Cours d’agriculture (Rozier)/ARTICHAUT

Hôtel Serpente (Tome secondp. 13-25).


ARTICHAUT. Les botanistes rangent avec raison l’artichaut & le cardon sous le même genre ; mais comme on écrit ici pour les cultivateurs, on traitera du second au mot Cardon. M. Tournefort place l’artichaut dans la seconde section de la douzième classe, qui comprend les herbes à fleurs à fleurons, qui laissent après elles des semences aigretées ; & il l’appelle cynara hortensis. M. le chevalier Von Linné le nomme cynara scolymus, & le classe dans la singénésie polygamie égale.


I. Description du genre.
II. Des différentes espèces d’Artichaut.
III. De la manière & du tems de les semer.
IV. De la manière de les multiplier par œilletons ou par filieules.
V. De la culture qu’ils exigent.
VI. Des moyens d’augmenter le volume du fruit & de le conserver.
VII. Ses propriétés.


I. Description du genre. Fleur, composée, flosculeuse ; les fleurons sont en forme de tube. Les fleurons hermaphrodites sont, dans le disque & à la circonférence, égaux, rassemblés dans un calice renflé & écailleux. Le calice est grand, évasé, les folioles ou écailles le recouvrent alternativement & tout le tour. La forme des écailles varie suivant les individus nommés espèces par les jardiniers, & variétés par les botanistes, ainsi qu’on le verra.

Fruit. Point de péricarpe. Le calice contient des semences solitaires, ovales, à quatre faces arrondies, couvertes d’une aigrette assez longue, dont la couleur bleue tire sur le violet ; les semences sont placées sur un réceptacle commun, plane & couvert de poils.

Feuilles, un peu épineuses, presque ailées, souvent découpées, & quelquefois entières ; la surface inférieure un peu velue, blanchâtre ; la couleur de la supérieure approche de celle qu’on nomme verd de mer.

Racine ; en forme de fuseau, ferme, épaisse & fibreuse.

Port. Tige de la hauteur de deux pieds, & souvent plus ; droite, cannelée, cotonneuse ; la fleur naît au sommet d’un péduncule qui est une prolongation de la tige ; ce péduncule est épais, feuillé ; & outre la principale tige, il en pousse de côté plusieurs secondaires également chargées de fruit ; les feuilles sont placées alternativement.

Lieu : les contrées méridionales de l’Europe ; cultivé dans les jardins potagers. La plante est vivace. M. le chevalier Von Linné indique les environs de Narbonne pour le pays natal de l’artichaut. Je l’ai cherché vainement dans les campagnes sans l’y trouver. Quoique cette contrée éprouve peu de froid, il y gêle cependant, & son pied périt tout entier. Ce n’est pas la marche des plantes vivaces dans leur pays natal. Il y a apparence que M. Von Linné a été trompé par les renseignemens qu’on lui a fournis.

II. Des différentes espèces d’artichaut. Il est difficile de bien caractériser ce que les jardiniers appellent espèces, sur-tout lorsque l’on prend la couleur pour base, puisque sur le même pied j’ai vu des fruits plus ou moins verds approchant du blanc, & tous deux ensemble ; & des rouges & violets, également sur le même pied. Peut-être faudroit-il considérer ces espèces plutôt relativement au lieu où on les cultive, puisqu’il est probable que c’est l’espèce qui y réussit le mieux. Par exemple, dans la partie basse du Languedoc & de la Provence, &c. on cultive deux espèces d’artichaut, dont le fruit est très-petit, proportion gardée avec l’espèce cultivée dans les environs de Paris. Les uns sont appelés artichauts blancs, & les autres artichauts rouges. La famille des blancs offre deux ou trois variétés. L’extrémité des feuilles ou écailles extérieures des uns, est armée d’une épine assez dure, solide & piquante, & celle des autres en est dépourvue. Leur forme varie encore tantôt en cône plus alongé ou plus tronqué, & le cœur en général est dégarni de foin, ou du moins il est si court & si fin, qu’on ne s’en apperçoit pas en mangeant le fruit. Le rouge, tant soit peu plus gros que les premiers, toujours proportion gardée, varie également dans sa forme, & il est plus renflé à sa base que les autres. Ces deux espèces sont très-précoces ; dès que le froid cesse le pied végète, le fruit paroît, & il est bientôt en état d’être coupé. Les cantons situés au pied des grands abris (voyez tom. Ier. pag. 282, Observations sur les abris, &c.) comme ceux de Nice, d’Hières, &c. permettent à l’artichaut de donner son fruit souvent en Janvier. Il s’en consomme peu dans le canton ; on les envoie à Paris. Je crois l’espèce blanche être celle que les auteurs appellent l’artichaut de Gênes, qu’ils ne décrivent pas assez bien pour la différencier par de bons caractères, de l’espèce blanche dont je parle. Je ne connois pas celle de Gênes ; & lorsque j’en parlerai, ce sera d’après les auteurs.

