Cours d’agriculture (Rozier)/CHAMPIGNON

Hôtel Serpente (Tome secondp. 675-676).


CHAMPIGNON. Je laisse à d’autres la gloire de traiter ce végétal dangereux, & ma plume se refuse à tracer la manière de le cultiver, lorsque je pense qu’il n’occasionne que trop souvent les accidens les plus affreux, & donne la mort à plus de cinquante personnes par an dans le royaume.

M. Parmentier, si distingué par ses lumières & par son zèle patriotique, s’est convaincu par les analyses chimiques & comparées sur les champignons qu’on regarde comme innocens & sur les mauvais, que leurs produits ont été entièrement semblables, enfin qu’on ne sait point encore quelle est la partie vénéneuse, ni où elle réside dans la plante. Il a été prouvé, par des expériences postérieures, que l’eau de végétation dans la plante contenoit le principe délétère. Un très-grand médecin assure que tous les champignons indifféremment, sont nuisibles du plus ou du moins ; & le célèbre M. Geoffroi dit qu’il vaut mieux jeter le champignon sur le fumier qui l’a produit, que de le préparer pour aliment. Tel a été le langage des plus grands médecins & naturalistes depuis Pline jusqu’à ce jour.

Il est encore prouvé, par les expériences de M. Parmentier, que ce végétal ne contient aucun principe nutritif. Il sert donc uniquement à flatter la sensualité. Vaut-il mieux se bien porter & vivre, ou risquer beaucoup en satisfaisant à la sensualité pendant un instant ? La solution du problême n’est pas difficile à donner.

M. Paulet, médecin très-zélé & très-instruit, a démontré qu’il y a des champignons si vénéneux, que la médecine n’a encore trouvé aucun remède contre leur terrible activité : il faut mourir.

On s’accorde assez généralement à dire que les champignons salubres ont pour signe distinctif des mauvais, une membrane ou collet qui entoure le pédicule. Et bien, ce collet se trouve également sur un des plus dangereux champignons connus ; & il ressemble si bien à ceux que l’on mange, que la méprise est très-facile. Il faut que ces signes soient peu certains, puisqu’il arrive tant de malheurs, j’aime mieux que l’on me reproche de pousser les choses trop loin, & même, si l’on veut, d’exagérer les craintes, que de donner lieu à des méprises toujours funestes. Celui qui cueille les champignons ne se ressouviendroit pas des caractères que j’aurois établis pour distinguer les bons des mauvais ; on les confondroit, on les appliqueroit mal, il vaut mieux se taire.

Ceux qui voudront connoître la manière de préparer les couches à champignons, peuvent consulter l’ouvrage de M. Roger de Schabol, intitulé : Pratique du Jardinage, tome II, page 588 ; ou le Dictionnaire économique, au mot Champignon ; ou la Maison rustique, & enfin tous les livres sur le jardinage. J’ai eu des exemples trop funestes devant les yeux, & qui me font encore frémir lorsque j’y pense, pour parler de ce dangereux végétal.

Des signes qui se manifestent lorsqu’on a eu le malheur de manger de mauvais champignons ; & des remèdes convenables. Ils sont plus ou moins sensibles, suivant la qualité & la quantité qu’on en a prise. Les champignons ont un effet tardif ; leurs premiers symptômes ne se manifestent souvent que douze ou vingt-quatre heures après. Les anxiétés, les nausées, les défaillances, les foiblesses continuelles, un vomissement, le dévoiement, l’assoupissement sont les symptômes les plus ordinaires. Quelquefois il survient des urines sanglantes, des cardialgies, des tranchées, une soif ardente, le transport, l’oppression, le gonflement des hypocondres, &c. Le pouls est fréquent & concentré, les extrémités sont froides, &c. Certains champignons, & non pas tous, occasionnent un resserrement à la gorge. Enfin ces substances vénéneuses passent dans les secondes voies, & attaquent l’origine des nerfs & le cerveau.

L’émétique est le remède le plus prompt ; mais il ne suffit pas, puisque à l’apparition des symptômes, le champignon a déjà passé en grande partie dans les secondes voies. Il convient donc de l’unir aux purgatifs & même d’employer les lavemens d’une décoction de tabac, afin de faire rendre promptement ce qu’elles contiennent.

Si on n’a pas sous la main, & si on n’est pas à portée de se procurer sur le champ les remèdes dont on vient de parler, il faut favoriser par de grands lavages tièdes, le vomissement naturel lorsqu’il a lieu, faire beaucoup boire au malade de l’eau rendue acidule par son union avec le vinaigre. Ce remède simple a souvent suffi. Enfin, lorsque les accidens les plus graves auront disparu, c’est-à-dire, après l’entière évacuation des champignons, on fera prendre au malade, dans chaque verre de sa boisson, un peu d’éther vitriolique. C’est à MM. Paulet & Parmentier que l’on doit la découverte de ce remède. Je le répète, souvent d’amples boissons acidulées par le vinaigre suffisent. Après la disparition totale des symptômes, & l’évacuation de ce qui les causoit, une prise de thériaque ne sera pas déplacée.