences confiées à une terre ainsi préparée, dans le temps le plus avantageux, germeront & végéteront avec plus de vigueur ; 7°. le colza blanc, qui germe si difficilement, y réussira, tandis qu’on l’auroit confié en pure perte à un autre sol ; 8°. une plante ainsi élevée, est plus garnie de chevelus, dès-lors sa reprise est plus assurée ; 9°. enfin, la pépinière laisse tout le loisir convenable de préparer parfaitement le champ qui doit recevoir le colza, & permet le choix du moment propice pour sa transplantation. Les avantages du semis en grand, se réduisent à économiser un peu sur le temps, puisqu’un homme sèmera, dans un jour, un champ, tandis qu’il faudra une semaine entière pour replanter la même étendue de terrein ; mais si l’on considère combien il faudra de journées pour arracher les plants surnuméraires, on verra que la dépense sera la même, sans compter la perte de la valeur au moins de trois quarts de semence de plus.

II. De la culture du Colza semé comme le grain. Les travaux se réduisent à donner à la terre, les engrais convenables & en quantité suffisante, à travailler le terrein, à semer, à herser, à sarcler.

i°. Engrais. Lorsqu’on moissonne un champ à blé, & qu’on destine l’année survante à porter du colza, il faut couper la paille assez haut. Ce chaume devient un engrais, léger à la vérité, mais il tient les molécules de terre soulevées, ce qui produit un bon amendement. (Voyez ce mot) Le terrein qu’on appelle vulgairement & fort mal à propos, froid, exige plus d’engrais qu’un terrein léger. (Voyez ce mot) Il n’est pas possible de fixer la quantité de fumier nécessaire à chaque genre de terrein ; les nuances des uns aux autres sont trop multipliées. L’abondance en ce genre ne nuit pas ; le trop seul est nuisible, surtout si le fumier n’est pas bien consommé avant de l’enfouir dans la terre. C’est au propriétaire à étudier & à connoître la nature du sol de son champ. Le colza ordinaire exige moins d’engrais que le colza blanc, & le blanc moins que le colza froid.

2°. Préparation du terrein. Dès que le bled est coupé, on se contente de donner aussitôt un labour : la terre battue & serrée par les pluies d’hiver & du printemps, endurcie par la chaleur de l’été, n’est point assez divisée ; & la raison dicte, je ne saurois trop le répéter, que le défoncement doit toujours être en raison de la forme des racines d’une plante. Si la racine est pivotante, & qu’elle ne puisse pas s’enfoncer aisément dans le sein de la terre, qu’elle soit obligée de gagner en surface ce qu’elle auroit acquis en profondeur, que peut-on en attendre ? C’est, de propos délibéré, contrarier les loix de la nature. Ainsi, un seul sillon ne soulève pas assez de terre, & la soulève en mottes ; il faut absolument croiser & recroiser, & encore cette méthode est-elle vicieuse, parce qu’on est obligé de donner les labours coup sur coup. Semez en pépinière, & vous aurez le temps de semer vos champs.

3°. Des semailles. La moindre distance à donner, est d’un pied d’une plante à une autre, & même de dix-huit pouces : mais, en semant aussi épais la graine que le blé, que de plantes à arracher ! On ne pourra enlever hors de terre les plants surnuméraires, sans endommager la racine pivotante de ceux qui restent en place.

Si on veut absolument semer le colza, il vaut mieux le faire sur le second sillon, & le couvrir par un troisième coup de charrue. Dès lors les semences seront soustraites à la voracité des oiseaux, des mulots, & moins exposées à l’action directe du soleil qui les dessèche, moins rassemblées en masse par la pluie, dans un même sillon, si elle est abondante, & surtout sur les terreins un peu en pente. Enfin, on ménagera, de distance en distance, des sillons de communication, afin d’écouler les eaux, & de prévenir les courans.

4°. Herser. La herse doit être armée de dents de six pouces de longueur, espacées les unes des autres à la distance de six pouces, & le derrière de cette herse, garni de broussailles chargées par une pièce de bois, afin d’unir le terrein.

5". Sarcler. Il ne s’agit pas seulement d’extirper les mauvaises herbes ; il faut encore enlever, aussi souvent qu’il est nécessaire, les plants surnuméraires, éviter de les casser près du collet, mais les arracher complètement avec leurs racines. Cette opération ne sera jamais bien faite qu’après la pluie. Le meilleur sarclage se fait la piochette à la main, & il équivaut alors à un petit labour.

III. Des travaux nécessaires pour la conduite d’une pépinière. Le propriétaire qui songe plus à la quantité qu’à la qualité, choisira pour sol de la pépinière un terrein semblable à celui dont on a parlé : l’amateur de la qualité, au contraire, préférera un terrein sablonneux, parce que la germination qui s’exécute dans ce terrein, diminue une grande partie de l’esprit recteur, & que c’est la combinaison de cet esprit, avec l’huile grasse, ou plutôt sa réaction sur elle, qui lui communique l’acrimonie dont on se plaint. C’est ce que l’on fera connoître en parlant des huiles.

Ces deux genres de terrein seront exactement défoncés, bien fumés, surtout le premier, & le labour le plus avantageux sera celui fait à la bêche ; (voyez ce mot) il suppléera à tous les autres.

Le terrein de la pépinière sera divisé par planches ou tables, larges de cinq pieds seulement. On sarcle celles-ci plus commodément, & on n’est pas contraint de fouler la terre, & de piétiner les jeunes plants.

On doit pratiquer un fossé d’un pied de largeur, entre chaque table. La terre de ce fossé sera jetée sur la table, & on la bombera le plus qu’il sera possible. Le fossé sert à l’écoulement des eaux, & de sentier par lequel les femmes & les enfans passent pour sarcler.

Un point essentiel est de ne pas semer trop épais la graine de colza. S’il faut beaucoup de sujets, il vaut mieux agrandir la pépinière.

L’usage des pépinières permet le choix du temps pour semer : l’on doit donc choisir un beau jour, & lorsque la terre n’est ni trop sèche ni trop humide. Il vaut mieux tracer des sillons espacés de huit à dix pouces, & les semer, que de semer à la volée. Ces sillons procurent la facilité de piocheter, de temps à autre, entre chaque rang, sans endommager les jeunes plants.

