Cours d’agriculture (Rozier)/APOCIN

Hôtel Serpente (Tome premierp. 589-591).
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APOCIN qui porte la ouate ou Apocin de Syrie. (Voyez Planche 17, pag. 548.) M. Tournefort range cette plante dans la cinquième section des herbes à fleur en forme de cloche, dont le fruit est fait en forme de gaine, & il la nomme apocinum majus syriacum rectum. M. le chevalier Von Linné la classe dans la pentandrie digynie, & l’appelle asclepias syriaca.

Fleur A, d’une seule pièce, en forme de cloche, découpée en cinq parties. Son calice également découpé en cinq parties, & chacune de ses découpures est placée entre celles de la fleur. B représente la fleur vue de face ; C représente le dessous de la corolle, percée au centre, pour laisser parler le pistil D qui a deux stigmates cylindriques ; il porte sur l’ovaire E.

Fruit. C’est une gaine oblongue, pointue, plus large dans le milieu, renflée. En F, ce fruit est représente ouvert, afin de montrer la disposition des graines. Chaque graine G est plate, enveloppée d’une aigrette considérable H, par laquelle elle tient au placenta I, représenté nu dans la figure K.

Feuilles : elles sont entières, ovales, en forme de fer de lance, terminées en pointe, cotonneuses en dessus, quelquefois alternes, quelquefois opposées & soutenues par des pétioles courts & cylindriques.

Racine ; rameuse, fibreuse, traçante.

Port. La tige s’élève à la hauteur de deux à trois pieds ; elle est simple, herbacée ; les fleurs naissent presque au sommet, & elles sont flottantes. La tige meurt chaque année, & elle se reproduit ensuite de ses racines.

Lieu ; originaire de Syrie, d’Égypte, d’où il a été apporté. Quoiqu’indigène aux pays très-chauds, cet apocin supporte impunément les froids les plus rigoureux de nos climats.

Propriétés. L’herbe a un goût amer, on la dit purgative, & à une dose un peu forte, émétique. Elle est rarement, ou presque point usitée en médecine, & nous n’avons encore aucune bonne observation qui constate ses effets sur l’économie animale.

Usage. D’après les tentatives heureuses faites par plusieurs personnes en différentes provinces du royaume, il est démontré que la culture de cet apocin offre une nouvelle branche de commerce. Nous en parlerons plus bas.

Ceux qui ne peuvent pas se procurer des drageons de ses racines, peuvent semer ses graines au printems. Comme elles sont dures à lever, je conseille de se servir de caisses ou de pots pour les semis. Une terre substantielle & légère suffit.

Lorsqu’on replantera, je conseille d’espacer les plants au moins de cinq pieds de distance, parce que la racine de cette plante trace d’une manière surprenante, & on sera étonné, après la troisième ou quatrième année, de voir le terrain couvert de tiges ; enfin, si on ne s’oppose à leur multiplication, elles pulluleront & gagneront les terrains voisins avec autant de rapidité que le chiendent, sur-tout si la terre est douce & légère. Il est inutile de lui donner une si bonne terre.

Sarcler souvent, travailler la terre à la houe ou à la pioche une ou deux fois l’année, sont les seuls soins qu’elle exige dans les commencemens ; peu à peu elle s’emparera si bien du terrain, qu’elle surmontera & détruira les mauvaises herbes : ensuite une seule façon chaque année suffit. On pourroit fumer de tems à autre ; les fruits seroient plus volumineux, & par conséquent la ouate plus longue ; ce qui est un objet essentiel.

Lorsque le fruit commence à s’ouvrir, on le coupe & on le laisse sécher ; après sa dessiccation, on sépare l’aigrette ou ouate d’avec la graine, & on la met dans des sacs.

En 1757, la société d’agriculture de Bretagne fit cultiver cette plante ; en 1762, M. de Fontanes, de la société d’agriculture de la Rochelle, fit fabriquer à Niort deux chapeaux avec la ouate d’un apocin qui croît naturellement sur les dunes du Bas-Poitou. Cette ouate est plus courte que celle de l’apocin de Syrie ; aussi les chapeaux furent-ils un peu bouchonneux.

M. la Rouvière, bonnetier du roi à Paris, est parvenu à la carder & à la filer ; il en fabrique actuellement des velours, des moletons, des flanelles supérieures à celles d’Angleterre ; des satins qui imitent ceux des Indes, des espagnolettes, des bas, des bonnets ; en un mot, tout ce qui a rapport à son art. Il les présenta à l’académie des sciences de Paris en 1760.

Pour carder cette ouate si légère qu’elle s’envoleroit au moindre vent, il faut la tenir dans un sac, & l’exposer à la vapeur de l’eau chaude. Je ne sais si M. la Rouvière est parvenu à la carder seule ; mais il est très-aisé de la carder lorsqu’on met un lit de coton ou de soie, & un lit d’ouate, & ainsi de suite. La soie ou le coton donne du corps à la ouate.

L’ouate de l’apocin ne prend pas à la teinture aussi parfaitement le noir, que la laine & que la soie ; mais il est constant que si on connoissoit les procédés dont M. de la Folie se servoit pour teindre en noir les fils de lin & de chanvre, on réussiroit à lui donner cette couleur. Ce zélé citoyen, que la mort vient d’enlever à la fleur de son âge, a donné son secret à un de ses amis, & il est à croire que dans quelques années il le rendra public.

Quand même on n’emploieroit pas cette ouate pour la fabrication des étoffes, il seroit encore très-avantageux de cultiver cet apocin pour ouater les couvertures, &c.

La tige de cette plante mise à rouir, comme celle du chanvre & du lin, ensuite serancée & préparée comme eux, fournit un fil fort long, très-fin, & d’un blanc luisant.

Cette plante mérite à tous égards d’être cultivée.