L’espèce blanche est plus hâtive que la rouge, & elle ne fructifie, en général, qu’une seule fois par année ; la rouge, au contraire, qui filleule beaucoup plus, donne toujours de tems à autre, du fruit, jusqu’à ce que le froid vienne ralentir sa végétation. Les artichauts secondaires sont plus effilés & moins gros que les premiers, & un peu moins délicats, sur-tout s’ils sont pressés par les chaleurs. La chair du fruit de ces deux espèces est ferme, cassante, excellente à manger crue & assaisonnée de toutes les manières, quoiqu’en disent ceux qui les ont jugés sans les connoître.

Une troisième espèce, des provinces méridionales, & qu’on cultive dans le Lauragais & près de Perpignan, mérite d’être connue. Ses feuilles sont plus découpées que celles des espèces précédentes ; ses tiges plus fermes & plus hautes. Son fruit est rougeâtre foncé, d’un diamètre de trois pouces environ, aplati par le haut & par le bas ; ses écailles courtes, très-serrées ; son goût fort & relevé ; c’est une bonne espèce, & qui commence à donner lorsque les deux autres finissent. Le fond du calice, qu’on appelle communément le cul de l’artichaut, est garni par beaucoup de foin blanc, & la chair est blanche.

Quelques amateurs cultivent dans les provinces du nord de ce royaume, le petit artichaut blanc dont on a parlé ; il y réussit assez mal, y craint beaucoup le froid, & sa chair n’a jamais le goût aussi délicat que celui de ces mêmes artichauts cultivés dans les provinces méridionales.

L’espèce la plus commune, & que l’on cultive de préférence dans les climats du nord, est l’artichaut vert. Lorsque le terrain lui plaît, la grosseur de son fruit paroît prodigieuse, si on la compare avec celle des deux premières espèces déjà décrites. Il y en a dont la base du fruit a jusqu’à cinq pouces & même plus de diamètre. Outre sa grosseur, son caractère particulier est d’avoir les écailles ouvertes, & la pointe du fruit un peu aplatie. Il est très-inférieur pour le goût aux trois premières espèces.

La seconde espèce des mêmes climats, est le violet, moins gros & moins large que le précédent. La forme de ses écailles est moins arrondie ; elles sont armées d’un petit piquant à leur sommet ; le fond de leur couleur est verd, & d’un rouge violet à leur extrémité supérieure. Il n’est pas aussi productif que le précédent.

La troisième espèce est le rouge. La couleur de toute l’écaille approche du rouge pourpre ; le cœur est jaune, sa chair est délicate. Il est moins gros que les deux précédens. Cette espèce se rapproche beaucoup de la seconde des provinces méridionales.

Tous les auteurs qui ont écrit sur le jardinage ont parlé de l’artichaut sucré de Gênes ; ils se sont copiés mutuellement les uns & les autres, & ne disent rien de plus. Voici ce que dit l’auteur de l’École du Jardin potager, ouvrage qui mérite d’être distingué des autres en ce genre. « Le sucré de Gênes, ainsi nommé parce qu’il a effectivement le goût fin & sucré, est préférable au rouge par sa délicatesse, & n’est bon de même que cru. Sa pomme est fort petite, hérissée de pointes piquantes ; sa couleur est d’un verd pâle, & sa chair est fort jaune : on tire les œilletons de Gênes par la voie des courriers : son défaut est de dégénérer dès la seconde année ; il faudroit par conséquent en faire venir tous les ans pour les manger dans leur perfection, ce qui ne convient qu’à peu de personnes ; aussi on n’en voit que dans les jardins de quelques curieux. ».

III. De la manière & du tems de semer les artichauts. Un jardinier prudent laissera chaque année plusieurs pieds monter en graine, & il les recueillera avec soin. Cette précaution, qui coûte si peu, seroit inutile, si l’on n’avoit pas à redouter les gelées & la trop grande humidité. Le froid de 1776 fit périr une quantité prodigieuse de pieds d’artichaut, & pour de l’argent on ne trouvoit pas à acheter des filleules ou œilletons : la graine se vendit jusqu’à une pistole l’once. Les trop grandes pluies de l’hiver produisent le même effet que le froid ; c’est-à-dire, le pied périt en pourrissant par trop d’humidité. Si la graine qu’on a cueillie ne sert pas au printems, la perte sera peu considérable, & il pouvoit arriver qu’on se fût repenti d’une trop grande sécurité, & de son peu de précaution.