On sème communément partout au mois de juillet : je préférerois le mois de juin, parce que lorsqu’on le sortiroit de nourrice en octobre, c’est-à-dire, au temps de la replantation, il craindroit moins les rigueurs de l’hiver, surtout le colza blanc.

Celui qui aura semé en terrein sablonneux, doit avoir de l’eau à sa disposition, afin d’arroser sa pépinière beaucoup plus souvent que celui qui aura semé dans une bonne terre végétale, & il transplantera, dès que la plante aura la consistance nécessaire ; car, malgré ses soins & ses arrosemens, les plantes rabougriroient, s’il attendoit plus longtemps.

IV. Des travaux qu’exige le champ destiné à la replantation du Colza. Le cultivateur, qui fait usage des pépinières, ne sera pas harcelé par le temps & les circonstances, afin de donner à son champ les labours convenables. Il a, pour le préparer, depuis que le blé est coupé, jusqu’au commencement d’octobre, qu’il doit le replanter : ainsi, même après la moisson la plus tardive, il lui reste deux mois ; tandis que celui qui sème d’abord après la récolte, est forcé de travailler aussitôt, quelque temps qu’il fasse.

On doit choisir le temps le plus avantageux à chaque labour. Ceux donnés lorsque la terre est trop mouillée, sont plus nuisibles qu’utiles ; & ceux pendant la grande sécheresse, ne fouillent pas la terre assez profondément.

Avant de commencer le premier labour, il faut fumer largement : le premier labour, donné avec la charrue à versoir ou à large oreille, enterrera le fumier. Celui qui restera exposé à l’ardeur du soleil, pendant l’été, s’y consumera en perte.

Le second labour sera donné dans le milieu du mois d’août, en observant de ne pas croiser les sillons, mais de les prendre obliquement : la terre en est plus ameublie. Le troisième labour, donné peu de jours avant de transplanter, croisera les deux premiers, & toujours obliquement ; il restera moins de terre grumelée.

Si on travaille son champ à la bêche, cette opération suppléera tous les labours. (Voyez au mot Bêche, les avantages de ce labour.) Soit qu’on laboure le sol avec la charrue, soit à la bêche, il convient de disposer le terrein en tables, & de les bomber dans le milieu, La terre qu’on sortira des petits fossés, servira à les bomber. Le colza craint l’humidité ; cette précaution est donc essentielle dans les pays où les pluies sont fréquentes.

V. Du temps, & de la manière de replanter le Colza. Le commencement d’octobre est la saison convenable ; les rosées sont plus fortes, las pluies plus douces, le soleil moins chaud, & la plante reprend plus facilement que dans tout autre temps. Plus on retarde, moins l’on réussit.

On choisira, s’il est possible, pour cette opération, un temps disposé à la pluie, ou un temps couvert, à moins qu’on ait la facilité d’arroser la nouvelle plantation. Le soleil trop ardent dessèche les feuilles, & les feuilles sont aussi essentielles à la reprise de la plante, que les racines mêmes.

Il faut avoir soin, quand on enlève les plants de la pépinière, de les soulever avec une manette de fer, de ne point briser les feuilles, de ne point endommager les racines, & surtout de ne pas faire tomber la terre qui les recouvre ; ce qui s’exécutera commodément, lorsque la terre sera humide, & surtout si la pépinière a été disposée en sillons. Si, dans ce moment, le terrein étoit trop sec, il conviendroit de l’arroser l’avant-veille & la veille, sans prodiguer l’eau.

De toutes les erreurs, la plus absurde est d’imaginer qu’on doive châtrer les racines, & couper les sommités des feuilles : autant vaudroit couper les doigts des pieds d’un homme, afin de le faire marcher plus vite. Au mot Racine, je démontrerai l’abus de cette suppression.

À mesure que l’on enlève les plants de la pépinière, il faut les disposer, rang par rang, dans des paniers, dans des corbeilles, ou sur des claies, & les recouvrir avec des linges épais & mouillés, & on n’arrachera que ce qui peut être planté dans une matinée, ou dans la soirée ; il vaut mieux retourner plus souvent à la pépinière, que de laisser faner les plantes.

On sera encore très-scrupuleux sur le choix des plants : les verreux & les languissans seront sévèrement rebutés. On ne peut en attendre aucun profit réel.

On se sert communément d’un plantoir de bois pour faire les trous : ce plantoir presse trop les côtés, les parois de la terre, & surtout du fond. Cet inconvénient n’aura pas lieu si on se sert d’une manette de fer à demi-ceintrée, d’une grandeur convenable, & semblable, pour la forme, à celle des fleuristes. Comme elle n’a que deux à trois lignes d’épaisseur, elle comprime peu le terrein, lorsqu’on l’enfonce, & il est aisé, en la faisant tourner, d’enlever, par son moyen, la terre du trou. Je conviens que l’opération sera plus longue que celle du plantoir ; mais elle sera meilleure : d’ailleurs, des femmes & des enfans peuvent s’y occuper.

Presque partout règne la manie de faire des trous à la distance d’un demi-pied les uns des autres, & à celle d’un pied sur le côté. Je demande un pied, & même dix-huit pouces en tout sens ; ce sera peu, relativement au bon terrein. Chaque trou recevra une plante seulement, & on l’enterrera jusqu’au collet. Je pensois autrefois qu’elle ne devoit être enterrée que dans les mêmes proportions que le pied l’étoit dans la pépinière ; l’expérience, comparée des deux manières, a démontré mon erreur, & je l’avoue de bonne foi.

Pour accélérer cette plantation, un homme fait les trous, il est suivi par un enfant, ou par une femme qui porte le panier dans lequel sont placés les jeunes plants. Cette femme les place donc dans chaque trou, & une seconde femme, armée d’un plantoir ou d’une, manette de fer, serre la terre des environs du trou contre les racines & contre la tige. Enfin, pour bien réussir, il faut, s’il est possible, que la plante ne s’apperçoive pas avoir changé de terrein ou de nourrice.

VI. Des soins que le Colza exige jusqu'à sa maturité. Ils sont peu nombreux, indispensables, & jamais donnés inutilement. Le premier est d’enlever les mauvaises herbes lorsqu’elles paroissent, & surtout la petite pioche à la main ; ce qui équivaut à un petit labour. Le second, de remplacer, le plus promptement possible, les plants qui n’auront pas repris, & d’arracher ceux qui languissent pour leur en substituer d’autres. Le troisième, de nettoyer le fossé qui environne les planches ou tables ; savoir, au commencement de novembre, à la fin de février & d’avril. Cette terre, entraînée par les pluies, & jetée sur les tables, servira d’engrais, recouvrira les pieds trop déchaussés, & le piochettement, lors du sarclage, la mêlera avec l’autre. Point d’engrais plus naturel que celui des terres rapportées.

