Cours d’agriculture (Rozier)/BOUE, GADOUE

Hôtel Serpente (Tome secondp. 398-399).


BOUE, GADOUE. Immondice, fange, ordure qui s’amasse sur les chemins, dans les rues & les places publiques. J’ignore s’il existe un meilleur engrais, soit pour les jardins, soit pour placer au pied des arbres, ou pour amender un champ, parce qu’aucune substance ne contient une plus grande quantité de terre soluble, (voyez le mot Terre) ni un mélange plus intime de substances animales, végétales & terreuses, & toutes réduites à la plus extrême division. Quelle différence dans la manière d’administrer la police dans les villes ! À Paris, il en coûte immensément pour faire enlever les boues & les porter aux voiries ; à Lyon, les gens de la campagne viennent souvent de plus d’une grande lieue les charger, ou sur des ânes, ou dans des tombereaux ; à Genève, l’enlèvement des boues est une des fermes de la ville, & qui lui rapporte beaucoup. Dans les petites villes, dans les villages, &c. où chaque habitant est propriétaire de fonds, il a grand soin de faire nettoyer la rue devant toute l’étendue de la maison, & la boue & les ordures sont si recherchées, que souvent le pavé est décharné, & les chevaux ont peine à se tenir. N’est-il pas étonnant qu’il soit défendu aux jardiniers ou maraîchers de Paris & de ses environs, d’employer ce fumier par excellence dans leurs jardins potagers, dans la crainte, pense-t-on, qu’il ne communique un mauvais goût, ou une qualité malfaisante aux légumes, fruits ? &c. Il est constant que lorsque ce fumier fermente, il répand une odeur très-désagréable, & cette odeur a été le principe de la conclusion bisarre qu’on a tirée. Mais lorsque cet engrais est resté en grande masse amoncelé pendant 10 à 15 mois, il n’a plus d’odeur, & dans cet état, il est impossible qu’il communique ni mauvais goût, ni mauvaise odeur aux plantes même les plus délicates. C’est alors un terreau par excellence.

Il n’existe de la boue dans les grands chemins, dans les chemins ruraux, que lorsque l’eau ne trouve pas une issue pour s’échapper. Dès-lors ce bas fond sert de réceptacle aux eaux des endroits supérieurs. Ces eaux se sont appropriés la terre soluble, la terre végétale qu’elles ont entraînées, ainsi que les débris des excrémens des animaux ; cette terre devenue boue, & encore divisée & pétrie de mille manières, par le piétinement des chevaux, toutes les parties en sont mélangées intimément : enfin elles forment à la longue une terre noire & végétale par excellence. C’est ne point entendre du tout ses intérêts, que de ne pas chercher à accumuler le plus qu’il est possible cette terre précieuse, soit en faisant des fossés pour la recevoir, soit en l’enlevant dès qu’elle commence à se sécher. C’est le cas de rapporter sur la place de nouvelle terre, afin de ne pas détériorer & rendre le chemin plus mauvais, & l’on sera bien dédommagé de son travail. Heureux celui qui peut se procurer celle des villes, ou des chemins !