Il y a deux manières de semer les graines, ou à demeure, ou en pépinière pour replanter, & le tems de ces opérations est le mois de Mars dans les cantons où les pluies, les rosées froides & les gelées ne sont plus à craindre, plus tard pour les autres climats.

Lorsque l’on sème à demeure, la terre doit auparavant avoir été bien préparée, bien défoncée, & fumée : de trois pieds en trois pieds on ouvrira de petits creux, & on les garnira de terreau. Trois ou quatre graines au plus, séparées entr’elles de quelques pouces, garniront la superficie de ce creux, & elles seront recouvertes d’un demi-pouce de terreau. Les arrosemens, dans le besoin, seront faits avec un arrosoir dont les trous de la pomme seront très-petits, & on arrosera peu à la fois, afin de ne pas trop affaisser la terre. Cependant la graine lève facilement, & sembleroit ne pas exiger de tels soins ; aussi est-ce moins pour faciliter le développement de la graine, que la croissance rapide des racines. Plus elles pivoteront, plus la plante gagnera en force & en vigueur. Lorsque les graines auront germé, lorsque leurs jeunes feuilles auront acquis la longueur de quelques pouces, on ne laissera qu’un seul pied, & les deux ou trois autres seront replantés ou rejetés, suivant les besoins du jardinier.

La seule différence du semis en pépinière avec le précédent, c’est qu’on attend un peu plus tard, afin que le plant ait plus de corps lorsqu’on le replantera. Je préférerois la première méthode ; elle épargne une opération, & à moins que la plante n’ait été levée de terre avec le plus grand soin & avec toutes ses racines, elle souffre toujours un peu de la transplantation. L’artichaut semé à demeure, ou replanté, ne donne ordinairement du fruit qu’à la seconde année.

IV. De la manière de multiplier l’artichaut par filleule ou par œilleton. Ces deux mots sont synonymes & usités dans différentes provinces : il est aisé de juger d’où ils dérivent. Autour de la tige principale & de ses racines, s’élèvent plusieurs tiges particulières qu’on sépare du tronc. Cette opération a lieu le plus communément à la fin de l’hiver, lorsqu’on découvre les artichauts, ou après que la plante a donné son fruit, ou au mois de Septembre ; on peut même œilletonner pendant toute l’année, excepté dans la saison froide. Il vaut mieux plutôt que plus tard ; la plante est plus vivace & résiste mieux au froid.

Le jardinier ordinaire & qui réfléchit peu, éclate avec le pouce l’œilleton, & le sépare du tronc principal ; mais le jardinier prudent se sert du couteau, & la plaie faite à la mère tige est plutôt cicatrisée ; il faut le même tems pour cette seconde méthode ; elle est plus sûre & moins meurtrière. Avant d’œilletonner, on découvre la plante jusqu’à ses racines, & on a la facilité de choisir l’œilleton qui doit rester en place, si le tronc principal est mauvais, & les œilletons destinés à regarnir les places vides, & ceux que l’on destine pour former un nouveau quarré.

Si le tems est chaud, on fera très-bien de les tenir dans un vase assez rempli d’eau pour que le talon y trempe : la terre s’unit mieux au talon & à ses racines lorsqu’on le replante. Lorsqu’il est mis en terre, on peut, si l’on veut, finir de remplir le trou fait par le plantoir, avec du terreau ; & avec ce même plantoir, pousser la terre contre le talon, de manière qu’il soit bien assujetti, & que l’arrosement qui succèdera aussitôt après la plantation, ne dérange pas la direction qui a été donnée à la plante.