VII. Du temps & de la manière de récolter le Colza. Suivant le climat, la semence est ordinairement mûre à la fin de juin ou de juillet. La saison & l’exposition concourent beaucoup à devancer ou à retarder l’époque de sa maturité. La tige abandonne successivement sa couleur verte, pour en prendre une jaunâtre, & quelquefois tirant sur le rouge, lorsqu’elle a souffert. Ce changement de couleur est l’effet de la dessiccation du parenchyme. (Voyez ce mot) L’épiderme n’a point de couleur par elle-même ; elle transmet simplement celle du parenchyme qu’elle recouvre.

Si l’on veut récolter le colza ainsi qu’il convient, on n’attendra pas que les siliques s’ouvrent d’elles-mêmes, la récolte seroit perdue. Si on les recueille trop vertes, la semence remplie de l’eau surabondante de la végétation, se ridera en se desséchant, & donnera peu d’huile. C’est la maturité qui forme l’huile ; le coup d’œil en décide.

On coupera la plante avec une faucille, dont le tranchant soit bien affilé, & on évitera de couper par saccades ; les graines trop mûres tomberoient. Il conviendroit d’enlever aussitôt les plantes, de les porter sous des hangars aérés de toutes parts, afin de les faire sécher entièrement. La place destinée sous ces hangars sera spacieuse, battue, nette & très-propre. Les petits faisceaux ne seront ni entassés ni pressés. Il est nécessaire de laisser entr’eux un libre courant d’air, & ils se dessécheront beaucoup plus vite, si on les dresse les uns contre les autres au nombre de trois ou quatre.

Si l’éloignement de la métairie ne permet pas un prompt transport, on étendra les tiges sur terre, comme le blé qui vient d’être moissonné, & elles resteront ainsi étendues pendant deux ou trois beaux jours. Dès que la plante sera suffisamment séchée, dans le champ ou sous le hangar, on amoncèlera les faisceaux, & on les disposera en meule, comme le blé, c’est-à-dire, que le côté des semences sera en dedans, & qu’aura soin de mettre un rang de paille entre chaque faisceau. Si le sol du gerbier, (précaution indispensable) est plus élevé que le terrein qui l’avoisine, & forme un monticule, on préviendra les suites funestes de l’humidité & des pluies. Le gerbier sera recouvert avec de la paille, afin que l'humidité ne puisse pas pénétrer dans l’intérieur, autrement le gerbier s’échaufferoit, fermenteroit, & la pourriture ne tarderoit pas à se manifester.

Si la plante reste dans le champ, on préparera au pied de la meule, avant de la défaire, un espace de terrein battu & égalisé ; en un mot, on le rendra semblable à celui où l’on bat le blé.

Les graines se vannent comme le blé, ou bien on les nettoie aux moyens de cribles faits exprès, dont il y a de deux sortes ; les uns à trous ronds, par où parlent les grains & la poussière, & les autres à trous longs, où passent la poussière & les débris des siliques. Règles générales, plus la graine est propre & nette, moins elle attire l’humidité ; moins elle attire l’humidité, moins elle fermente ; moins elle fermente, plus l’huile est douce, & mieux elle se conserve dépouillée de mauvais goût.

VIII. Des moyens de conserver la graine. Dès qu’elle sera battue, propre & nette, on la mettra dans des sacs, & on les portera au grenier. Je conseille d’étendre une toile quelconque sur son plancher, parce que les planches ou les carreaux joignent ordinairement fort mal, & qu’il y auroit une perte évidente de grains, attendu leur petitesse. Quelque peu de paille étendue sur toute la longueur de la sorte, faciliteroit l’exsiccation de la graine. Elle ne doit pas être amoncelée, & on la remuera souvent pendant les premiers jours. La toile indiquée en facilite les moyens.

Les fenêtres du grenier seront exactement fermées pendant les jours de pluie ou de brouillard ; en un mot, on empêchera qu’elles attirent le moins d’humidité possible, afin qu’elles sèchent promptement. Si on néglige ces précautions, une moisissure blanchâtre s’établira sur les graines, elles se colleront les unes contre les autres, par paquets de dix à vingt, & si on n’y remédie sur le champ, tout est gâté. L’huile que l’on en retirera perdra en qualité, suivant le plus ou le moins de fermentation & de moisissure que la graine aura éprouvée.

Ceux qui désirent vendre leur récolte en nature, se hâteront, parce qu’elle diminue beaucoup, & pour le poids & pour le volume ; ceux qui voudront la faire moudre, éviteront le temps des fortes gelées, ils y perdroient.

La masse restante après l’extraction de l’huile, vulgairement nommée trouille, ou pain de trouille, forme une nourriture d’hiver assez bonne pour les bestiaux.

On voit par ce qui vient d’être dit sur la culture du colza, que cette récolte ne nuit point à celle des blés ; & qu’au contraire elle devient un bénéfice réel & surnuméraire pour les provinces où l’on est dans la fatale habitude de laisser les terres en jachère pendant une année. Le colza se replante en octobre, c’est-à-dire, dans la même année que la terre a donné du grain ; il se récolte en juillet de l’année suivante. On a donc le temps nécessaire à la préparation du sol, soit pour le colza ou pour le blé qu’on sèmera après ; & loin de nuire à sa végétation, il engraisse la terre par le débris de ses feuilles ; en un mot, c’est alterner les terres, (voyez ce mot) & augmenter leur produit des deux tiers. Je ne veux pas dire pour cela, qu’il faille tous les deux ans planter le même champ en colza ; au contraire, il ne doit l’être que tous les quatre ans. Je le répète, cette méthode mérite d’être introduite dans toutes nos provinces où il pleut assez régulièrement dans le printemps ; elle seroit très-casuelle dans nos provinces méridionales, à cause de la rareté des pluies. D’ailleurs je ne puis encore parler d’après l’expérience.

Je n’entre ici dans aucun détail sur la manière d’extraire l’huile de cette graine. Au mot Huile, j’indiquerai les procédés nécessaires, & la manière de la dépouiller de son goût fort, & de son odeur désagréable.

