Cours d’agriculture (Rozier)/AIMANT

Hôtel Serpente (Tome premierp. 303-306).
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AIMANT. L’aimant, (Magnès, ainsi nommé, ou de la Magnésie, province de Thessalie, dans laquelle on l’a trouvé la première fois, ou du nom du berger qui, dit-on, le découvrit par hasard avec le fer de sa houlette) doit être rangé parmi les mines de fer très-pauvres, plutôt que parmi les pierres.

Au premier coup d’œil, il paroîtroit superflu de traiter de l’aimant dans cet Ouvrage consacré tout entier à l’agriculture & à l’économie rurale ; mais qu’on y fasse attention, il est des points de sciences éloignées avec lesquels un grand cultivateur doit cependant être familiarisé. L’usage de la boussole étant d’une si grande nécessité, soit pour les arpentages, soit pour les plans, soit pour les observations météorologiques auxquelles il peut se livrer, la théorie de la vertu magnétique, & par conséquent l’aimant & ses principales propriétés doivent lui être connus. Nous renverrons pour les grands détails, aux savans ouvrages des Noiset, des Musschenbroeck & des Sigaud de la Fond, & nous nous contenterons de parcourir les phénomènes essentiels de l’aimant, comme sa direction, son attraction, & sa communication.

L’aimant sortant des entrailles de la terre, a toujours une forme irrégulière, d’une couleur bleue, grise, brune, noire, &c. L’Europe & les Indes le fournissent : il est très-commun dans les isles du Pont-Euxin, surtout dans celle de Serfo, & en Arabie ; on en trouve en France vers l’embouchure de la Loire, & dans l’Auvergne, en Espagne, dans la Biscaye, en Savoie, en Piémont, en Allemagne ; mais les meilleurs & les plus forts en général viennent de la Norvège, de la Suède, & des pays septentrionaux.

Tout aimant est doué de deux pôles, l’un appellé pôle nord ou septentrional, & l’autre pôle sud ou méridional : la dénomination de ces deux points est fondée sur ce que tout aimant suspendu librement, se tourne toujours invariablement de façon que l’un de ces points ou pôles se dirige vers le nord, & l’autre opposé vers le sud. Des pierres brutes d’aimant ont quelquefois plusieurs pôles ; mais quand on les taille, on ne leur en conserve que deux, les plus directs. Le procédé le plus simple pour connoître ces pôles, est de placer l’aimant sur un morceau de carton, de répandre légérement dessus de la limaille de fer très-fine. En agitant un peu le carton, on voit cette limaille s’arranger autour de chaque pôle, & y former différens cercles.

La direction constante de l’aimant naturel, ou d’une lame d’acier aimantée vers le nord, est la propriété magnétique dont on a tiré plus de parti ; on lui doit l’origine de la boussole. D’un avantage infini pour la navigation, c’est elle qui dirige le pilote dans la route qu’il doit suivre ; c’est à l’aide de son aiguille aimantée qu’il connoît le nord, & par conséquent les autres points du monde. Dans les tems les plus obscurs, l’absence du soleil & l’occultation des étoiles ne pourroient que l’égarer dans les plaines immenses de l’Océan ; mais il porte avec lui un indicateur fidèle qui l’avertit sans cesse de sa direction par rapport à la marche qu’il doit tenir. Cette machine ingénieuse connue sous le nom de compas de mer, & plus communément de boussole, est composée d’une feuille de carton circulaire, nommée rosette, de cinq à six pouces de diamètre, & quelquefois plus, divisée en trois cent soixante parties ou degrés. Sur ce carton, sont tracées les directions des trente-deux vents. Par-dessous est attachée une lame d’acier aimantée, portant au milieu une chape qui sert à placer la rosette sur un pivot. La lame aimantée est disposée de façon que son pôle nord répond immédiatement à la fleur de lis de la rosette qui marque le nord. Cette machine est renfermée dans une boîte suspendue de façon que les mouvemens du vaisseau ne peuvent pas lui faire quitter sa situation horizontale. Plusieurs auteurs font honneur aux françois de l’invention de la boussole ; d’autres à Florius Goia qui vivoit dans le treizième siècle ; d’autres enfin veulent que nous en soyons redevables aux orientaux ou aux chinois. Il est difficile de prononcer ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que nos pilotes en faisoient usage au douzième siècle, & qu’à toutes les rosettes de boussole de différentes nations, le nord est toujours marqué par une fleur de lis. L’aiguille aimantée d’un graphomètre & de tout autre instrument d’arpentage qui porte une boussole est essentiellement la même. Elle a les mêmes propriétés, quoi qu’elle ne serve pas absolument aux mêmes usages, mais elle a aussi les mêmes défauts qui sont la déclinaison & l’inclinaison.

Il y a très-long-tems que l’on a observé que l’aiguille aimantée ne se dirigeoit pas constamment vers le point du nord, qu’elle varioit, tantôt à l’est, tantôt à l’ouest, & qu’il paroissoit que sa position dans tel ou tel endroit de la terre y influoit nécessairement. Ce phénomène paroît d’autant plus étonnant, qu’il varie continuellement ; car en 1640, l’aiguille se dirigeoit à huit degrés vers l’est ; en 1666, elle étoit droit au nord : elle a depuis décliné vers l’ouest, de sorte qu’en 1763, sa déclinaison étoit d’environ dix-huit degrés & demi. Pour Paris, elle étoit en 1773 de vingt degrés ; depuis deux ans, elle paroissoit constante, mais au mois d’Août 1776, elle étoit de vingt degrés trente minutes, selon les observations de M. le Monnier.