V. De la culture de l’artichaut. Pour former une artichaudière, l’auteur de la Maison Rustique, & ceux qui l’ont copié, s’accordent à dire que le terrain doit être défoncé à la profondeur de trois pieds. On ne défonceroit guère plus pour un arbre à plein vent ; cette dépense est inutile. L’auteur de l’École du Jardin potager, ouvrage que nous avons déjà distingué par son mérite, conseille une fouille de deux pieds à deux pieds & demi, & c’est encore beaucoup. Le père d’Ardenne, auteur de l’excellent ouvrage intitulé, Année champêtre, prescrit le défoncement à deux pieds de profondeur, pour le mieux, ajoute-t-il ; mais ordinairement un pied & demi suffit, & la majeure partie des jardiniers ne défoncent pas au dessous d’un pied, & souvent moins. Cependant le père d’Ardenne rapporte qu’un seigneur de Provence fit transporter de la terre dans un endroit de son potager, à une hauteur considérable, & fit planter des artichauts dans ce terrain transporté : les plantes vigoureuses au dernier point, ont fruité tous les douze mois de l’année, jusqu’à ce que le terrain ait pris une consistance ordinaire. Ainsi avant d’entreprendre ce travail, chacun doit consulter la dépense qu’il peut faire, & se régler en conséquence. Une fouille très-profonde n’a d’avantage que les dix-huit premiers mois ; après cette époque la terre s’est tassée, à peu de chose près, comme si elle n’avoit pas été remuée. Il ne faut qu’une grosse pluie d’orage pour rendre la terre labourée aussi dure, aussi compacte que si on ne l’avoit pas sillonnée, surtout si le terrain est argileux.

Si la terre qu’on a défoncée pour l’artichaudière, est bonne, il est inutile d’y ajouter du fumier, à moins qu’on habite un pays où il soit abondant. Toutes les plantes fumées sont plus belles, il est vrai, mais le goût de leur fruit est moins délicat.

On peut diviser cette terre ou en planches, ou la planter dans son entier, ou enfin la diviser par sillons, suivant la coutume des provinces méridionales, coutume que le besoin a rendue indispensable.

En général, ce n’est point assez d’espacer de deux pieds ou de deux pieds & demi chaque plant d’artichaut ; il faut trois pieds. Cette distance paroît énorme en plantant, mais dans la belle saison elle n’empêche pas que les feuilles d’une plante ne touchent celles de la plante voisine. Plus il y a de courant d’air entre chaque pied, plus les feuilles attirent & absorbent les principes de végétation répandus dans l’atmosphère. L’échiquier offre le moyen unique de donner plus de surface aux plantes sans diminuer leur nombre.

La plupart des jardiniers plantent deux œilletons à six pouces l’un de l’autre, afin d’avoir la liberté d’arracher celui des deux qui aura le moins bien repris ; opération inutile, qui multiplie la main-d’œuvre sans nécessité. Plantez un bon œilleton bien conditionné, bien enraciné ; arrosez suivant les besoins, & soyez sûr qu’il reprendra sans peine. Cependant quelques pieds peuvent être détruits par des accidens quelconques : pour les prévenir, ayez quelques œilletons en réserve, ou en pépinière, ou que vous laisserez sur le vieux pied jusqu’au moment où il faudra l’éclater pour regarnir.

Si en plantant la filleule ou œilleton, vous l’enfoncez trop profondément en terre, c’est-à-dire si le cœur est couvert, il pourrit ; c’est une attention essentielle. Dès que le pied est mis en terre, il faut l’arroser tout de suite ; & il reprendra beaucoup plutôt dans les pays chauds, si pour le garantir de la trop forte impression du soleil, on le couvre légérement avec la paille, ou même avec les grandes feuilles arrachées avant la plantation, ou telles autres feuilles d’un grand volume. Je me suis très-bien trouvé de cette petite attention, de même que de celle de découvrir la plante chaque soir, afin de la faire jouir de la fraîcheur de la nuit, du bienfait de la rosée, &c.

Nous supposons l’artichaudière formée, & même avoir passé son premier hiver, afin de ne pas être obligés de faire des répétitions. Ce que nous allons dire des travaux suivis de l’année, suppléera à ce qui pouvoit déjà être dit ; cette marche sera plus méthodique.

Suivant le climat qu’on habite, suivant la manière d’être de la température, on commence à ouvrir les buttes formées au pied & tout le tour de la plante, pour la garantir des gelées pendant l’hiver. (On parlera bientôt de la manière de butter) Dans les provinces méridionales, le tems de débutter est vers la fin du mois de Février ; & pour celles du nord, dans le courant de Mars. Si on débuttoit tout à la fois, on courroit les risques de tout perdre ; la plante est trop délicate, elle est presque blanchie sous sa butte ; dès-lors l’impression trop vive du soleil, ou celle d’une matinée fraîche, l’endommageroit beaucoup. Il convient donc de l’accoutumer peu à peu aux variations de l’atmosphère, & de ne la découvrir entiérement que lorsqu’elle n’a plus rien à craindre. C’est le cas, à cette époque, de mettre la plante à nu, de détacher les liens qui resserroient les feuilles, d’enlever celles qui sont pourries ; de la dégarnir des œilletons surnuméraires, parce qu’ils nuiroient au pied & à ceux qu’on lui laisse, au nombre de deux ou trois tout au plus, & encore faut-il que la souche soit en bon état. Ceux qui naissent trop près du collet de la plante, c’est-à-dire à fleur de terre, seront sévérement séparés ; on ne peut rien en attendre. (Voyez ce qui a été dit n°. IV, sur la manière d’œilletonner.) Les bons œilletons qu’on vient de séparer, serviront ou à des plantations nouvelles, ou à regarnir les places vides. Rejetez tous ceux qui n’ont pas de bonnes racines.