Le colza destiné uniquement à la nourriture du bétail, se sème en juin, dans un champ préparé à cet effet : on peut commencer à cueillir les grandes feuilles en novembre ; mais il vaut mieux attendre que les autres fourrages verts manquent, ou soient couverts par la neige, & réserver ces feuilles pour le temps que le bétail ne peut sortir de l’écurie. Après l’hiver, l’on coupe les tiges à quelques pouces au-dessus de terre, & elles fournissent une seconde récolte de feuilles au printemps.


Chou en arbre, ou Chou chèvre. On le sème en pépinière en mars & en avril, dans le nord ; & on le replante, à la cheville, dès qu’il a cinq à sept feuilles. La terre doit être bien fumée, & profondément labourée. La distance d’un chou à un autre doit être de deux pieds en tout sens, & il exige quelques légers labours pendant l’été. Si l’année est un peu pluvieuse, la récolte des feuilles est très-abondante. Dans les provinces où l’on nourrit beaucoup de chèvres, beaucoup de vaches, & même des troupeaux, on voit des champs entiers couverts de ce chou. Il est distingué de toutes les autres plantes de son espèce, par son caractère vivace. Il n’a pas besoin d’être semé & replanté chaque année.


CHAPITRE IV.

Des ennemis des Choux, & des moyens de les détruire.


Le puceron &c le tiquet sont les ennemis du chou fleur. On croit les détruire en arrosant souvent, & faisant tomber l’eau de la grille de l’arrosoir sur les feuilles. Cette méthode produit peu d’avantages ; la nature a indiqué à l’insecte les moyens de s’y soustraire. Si l’eau est plus froide que la température de l’air, elle nuit à la plante ; si elle est à cette température, elle fatigue l’insecte, & ne le tue pas. Quelques rayons de soleil suffiront pour le sécher & ranimer ses forces.

Le tiquet fait beaucoup de mal dans les pépinières de chou. On a conseillé de remplir un tamis fin, avec de la cendre, d’en saupoudrer les jeunes plantes pendant la rosée, de manière que la cendre la plus fine les couvre. Il est clair que d’après cette méthode, le tiquet s’éloignera de la pépinière ; mais cette enveloppe cendrée, qui recouvre les feuilles, empêche la transpiration de la plante, & elle languit & souffre jusqu’à ce que le vent ou la pluie l’ait enlevée. Le remède est pire que le mal.

La punaise des jardins, dont le corcelet & les étuis sont rouges, marqués de points noirs, est encore l’ennemi des pépinières ; les plus grands arrosemens les dérangent, les incommodent, & ne sauroient les détruire.

Les limaces sans coquilles, & les limaçons à coquilles, sont à craindre s’ils sont multipliés. La surface du terrein garnie de sable fin, ou cendres sèches, autant de fois qu’il est besoin, les empêchent d’y pénétrer ; parce que la partie de ces animaux, chargée d’une bave épaisse, se couvre de leurs petits grains, ils forment un mastic avec la bave, & ce mastic les empêche de marcher.

L’ennemi le plus terrible des choux, soit en pépinière, soit plantés à demeure, est la chenille. Les choux ont deux espèces de chenilles qui leur sont affectées, ou ptutôt la nature semble avoir destiné les choux à la nourriture de ces deux espèces de chenilles. Nous nous plaignons des dégâts qu’elles leur causent : n’auroient-elles pas plus de droit de se plaindre de l’homme qui les écrase ? La première doit son être au grand papillon blanc du chou : sa couleur est blanche, avec quelque différence, survant le sexe. Le mâle est blanc en dessus ; il a le bout des ailes supérieures noir ; deux taches noires sur les mêmes ailes, & une troisième petite tache au bord intérieur de l’aile. La femelle n’est pas parée de ces points noirs ; elle a seulement le bout des ailes noir. Le dessous des ailes du mâle & de la femelle sont nuancés d’un jaune pâle, ou de couleur de soufre. Après l’accouplement, la femelle voltige sur les feuilles de chou, ne touche point la partie supérieure, & dépose sur l’inférieure ses œufs. Chaque fois qu’elle les touche, on est assuré d’y trouver un œuf. L’œil suit avec peine les mouvemens du papillon ; & dans moins d’une heure, les œufs y sont par centaines. L’œuf, à l’abri du soleil, de la pluie, des frimats, ne tarde pas à éclore, & il sort en chenille, dont on ne connoît la présence que par ses ravages.

Lorsqu’on a semé une pépinière en sillons, il est aisé de suivre chaque plante l’une après l’autre, & de détruire les œufs. Il faut de grand matin, & avant que le soleil se soit beaucoup élevé sur l’horizon, visiter le dessous de chaque feuille, & on y trouve les chenilles amoncelées les unes près des autres, afin de se garantir de la fraîcheur du matin ; alors avec un morceau de bois, ou telle autre chose, on les écrase contre la feuille, sans l’endommager, ou bien, avec ce même morceau de bois, on les détache & on les fait tomber dans un vase plein d’eau fraîche, d’où on les tire ensuite, soit pour les écraser, soit pour les jeter au feu.

Le jardinier prudent n’attend pas, pour visiter ses pépinières, que les œufs soient éclos, il devance cette époque ; & dès qu’il s’apperçoit que les papillons commencent à voltiger, il recherche les feuilles, & écrase les œufs. C’est une opération tout au plus d’une heure par semaine, quelque grande que soit la pépinière, parce que tous les plants sont rapprochés.

Ce seroit peu de chose, si la ponte des papillons étoit unique ; mais l’espèce dont je parle, se reproduit plusieurs fois dans un été, & par conséquent les choux sont plusieurs fois exposés à leur ravage. Les premiers papillons sortent de leur chrysalide, dès que la chaleur commence à renaître ; j’en ai vu même en février dans les provinces méridionales ; mais ils sont peu à craindre % parce que la fraîcheur des matinées punit bientôt leur sortie précipitée. La seconde race paroît en juin & juillet ; la troisième en septembre, Si leurs chenilles sont celles qui restent le plus long-temps en état de chenille. On ne doit donc pas être étonné si des champs entiers sont dévastés, & si les choux sont dévorés jusqu’à la côte.