Le second défaut de l’aiguille aimantée est cette tendance qui la détermine à incliner une de ses extrémités vers un pôle, comme si elle étoit plus pesante de ce côté-là. C’est ce que l’on nomme inclinaison. Cette inclinaison varie suivant la situation de l’aiguille, Dans notre hémisphère, elle s’incline vers le pôle boréal, & dans l’autre elle se porte vers le pôle austral. Cette inclinaison est nulle à l’équateur, & elle augmente à mesure que l’on avance vers les pôles du monde. On remédie à ce défaut par le moyen d’un petit poids qui glisse sur l’aiguille aimantée.

La propriété magnétique qui a été la première connue, est celle par laquelle l’aimant attire un autre aimant & le fer. Mais si ce fer est aimanté, on observe alors le même phénomène qu’avec un autre aimant, c’est que les pôles du même nom se fuient mutuellement, tandis que les pôles contraires ou de différens noms s’attirent. Une seule expérience rend ces deux forces très-sensibles. Dans un vase plein d’eau, faites surnager une aiguille à coudre. Approchez de l’une des extrémités de cette aiguille le pôle d’un aimant, l’aiguille sera attirée sur le champ, & suivra toutes les impressions de l’aimant ; présentez le pôle contraire, l’aiguille fuira & reculera. Si l’aiguille elle-même est aimantée, les effets des pôles opposés seront bien plus marqués.

La force d’attraction & de répulsion magnétique ne dépend pas toujours de la grosseur & de la distance de l’aimant. Mais pour l’augmenter considérablement, il ne s’agit que de revêtir le morceau d’aimant de bandes de fer, que l’on nomme armure. Une pierre ainsi armée a beaucoup plus de force, la vertu attractive se manifeste à de plus grandes ou de moindres distances, suivant la qualité de l’aimant ; mais l’étendue de cette sphère d’activité ne dépend point de l’énergie de la force attractive.

Non-seulement cette force agit à quelque distance sur les corps qu’elle maîtrise, mais elle se fait encore sentir à travers différentes matières. Au-dessus d’une pierre d’aimant, placez successivement un morceau de carton, un plan de bois, une lame de verre, d’or, d’argent, d’étain, de cuivre, &c. Répandez de la limaille de fer dessus, & vous observerez qu’elle obéira aux impressions de l’aimant. La flamme ni l’eau ne nuisent point à ces effets, & n’arrêtent pas les écoulemens magnétiques.

Outre la direction de la vertu attractive, que nous avons reconnue dans l’aimant, il a encore la propriété de communiquer sa vertu attractive au fer & à l’acier. Si l’on passe un morceau de fer ou d’acier, comme une lame de couteau, sur un des pôles d’un aimant, on communiquera à cette lame une vertu magnétique, & elle en acquerra toutes les propriétés. Cette découverte a conduit à l’invention des aimants artificiels, qui ne sont autre chose qu’une ou plusieurs lames d’acier réunies ensemble, & fortement aimantées.

Ce n’est pas sans précaution qu’il faut aimanter une lame d’acier. 1o. On communique plus de vertu à un morceau de fer en le passant lentement, & l’appuyant fortement sur un des pôles d’un aimant ; 2o. on lui communique plus de force en ne le passant que sur un pôle plutôt que sur les deux ; 3o. il faut surtout avoir soin de ne jamais repasser en sens contraire sur le même pôle, car alors la pièce que l’on aimante perdroit une partie de la force qu’elle auroit acquise.

On parvient à aimanter, même sans aimant, un morceau de fer. Frappez une tige de fer suspendue verticalement ; tordez ou pliez-la ; forgez-la à diverses reprises : en un mot, presque toutes les opérations auxquelles le fer est soumis dans les mains de l’artiste, lui communiquent cette vertu ; & ce nouvel aimant artificiel a les mêmes propriétés que l’aimant naturel.

Depuis quelques années la médecine a découvert dans l’aimant une propriété singulière ; celle d’assoupir les douleurs violentes occasionnées par des affections nerveuses, des maux de dents, des migraines, des douleurs rhumatismales, des surdités spasmodiques, des bourdonnemens d’oreille, &c. Peut-être a-t-on attribué trop d’énergie à ce nouveau remède, & a-t-on étendu trop loin les bornes de son empire ; mais il est toujours constant que l’aimant est un bon anti-spasmodique dans quantité de circonstances. On doit l’appliquer avec beaucoup de précaution, proportionner la force de l’aimant aux tempéramens & à l’intensité de la douleur. M. Descemet a remarqué, Gazette de Santé, 1775, N° 30, qu’il agit avec plus de force sur les tempéramens humides & pituiteux, & qu’il est prudent d’appliquer d’abord un aimant foible, & d’augmenter par degré la force & la vertu de ce remède. La façon de l’employer consiste dans la simple application plus ou moins continuée d’un aimant artificiel sur la partie souffrante. M. M.