La terre, ou le fumier, ou la paille dont on s’est servi avant l’hiver pour butter, aussitôt après que la plante aura été parée, seront étendus sur le terrain, & un bon labour à la bêche ou à la pioche, suivant la coutume du pays, enfouira le tout aussitôt. Ce travail est indispensable.

En Avril, en Mai, les soins qu’exige la plante, c’est d’être débarrassée des mauvaises herbes, dont les graines, soit transportées par le vent, soit mêlées avec le fumier, la paille, &c. auront germé au retour de la belle saison. Enfin lorsque le fruit commencera à paraître entre les feuilles, un petit labour contribuera beaucoup à son prompt & vigoureux développement. C’est ici le moment de ne pas le laisser souffrir de la sécheresse. Prenez bien garde de ne pas attaquer les racines, de ne pas briser les chevelus ; ce seroit interrompre le cours de la séve.

Dans les provinces du nord de la France, les premiers artichauts sont bons à couper seulement au mois de Septembre ; & comme ils ne poussent pas tous à la fois, on en recueille jusqu’aux gelées. Les soins dont on vient de parler s’appliquent également à ceux-ci. Cette différence marquée pour le tems du fruit, vient & des espèces qu’on y cultive, & du peu de chaleur de ces climats relativement à celle que l’artichaut demande. Ces grosses espèces dégénèrent peu à peu dans les provinces du midi, & il faut les y renouveler souvent. L’espèce qui tient le milieu, & qui mérite d’être cultivée vers le midi, est celle du Lauragais, de Perpignan, qui se soutient très-bien. Elle donne son fruit plus tard que les petites espèces de Provence, de Languedoc, &c. & beaucoup plutôt que les grosses espèces de Paris.

Aussitôt après qu’on a coupé le fruit, on doit couper les tiges qui les ont portés, le plus près de terre qu’il est possible. Si on les éclate, si on les arrache à la manière des jardiniers, on endommage les œilletons & la souche ; & la cassure inégale, cause presque toujours la pourriture au tronc. Dans les provinces méridionales, dès que les œilletons sont bien formés, on les sépare du tronc, on les replante, & on est assuré d’avoir de nouveaux fruits à la fin de Septembre, dans le courant d’Octobre, sur-tout si on a replanté les œilletons du petit artichaut rouge. Le climat & les espèces permettent de planter pendant tout l’été, pourvu qu’on ait soin d’arroser.

L’artichaudière dure plus ou moins long-tems, suivant la nature du terrain. En général, elle se maintient en bon état pendant trois ou quatre ans. Passé ce tems, il faut la renouveler & la transporter dans un carré différent.

Déjà les rayons du soleil commencent à tomber obliquement sur la terre, les matinées deviennent fraîches, les nuits froides, les gelées blanches couvrent les plantes, il est tems de songer à couvrir ou butter les pieds d’artichaut ; cette époque est plus ou moins avancée ou retardée, suivant le climat.

Je crois que les mots butter & couvrir devroient avoir deux significations différentes, quoique ces deux opérations concourent au même but pour préserver les artichauts des gelées. Par butter, j’entends environner le pied avec la terre, jusqu’à une certaine hauteur ; & par couvrir, environner le pied avec de la paille, du fumier, des feuilles, & le couvrir entiérement avec ces matériaux pendant les grandes gelées. Dans les provinces du nord on butte de bonne heure ; dans celles du midi, le plus tard que l’on peut, & quelquefois point du tout ; cela dépend de la saison. J’ai vu dans le Languedoc, & par un tems sec, il est vrai, la gelée être entre le cinquième & le sixième degré de Réaumur, au dessous de zéro, des pieds d’artichaut oubliés, n’en pas être endommagés, & donner ensuite autant de fruit que les autres. Il est constant que si les feuilles, la tige & le terrain avoient été humides, ils seroient péris.