Lorsque la chenille a éprouvé ses maladies, occasionnées par le changement de peau ; lorsqu’elle est à la brise, en cela semblable au ver à soie, elle ne mange pas, mais elle dévore pendant quelques jours, puis elle cherche le lieu qui doit lui servir de retraite pendant son état de chrysalide. Qui croiroit que souvent elle traverse plus de cinquante toises de terrein, pour gagner le mur d’une maison, sur lequel elle grimpe, & ne s’arrête que lorsqu’elle est arrivée sous le forget du toit où elle fixe sa demeure pendant l’hiver. Les chenilles des pontes précédentes sont moins coureuses, le premier arbre qu’elles rencontrent leur suffit. Elles prévoient qu’elles auront moins à souffrir de l’inclémence de l’air. Si toutes les chenilles de la dernière ponte, changées en chrysalide, se métamorphosoient au printemps en papillons, il seroit presqu’impossible de les détruire ; mais heureusement tous les oiseaux qui passent l’hiver parmi nous, en sont très-friands. Les moineaux surtout tirent grand parti des chrysalides fixées contre les murs. Les araignées même en sont très-avides.

Ce que je viens de dire des métamorphoses de cette chenille, s’applique, je pense, encore à deux autres espèces, à celle du papillon blanc veiné de vert. Il est tout blanc en dessus, sans taches ni points ; le bout de ses ailes supérieures est noirâtre. Il est moins commun que le précédent.

L’autre espèce est une phalène jaunâtre en dessus, dont les ailes couchées sur le corps, sont garnies de trois bandes transversales, d’une couleur fauve-pâle. Sa chenille a seize pattes, de couleur jaune un peu verte, avec six rangées longitudinales de petits points noirs, & quelques poils clair semés.

Comme je n’ai pas suivi aussi exactement la manœuvre de ces deux dernières espèces, je m’abstiens d’en parler.

Le puceron, malgré sa petitesse extrême, est encore un animal redoutable : son corps est vert, farineux ; il habite le dessous des feuilles, & le long des tiges encore tendres. J’ignore comment il se multiplie ; mais il se multiplie à l’infini en très-peu de temps. Armé d’un petit aiguillon, il cherche sa nourriture dans l’intérieur des côtes & des feuilles. Les plaies qu’il y fait sont si multipliées, & il absorbe une si grande quantité de sève, que les feuilles se fannent, se dessèchent & périssent. Dès qu’on s’en apperçoit, il faut, avec un bouchon de paille, l’écraser en frottant, ou contre la feuille, ou contre les côtes.

Je ne parlerai pas ici de la courtillière ou taupe-grillon, elle n’est pas l’ennemi plus décidé des choux que des autres plantes d’un jardin. (Voyez le mot Courtillière)

On a proposé divers expédiens pour détruire ces insectes ; je vais les rapporter ici sans en garantir aucun. J’emprunte ce que je vais dire, du Dictionnaire Économique. Je n’ai fait aucune expérience à ce sujet.

I. Contre le gibier. Prenez pour un arpent de terre, une once d’assa-fœtida, tel qu’on le vend dans les boutiques. Mettez-le dans un petit pot rempli de jus de fumier, & faites bouillir le tout jusqu’à ce que l’asa-fœtida soit entièrement dissous. Transvasez ensuite cette matière dans un baquet, ajoutez-y une ou deux pintes de jus de fumier : remuez bien le tout avec un morceau de bois, & le faites porter dans le champ que vous voudrez planter. Vous aurez avec vous une personne qui prendra, avec ses deux mains, autant de plantes qu’elle en pourra empoigner, & les trempera dans la matière préparée, en sorte que chaque plante en soit exactement mouillée. Cela fait, elle les mettra par terre, par tas, & répandra un peu de terre légère sur les racines. Elle distribuera ensuite ces plantes mouillées, pour les planter sur le champ dans les trous. On pressera la terre contre les plantes, avec un morceau de bois consacré à cet usage ; & le gibier s’enfuira.

Que je plains de bon cœur, le propriétaire dont les productions sont dévorées par l’énorme quantité de gibier qui couvre tous les champs des environs de la capitale, & à plusieurs lieues à la ronde ; mais encore quel gibier !

Il seroit à désirer que la méthode proposée produisît son effet. Il pleut souvent dans les environs de Paris, les pluies auront bientôt dissipé la mauvaise odeur. Malgré cela, on doit craindre que le chou ne contracte l’odeur désagréable de l’assa-fœtida. On sait que le souci communique son goût & son odeur au vin, que l’aristoloche a le même défaut, pour peu que ces plantes soient multipliées dans une vigne : à plus forte raison l’assa-fœtida doit agir sur le chou.

II. Contre les chenilles & autres insectes. i°. Ensemencez de chanvre tout le bord du terrein dans lequel vous voulez planter des choux. Quand même, dit-on, tout le voisinage seroit infecté de chenilles, il ne s’en trouve pas une seule dans l’espace enfermé par le chanvre.

C’est donc l’odeur du chanvre qui fait fuir les chenilles ? mais le chanvre est mûr dans le mois d’août : si on le laisse sur pied, il n’aura plus d’odeur en septembre ; & pour peu que l’automne soit chaud, les choux seront exposés à la voracité des chenilles.

2°. Les chenilles, limaces & pucerons détruisent les jeunes choux. On prétend qu’il est possible d’y remédier par la composition suivante. Prenez un seau d’eau de fumier : mettez-y pour six deniers d’assa-fœtida, pour trois deniers de guède, pour trois deniers d’ail, pour autant de baies de laurier concassées ; une poignée de feuilles de sureau, & une poignée de carline. Laissez infuser le tout pendant trois fois vingt-quatre heures. Quand vous voudrez vous servir de cette fausse, vous prendrez un bouchon de paille de seigle, vous le tremperez dans cette eau, & en arroserez les plantes infectées des infectes qui périront bientôt.

Voilà, sans contredit, une composition bien bizarre, & qui ne mérite pas plus de confiance que la première.