La saison décide dans le nord l’époque où il faut commencer à butter ; c’est à peu près dans le courant de Novembre. Si la saison y devient pluvieuse & douce après les premiers froids, il est à craindre que les pieds ne moisissent, ne pourrissent. Ne vaudroit-il pas mieux, au lieu de terre, employer la balle du blé, (gluma) que dans quelques pays on nomme bourrier ? l’eau ne la pénètre point lorsqu’elle est à une certaine épaisseur ; la partie supérieure seule est humectée ; elle forme une croûte ; cette croûte garantit la partie inférieure, la terre & le pied de la plante. Si on a le choix du tems, il convient de préférer le moment où la terre est la moins humectée.

Quelques particuliers conseillent de travailler l’artichaudière, les uns en Septembre, les autres en Octobre ou au commencement de Novembre. Cette opération est aussi nuisible qu’inutile : je parle pour les terrains humides. Il vaudroit mieux piétiner le terrain, durcir sa surface, ouvrir une rigole dans le milieu du terrain vide entre les rangées d’artichauts, afin de faciliter l’écoulement des eaux. La balle du blé, mise autour de chaque pied, formera autant de monticules qui repousseront l’eau dans la rigole, & garantiront la plante d’une humidité dangereuse.

Un jardinier prudent n’attendra pas que les fortes gelées commencent pour transporter auprès de l’artichaudière le fumier & telle autre matière destinée à couvrir entiérement la plante. Le cultivateur négligent fait tout à la hâte, tout à contre-tems ; par conséquent tout mal.

Avant de couvrir le pied, on doit rapprocher les feuilles les unes près des autres sans trop les resserrer ; un lien de paille suffit. Quelques-uns coupent ces feuilles à sept à huit pouces au dessus de terre, comme s’ils avoient peur que la plante eût trop de force pour résister aux rigueurs de l’hiver, ou pour avoir moins de peine, & moins de fumier ou de paille à transporter & à ranger. Les maraîchers de Paris prennent le fumier court qui sort des couches & qui n’est pas consommé ; ils s’en servent pour environner le pied, finissent par couvrir la plante avec de la paille de litière sèche, & augmentent cette couche de paille suivant l’intensité du froid. Il est heureux pour eux que cette espèce de paille soit très-abondante à Paris, ainsi que les fumiers. On n’a pas ailleurs la même ressource ; chacun se sert de ce qu’il trouve, roseaux, feuilles, joncs, &c. tout est employé.

Il est aisé de sentir que cette paille de litière laisse beaucoup de vides entre chaque brin, la pluie s’introduit ; & si les alternatives du froid & des pluies ont été longues, il n’est pas rare de voir à la fin d’un tel hiver, des carrés presqu’entiérement dévastés. La balle du blé pareroit à ces inconvéniens.

J’ai vu manœuvrer un jardinier d’après des principes plus réfléchis : il ne buttoit point, mais il environnoit les pieds d’artichaut dont les feuilles étoient liées, avec des briques & des carreaux. Le côté du midi étoit plus élevé ; un large carreau servoit de porte, & la partie supérieure étoit recouverte par de longues tuiles. Dès que le tems étoit doux, il ouvroit la porte de sa maisonnette, la plante recevoit les rayons du soleil ; s’il pleuvoit, s’il faisoit froid, la porte étoit refermée, & la maisonnette recouverte de paille, disposée comme celle d’un paillasson, ou recouverte de fumier & de son paillasson. C’est par ce procédé, qu’on traitera de minutieux, qu’en 1776 il ne perdit pas un seul pied d’artichaut, malgré le froid excessif de cette année : il fut de seize à dix-sept degrés.

Autant que la saison le permettra, on découvrira plus ou moins le sommet des artichauts, afin de leur donner de l’air, de les empêcher de blanchir, & sur-tout pour laisser une libre sortie à l’humidité.

Les soins exigés par cette plante délicate & si ennemie de l’humidité surabondante, prouvent bien qu’elle n’est pas indigène à la France, même dans ses provinces méridionales, & que son existence est due entiérement à l’art. Dès-lors je ne vois pas pourquoi quelques auteurs ont parlé de l’artichaut sauvage. Ils auront surement pris quelques carduus, quelques onopordons qui croissent dans nos champs, pour le type de l’artichaut des jardins ; d’autres ont confondu l’artichaut avec la plante vulgairement nommée cardon d’Espagne, dont nous parlerons au mot Cardon ; & s’il croît naturellement en Italie & en Sicile, c’est surement dans des expositions où il ne craint pas les effets de la gelée.

Telle est la manière de conduire les artichauts pendant tous les tems de l’année, soit dans le midi, soit dans le nord du royaume ; c’est à présent aux particuliers à en faire l’application au pays qu’ils habitent, en proportion de la distance où il se trouve de l’un ou de l’autre. Voyons actuellement quels sont les insectes qui nuisent à sa végétation.

Le mulot est le plus dangereux ennemi pendant l’hiver. On dit, & je n’ai pas essayé, qu’il abandonne l’artichaut pour se jeter sur les bettes blondes qu’on a plantées exprès autour du carré pour les y attirer. Je crois que le meilleur moyen est de leur tendre des pièges.

Le puceron recoquille les sommités des jeunes feuilles, & on les voit par milliers au dessous du fruit, collés sur la tige ; ils s’attaquent même quelquefois au fruit. Des auteurs ont conseillé gravement, pour les détruire, d’arroser toute la plante avec de l’eau savonneuse ; ce conseil est absurde : d’autres avec de l’eau chargée de suie ; ce moyen est un peu plus sûr, quoiqu’il m’ait produit peu d’effet. Arrosez souvent la plante, dit un troisième, & ce troisième raisonne mieux que les deux premiers, sans cependant offrir un moyen assuré. Je ne vois pas, au surplus, le grand tort que ces pucerons font aux fruits ; je sais qu’avec leur petite trompe ils sucent la séve ; mais cette succion est si peu considérable, que je n’ai jamais vu aucun fruit moins gros qu’il ne devoit l’être. Ils sont désagréables à la vue, & voilà tout.

Il est facile de tirer parti de l’artichaudière qu’on se propose de détruire dans les provinces méridionales : on enterre les pieds comme les cardons, dans de petites fosses creusées exprès, & qu’on recouvre de terre. Là, le tronc & les côtes des grandes feuilles y blanchissent comme les cardons, servent aux mêmes usages de la cuisine qu’eux, & ils sont encore plus délicats. Dans les provinces du nord, on ne laisse en été qu’un seul œilleton sur chaque pied ; & à la fin de Septembre, ou au commencement d’Octobre, on lie les feuilles, on les empaille, & un mois après les pieds sont bons à manger. Pour faire durer plus long-tems ses jouissances, ces cardons factices ne sont pas liés tout à la fois ; mais dans la crainte des gelées, on les lève de terre, on les plante dans le jardin d’hiver ; enfin on les empaille suivant ses besoins. Le sol du jardin d’hiver doit être couvert d’un bon pied de sable, & ce sable sert à enterrer les pieds d’artichaut.

VI. Des moyens d’augmenter le volume du fruit, & de ceux nécessaires pour le conserver. Ayez un bon terrain, cultivez bien, donnez beaucoup d’engrais, & vous aurez des artichauts superbes relativement à l’espèce. La loi est générale & sans exception. Ceux qui aiment le merveilleux & qui réfléchissent peu, ont donné comme un moyen assuré de faire grossir les fruits, de couper les feuilles à leur sommet ou par moitié lorsque le fruit commence à paroître. Ce conseil ressemble à celui-ci : coupez les doigts des pieds de l’homme, il en marchera plus vite. Eh quoi, toujours contrarier la nature ! Ces auteurs ne savent donc pas que les feuilles tiennent lieu de poumons dans les plantes ; que par leur secours, les secrétions de la transpiration ont lieu ; en un mot, que c’est ralentir & diminuer les moyens par lesquels la nature élabore la séve & pompe non-seulement l’humidité de l’atmosphère, mais encore aspire les principes de la végétation qui y sont disséminés ?

Des auteurs ont considéré le fruit de l’artichaut, comme les fleuristes regardent une belle fleur. Ils ont dit : Si on coupe les artichauts secondaires, si on ne laisse que le premier sur la même tige, il en sera plus gros, & ils ont eu raison. Je demande à présent : S’il falloit vendre le produit de douze pieds d’artichauts ainsi traités, ou celui de douze autres plantes d’artichauts abandonnées aux soins de la nature, & aidées des travaux du jardinier, de quel côté seroit le bénéfice ? Laissez ces belles spéculations, & rapportez-vous-en aux jardiniers qui vivent sur le produit de leurs soins & de leurs peines. Ils n’adopteront jamais cette maxime insérée dans le Dictionnaire Économique, au mot Artichaut : « Pour avoir de belles têtes, on n’en laisse qu’une à chaque montant ; on coupe toutes les secondes qui poussent autour de la tige, & on rogne environ le tiers de la longueur de toutes les feuilles ».