3°. Dans le Journal Économique, d’Octobre 1753, on lit : « Les chenilles n’attaquent point les choux dont la graine, après avoir trempé, durant une demi-heure, dans égales quantités de fine, d’eau-de-vie & d’urine, a été séchée & ensuite semée ». Comment cette infiniment petite portion de substance étrangère peut-elle se communiquer ensuite à toute la plante ? C’est connoître bien peu les loix de la végétation. Je ne rapporterai pas les autres singularités publiées à ce sujet, parce qu’elles sont toutes marquées du même sceau. Agissez directement sur les œufs, sur les insectes, par des recherches fréquentes, & vous parviendrez, sinon à les détruire tous, au moins à diminuer leur grand nombre. Sur la foi d’un auteur sur le jardinage, qui jouit d’un réputation très-méritée à bien des égards, j’ai fait brûler du soufre, d’abord en assez petite quantité, sur le bord de quelques rangées de choux ; nous étions plusieurs, armés de soufflets, afin d’exciter la flamme du soufre, augmenter sa vapeur, ensuite la faire rabattre sur les choux : je puis assurer qu’elle ne fit aucune impression sur les chenilles. J’augmentai la dose du soufre & le nombre des feux, l’effet fut le même ; enfin, pour savoir à quel degré d’intensité de vapeur l’insecte succomberoit, je mis, au pied de plusieurs choux, du soufre allumé, les chenilles ne périrent que lorsque la feuille fut endommagée. Sur ces mêmes choux si délabrés, si imprégnés des vapeurs du soufre, je trouvai, quelques jours après, des chenilles qui finissoient de dévorer le peu de verdure restée sur quelques-unes. Je rapporte ce fait, afin de détruire la confiance qu’on pourroit mettre dans le vaste catalogue des recettes en ce genre.


CHAPITRE V.

Des propriétés économiques des Choux, relatives aux hommes & aux animaux.


I. La graine de toute espèce de chou fournit de l’huile : celle du colza est à préférer. Cette huile a un petit goût acre, & une odeur assez forte. J’indiquerai, en parlant des huiles, la manière de la dépouiller de ses mauvaises qualités.

Je n’entrerai ici dans aucun détail sur les préparations, & sur les apprêts des choux dans les cuisines ; ce seroit m’écarter de mon objet : je m’astreins seulement à quelques pratiques isolés, & peu connues parmi nous. Il convient de les rapporter à cause de leur utilité.

Les hollandois dépouillent les têtes ou pommes des choux fleurs de toutes leurs feuilles. Les uns coupent ces pommes par tranches ; d’autres en divisent perpendiculairement les rameaux, les jettent dans une eau légèrement salée, & la font bouillir pendant une minute ou deux. Aussitôt ils retirent ces morceaux de l’eau, & les rangent sur une claie, pour les laisser égoutter ; après quoi, ils exposent ces claies au soleil. Deux ou trois jours après, on les porte dans un four à demi-chaud ; opération qu’on réitère jusqu’à ce que les tronçons soient secs. Pour lors, on les renferme dans du papier, afin de les soustraire à l’humidité. Lorsqu’on veut s’en servir, on les fait revenir dans l’eau tiède pendant quelques heures, & cuire ensuite à l’eau bouillante, pour recevoir l’assaisonnement convenable.

Les habitans de quelques montagnes du Forez, coupent perpendiculairement la pomme des choux cabus en six ou huit parties, suivant sa grosseur, les jettent, pendant quelques minutes, dans l’eau bouillante, les en retirent, les laissent égoutter, enfin les plongent dans le vinaigre, qu’ils ont soin de changer de temps à autre, surtout dans le commencement, & y ajoutent un peu de sel. Il est certain que ces deux préparations seroient très-utiles sur mer pour les voyages d’un long cours. La première réunit l’agréable & l’utile, & la seconde seroit un remède excellent contre le scorbut.

Le chou de Strasbourg ou d’Allemagne sert à la préparation du saurkraut, en allemand, ou saur-kraut, en anglois ; ce qui veut dire chou aigre. Depuis que le célèbre & trop infortuné Capitaine Cook a publié la relation de son Voyage autour du monde, on ne doute plus, & même il est démontré jusqu’à l’évidence, que ce chou préparé fournit un aliment très-sain, mais encore un des meilleurs anti-scorbutiques connus. On sait que cet illustre navigateur, accompagné de cent dix-huit hommes, a fait un voyage de trois ans & dix jours dans tous les climats, depuis le cinquante-deuxième degré du nord, jusqu’au soixante-onzième du sud, sans perdre un seul homme de maladie. Quel exemple à proposer à ceux qui commandent sur mer ! Puissent-ils l’imiter !

Je pense que la majeure partie de nos provinces maritimes, ou celles qui leur sont limitrophes, pourraient s’adonner à la culture de cette espèce de chou, & en préparer des provisions pour la marine. Nos provinces méridionales sont les seules, peut-être, qui seroient privées de cet avantage : mais, comme elles tirent des bœufs salés d’Irlande pour le service de la marine, elles tireroient également du Havre, de Brest, de Rochefort le saur-krout : voici la manière dont le Capitaine Cook l’a fait préparer.

On prend des têtes de choux, qu’on hache, & qu’on met ensuite dans une espèce de caisse, qui s’avance peu à peu sur une machine semblable à celles dont on se sert pour couper les concombres en tranches. Les taillans de fer qui coupent les choux en tranches, ont de douze à dix-huit pouces de longueur. Tandis que la caiss est tirée en avant & en arrière sur cette machine, il faut presser doucement les têtes de choux, & y en mettre de temps en temps de nouvelles. Les choux se découpent en tranches minces, & tombent dans un grand trou qui aboutit à la machine. Il y a des personnes qui mettent dans ces tranches de chou, du sel & des graines de carvi ; (Voyez ce mot) & d’autres, du sel & de la graine de genièvre. On les bat dans un tonneau, ou dans une cuve dont on a défoncé le haut, jusqu’à ce qu’elles donnent du jus. L’instrument dont on se sert pour cela, est un gros bâton, d’environ cinq à six pouces de diamètre, ou un grand & fort battoir de beurrière. Les grains de carvi sont préférables au genièvre : en effet, ils sont très-nourrissans ; & toutes les nations tartares, après les avoir moulus, les font cuire avec le lait de leurs jumens ; d’ailleurs, ils donnent, par la fermentation, une plus grande quantité d’air fixe. (Voyez ce mot) Ils ont la propriété de rendre le lait aux nourrices qui n’en ont plus ; & ces dernières qualités suffiroient seules pour leur donner la préférence sur le genièvre. Si la futaille, dans laquelle on prépare le saur-krout, a contenu du vin, de l’eau-de-vie, du vinaigre, la fermentation réussit mieux, & procure au saur-krout un goût plus vineux. Quelquefois on frotte l’intérieur du tonneau avec le levain du saur-krout, pour l’accélérer ; mais on peut omettre cette précaution, si on a assez de temps pour que les choux passent par une fermentation graduelle. On conduit ensuite le tonneau dans une température modérée, &, s’il est possible, de plus de cinquante à soixante degrés du thermomètre de Fahrenheit ; ce qui revient à peu près de treize à seize degrés de celui de Réaumur. Ce degré de chaleur hâte beaucoup la fermentation vineuse. Dès que le saur-krout commence à être acidulé, ce qui arrive en dix, douze ou quatorze jours, suivant le degré de chaleur dans lequel on tient ce tonneau, on peut le retirer dans le cellier où on veut le garder. Dans le commencement, on trouve une certaine quantité de jus au haut des choux en fermentation, & on fait avec un bâton un trou au milieu du tonneau, pour que la liqueur en fermentation circule mieux. Si le chou est destiné à un long voyage de mer, on l’ôte de son jus ; & quand il est dans cet état de sécheresse, on en remplit d’autres futailles, où on a soin de le comprimer ; mais si on veut le consommer sur les lieux, on couvre le sommet du tonneau avec un couvercle bien propre, sur lequel on met un gros poids, pour comprimer le chou fermenté. Cette préparation est très-recherchée en Allemagne, en Danemarck, en Suède, en Russie ; & à peine est-elle connue en France, hors des provinces de Flandre, d’Alsace & de Lorraine.