Voici un autre moyen proposé par le père d’Ardenne, pour faire grossir les têtes d’artichauts. Il faut avec la serpette, fendre la tige au dessous du fruit, & on alonge cette fente d’environ trois pouces ; on fait encore une seconde fente semblable à la première, qui la croise à angles droits. On insinue quelques brins de feuilles, ou autre chose pareille, pour tenir les fentes entr’ouvertes ; après quoi l’on couvre le fruit, en repliant par-dessus les feuilles de la plante, afin de garantir du soleil les plaies qu’on a faites. Cette opération, toute simple qu’elle est, fait doubler & tripler le volume de l’artichaut, & le rend presque méconnoissable, jusqu’à le croire d’une autre espèce quand on ignore cette pratique.

Des moyens de conserver le fruit dans les provinces du nord. Quelquefois les premières gelées, & même assez fortes, surprennent les fruits encore sur pied, & même avant que quelques-uns soient arrivés à leur point de perfection. Alors on préviendra les effets de la gelée, lorsqu’on s’en voit menacé, en arrachant les pieds & les enterrant dans le jardin d’hiver ou serre ; mais on perd le pied de l’artichaut pour sauver tout son fruit.

On peut encore, à l’approche des gelées, couper la tige près du collet, la porter dans la serre, l’enterrer dans du sable frais, à la profondeur de six à huit pouces, & donner à cette tige le plus d’air que l’on pourra & que la saison le permettra, afin de diminuer l’humidité de la serre. Ces tiges se conserveront ainsi pendant un ou deux mois, & le fruit sera bon à manger.

Du moyen de conserver l’artichaut sec. Le climat des provinces méridionales, & les espèces que l’on y cultive, permettent d’avoir du fruit pendant presque toute l’année, si on a eu soin d’œilletonner & de replanter à propos ; aussi on s’occupe peu dans ces provinces du soin de faire sécher les fruits. Il n’en est pas ainsi dans celles du nord ; en voici le procédé. On éclate de force les pommes de leurs tiges, & on ne les coupe pas. La tige retient les filets qui la lient avec le fruit ; on jette ces pommes telles qu’elles sont dans l’eau bouillante, & on les y laisse cuire à moitié. Retirées de l’eau, & un peu refroidies, les feuilles sont arrachées l’une après l’autre ; tout le foin est enlevé avec une cuiller ; on coupe le cul en dessous, de l’épaisseur d’un écu, & tout de suite on le jette dans l’eau froide. Après les y avoir laissés deux heures environ, on les met égoutter sur des claies exposées au soleil, ou bien on les suspend par des fils dans un lieu où il y ait un grand courant d’air, afin de dissiper toute leur humidité. On les ferme ensuite dans un lieu bien sec. Lorsqu’on veut s’en servir, on les fait revenir dans l’eau tiède pendant quelques heures. Le cuisinier les fait cuire ensuite, & les accommode comme il lui plaît.

Le second moyen de conserver les artichauts, est de les faire cuire à moitié comme il vient d’être dit, de les retirer, de les laisser égoutter, ensuite d’arracher le foin avec une cuiller, sans toucher ni déranger les feuilles. On les jette dans l’eau froide, où ils restent pendant une heure ou deux. Dans cet intervalle on prépare de nouvelle eau, dans laquelle on jette une quantité suffisante de sel ; les artichauts sont retirés de la première eau froide, & jetés dans cette eau salée ; la surface de la cruche, ou le vase dans lequel on les aura plongés avec l’eau salée, sera recouverte d’huile d’olive ou de pavot, à la hauteur d’un pouce environ. On peut de cette manière, conserver les artichauts pendant toute l’année. La seule attention qu’ils exigent, est de changer l’eau une ou deux fois dans l’année, & de leur donner une nouvelle eau salée. Il vaut mieux qu’il ait plus de sel que moins, autrement l’artichaut pourriroit. Pour s’en servir, on met le fruit dessaler dans l’eau tiède, & on a le plaisir d’avoir des artichauts qui paroissent presque aussi beaux & aussi frais que ceux de la saison.

VII. Des propriétés de l’artichaut. La chaleur de l’artichaut a une saveur douceâtre & austère ; sa racine est apéritive & diurétique. Le fruit nourrit médiocrement, se digère avec facilité, ne pèse pas sur l’estomac, ne cause point de coliques, ainsi qu’on l’a prétendu, & augmente sensiblement le cours des urines. Les fleurs ont la propriété de coaguler le lait sans donner de mauvaises qualités au petit-lait. Cette plante est plus utile entre les mains du cuisinier, que dans celles du médecin.


Artichaut de Jérusalem. (Voyez Topinambour)