II. Des propriétés économiques, relatives aux animaux. Plus la saison rigoureuse d’hiver est longue dans un pays, plus l'on doit multiplier les espèces de choux que l’on peut tenir en réserve, ou celles qui ne craignent point le froid. Tels sont les choux verts & blonds à grosses côtes, le colza, le pancalier, le chou en arbre ou chou chèvre. Le mouton, la brebis, nourris au sec pendant l’hiver, fondent leur suif suivant l’expression des bergers ; mais si on leur donne quelque peu de verdure, ils conservent leur embonpoint. (Voyez l’article Mouton) On voit par-là quelle ressource précieuse offrent les différentes espèces de choux, de raves, navets, carottes, betteraves, &c. Le passage presque subit de la nourriture en verd à celle du sec, produit sur eux les plus mauvais effets, surtout si les pluies, la neige & les frimats les contraignent de rester pendant longtemps à l’érable, tandis que, par la nourriture mixte, ils s’apperçoivent à peine de leur repos forcé.

On donne aux bestiaux, en général, les feuilles de choux en nature, & ce n’est pas la plus économique ni la meilleure nourriture. Voici une méthode pratiquée avec le plus grand succès dans plusieurs de nos provinces. Un bétail nombreux suppose un certain nombre de personnes pour le service de la métairie, & un feu presque continuel à la cheminée de la cuisine. Un chaudron de la plus grande capacité est toujours sur ce feu, & à mesure qu’on le vide, on le remplit continuellement avec des feuilles de choux, avec les grosses côtes, les tronçons de ceux qui servent à la nourriture des valets. Il en est ainsi des raves, des navets, des citrouilles, des courges, des autres herbages que l’on consomme. Une certaine quantité d’eau surnage toujours les plantes & leurs débris ; quelques poignées de son & un peu de sel font leur assaisonnement. Lorsque la chaleur & l’eau ont attendri ces herbages, c’est-à-dire, lorsqu’ils sont à moitié cuits, on les retire du chaudron, & on en met une certaine quantité, avec l’eau dans laquelle ils ont cuit, dans des baquets de bois, ou auges : chaque animal a le sien, & une auge doit servir tout au plus à deux. On laisse tiédir cette préparation, avant de la donner soir & matin aux bœufs, aux vaches, aux chèvres, aux agneaux, moutons, &c. Il est peu de nourriture qui les entretienne mieux en chair, & qui augmente plus le lait des vaches, chèvres, &c. Comme ce vaisseau est jour & nuit sur le feu, il profite de toute sa chaleur, & il ne se consomme pas plus de bois dans la métairie, que s’il n’y avoit point de chaudron sur le feu. J’avoue que cette économie bien entendue, nullement embarrassante, & qui met tout à profit, m’a fait le plus grand plaisir à voir. On n’oublie jamais de jeter dans ce vaisseau l’eau grasse que l’on retire après la lavure des vaisselles.


CHAPITRE VI.

Des propriétés alimentaires & médicinales du Chou.


Les auteurs modernes, & même quelques anciens sont peu d’accord sur les qualités des choux. La question paroîtroit décidée, si on s’en rapportoit au témoignage de Pline, qui leur donne la préférence sur tous les légumes appelés verdures. Théophraste, Caton, &c. en font le plus grand cas. On les voyoit figurer sur les tables des Empereurs & du peuple ; cependant ce goût n’étoit pas général. On lit que le fameux Apicius ne les aimoit point ; qu’il en avoit dégoûté Drusus, fils de Tibère, & que cet Empereur eut à ce sujet une querelle avec Drusus. Mais laissons les anciens, & occupons-nous des modernes, sans rapporter ici les opinions pour & contre, qui serviroient seulement à grossir le volume, sans instruire davantage. Je vais parler d’après mon expérience, suivie pendant plusieurs années sur ce sujet.

Les choux forment une bonne nourriture, mais en même temps très- mal-saine, très-venteuse ; & ceci paroît un paradoxe, dont voici la solution.

Les choux d’été sont plus venteux que ceux d’hiver, qui ont éprouvé les gelées. Les choux d’été sont plus venteux, plus indigestes, lorsqu’on les mange aussitôt après qu’ils ont été coupés dans le jardin, & portés dans nos cuisines : mais si on donne le temps à leurs feuilles de laisser évaporer l’air de végétation, ou l’air fixe (voyez ce mot) qu’elles contiennent ; en un mot, si on les laisse se faner pendant plusieurs jours, alors ils n’occasionnent aucun rapport désagréable, aucun vent dans l’estomac, aucun borborygme dans les intestins, & ne troublent en aucune manière la digestion. Quant aux choux d’hiver, éprouvés & attendris par le froid, la gelée a produit sur eux ce que la dessiccation, ou plutôt la flétrissure des feuilles a opéré sur les choux d’été. De ce que je viens de dire, & que je certifie constant, d’après ma propre expérience, à moins que mon estomac ne soit différent de celui des autres, on peut établir cette règle générale : le chou, mangé trop frais, donne un aliment moins salutaire que le chou dont les feuilles sont fanées, ou qui n’ont pas éprouvé la gelée. Cette simple observation prouve que les auteurs d’un sentiment opposé avoient également raison. Il auroit été plus prudent à eux d’examiner pourquoi les choux étoient sains ou mal-sains.

On regarde en Allemagne la saumure, ou jus du saur-krout, comme un remède souverain pour guérir les inflammations naissantes de la gorge, & pour les brûlures. Le simple vinaigre, étendu dans l’eau, seroit peut-être un remède préférable.

Le chou le plus communément employé en médecine, est le chou pomme rouge. La saveur de ses feuilles est fade, légèrement âcre ; elles nourrissent, tiennent le ventre libre, rendent l’expectoration plus facile dans la toux essentielle, la toux catarrale, l’asthme pituiteux, & la phtisie pulmonaire essentielle. Il vaudroit mieux lui préférer l’usage de la grosse rave. (Voyez ce mot)

On donne le suc exprimé des feuilles, depuis demi-once, jusqu’à trois onces, & la décoction des feuilles, depuis demi-once, jusqu’à quatre onces, dans six onces d’eau.

On prépare avec ses feuilles récentes un sirop jaunâtre, d’une odeur nauséabonde, d’une saveur fade & douce, très-légèrement âcre, dont la dose est depuis demi-once jusqu’à deux onces, seule, ou en solution dans cinq onces d’eau. Pour le composer, on fait cuire au bain-marie deux livres de feuilles récentes dans une livre d’eau de fontaine ; il faut passer, exprimer légèrement, clarifier la colature avec quelques blancs d’œuf, & filtrer ensuite & faire fondre dans une livre de cette colature, deux livres de sucre blanc.


CHAPITRE VII.

Observations détachées sur les Choux.


Ils formoient autrefois une branche de commerce très-considérable en Italie. Les habitans des pays montagneux du royaume se pourvoyoient de jeunes plants dans la plaine. On doit juger par-là de leur prix, & des avantages d’y avoir de grands semis. J’en ai vu transporter à plus de dix lieues. La ville de Saint-Brieux vend annuellement à peu près pour cent mille écus de ces jeunes choux. Ils sont exportés, pour la plupart, aux îles de Jersey, de Guernesey, & en Angleterre. Il en est ainsi des oignons & des aulx du village de la Tranche, dans le bas Poitou. (Voyez le mot Ail)

M. Bowles, dans son ouvrage intitulé Introduction à l’Histoire naturelle d’Espagne, &c. dit : « J’ai vu chez un gentil’homme de la Reinosa, une manière de cultiver les choux, qui mérite d’être rapportée. Il avoit dans son potager plusieurs pierres plates d’environ trois pieds en quarré, de deux pouces d’épaisseur, & percées au milieu. Il plantoit dans le trou l’espèce de chou qu’on appelle lanta dans le pays. Ce chou y croissoit, & s’étendoit prodigieusement : j’en mangeai, & le trouvai très-tendre & très-délicat. Je crois que cette invention pourroit être fort utile pour les légumes, & même pour les arbres qui languissent, faute d’être humectés dans les pays chauds & secs. Ces pierres empêcheroient l’évaporation de l’humidité, & conserveroient à la terre sa fraîcheur. »

Sur le témoignage de M. Bowles, j’ai répété l’expérience dans mon jardin, près de Béziers, & il faut observer que, depuis le 16 mai jusqu’au ier. septembre, il n’est pas tombé une seule goutte de pluie, & que les chaleurs s’y sont soutenues comme à l’ordinaire, c’est-à-dire, fortes.

Ne pouvant me procurer les pierres plates dont il est question, j’ai fait faire des carreaux de neuf pouces de largeur, sur autant de longueur, & d’un pouce d’épaisseur ; les uns troués dans le milieu, sur une étendue de vingt à vingt-quatre lignes, & les autres très-entiers. Le devant de la planche étoit garni de carreaux non troués, ainsi que ses alentours. Sur le second rang, étoit placé un carreau troué, & un carreau non troué à côté ; de manière que les carreaux troués se trouvoient toujours entre quatre carreaux entiers, & par conséquent chaque pied de chou devoit se trouver espacé de dix-huit pouces. Après avoir bien fait défoncer & fumer le terrein, je plantai trente choux fleurs ou brocolis, sur la fin d’avril : ils furent légèrement arrosés après la plantation, afin de xerrer la terre contre les racines ; &, depuis cette époque, ils n’ont pas eu une seule goutte d’eau, sinon celle de la pluie tombée le 16 mai, qui ne pénétra pas la terre à six lignes de profondeur.

La reprise fut lente, parce que la chaleur du soleil, réfléchie par les carreaux sur les tiges & les feuilles, les affectoit vivement : enfin ils reprirent.

Les courtilières, dont j’ai trouvé mon jardin rempli en arrivant dans ce pays, & sans doute plusieurs autres insectes ont attaqué ces choux dans la partie de la tige qui touchoit le carreau. Dix ont été entièrement détruits : les vingt qui subsistent dont quelques-uns ont été également attaqués par les insectes, ont bien poussé, & j’espère qu’ils donneront les premiers choux fleurs du jardin ; mais la vérité exige que j’annonce que ces choux ne sont point aussi beaux, aussi forts que ceux mis dans une planche voisine, pour servir de pièce de comparaison, & qui ont été très-fréquemment arrosés par irrigation, c’est-à-dire, copieusement. Malgré cette comparaison, on peut dire que ces choux ne sont pas laids.

J’ai préféré planter des choux fleurs à des choux pommes quelconques, parce que, pour peu que ceux-là réussissent, on sera bien plus assuré du succès des autres, qui exigent beaucoup moins d’eau.

Je regarde donc l’invention du gentil’homme de la Reinosa, comme une excellente innovation, surtout pour les jardins des provinces méridionales, où l’eau & la pluie sont rares. D’ailleurs, quand on n’éviteroit que l’embarras & les soins de l’irrigation ou de l’arrosement, ce seroit beaucoup, & il seroit possible, par ce moyen, de couvrir des champs de plants de chou.

Si on objecte la dépense des carreaux, on verra qu’elle se réduit à peu de chose, & que c’est une avance une fois faite pour toujours. Quelle ressource pour la nourriture d’hiver des hommes & des troupeaux de ces provinces !