Cours d’agriculture (Rozier)/ACCOUCHEMENT, (Art vétérinaire)


ACCOUCHEMENT, (Art vétérinaire.) L’accouchement ou le part est l’action par laquelle la femelle d’un animal expulse de sa matrice le fœtus qui y est contenu, lorsqu’elle est parvenue au terme ordinaire de la gestation de son espèce ; elle est aidée dans cette opération par le fœtus vivant. La sortie de son fruit, avant ce terme, se nomme Avortement. (Voyez ce mot.) L’accouchement est naturel, languissant, ou tumultueux. Dans l’accouchement naturel, l’art n’a presque rien à faire ; on doit seulement écouter la nature, pour ne pas précéder son opération ; distendre seulement les organes de l’animal trop échauffé, fortifier la mère après le travail, et faciliter la sortie du délivre. L’art doit déployer toutes ses ressources dans le part languissant, ou tumultueux, et seconder puissamment ses efforts.

Étudions cet acte important dans l’animal que la domesticité y a rendu susceptible de plus de maux ; en examinant les accidens auxquels la vache est sujette, on pourra opérer sur les autres par analogie, en proportionnant les opérations et les doses des médicamens à leur grosseur et au degré de leurs forces.

Une santé vigoureuse dans la vache, pendant la gestation, est un signe presque assuré d’un part facile et heureux. Mais, si elle a été nourrie d’herbes peu succulentes, renfermant sous un gros volume peu d’alimens nutritifs, cette nourriture grossière remplit excessivement sa panse, les matières y sont dures, celles qui sont dans le feuillet sont desséchées ; la vache est maigre, constipée, sa peau adhère à la chair et aux os, son fruit est plus bouffi que nourri, il est gêné dans ses mouvemens ; il dépérit plutôt que de croître, la mère et le fœtus n’ont plus l’énergie nécessaire pour opérer un part heureux. On remédie à cet état, qui est d’autant plus inquiétant que la vache est plus avancée dans sa gestation, en lui donnant soir et matin une bouillie composée d’un quart de son de froment et de quatre onces de graines de lin délayées dans un peu d’eau. Le feu doit être très modéré, jusqu’à ce que ce mélange ait acquis une consistance extrêmement épaisse. Si la vache refusoit cette bouillie, ce qui est très-rare, on la saupoudreroit de son et de sel commun. Si elle refusoit encore ce remède, on augmenteroit la quantité d’eau, et on le lui feroit prendre sous la forme de breuvage. Dès que les matières sont devenues fluides, ont quitté leur couleur noire, quand le ventre de la mère est libre, il faut cesser l’usage de ces remèdes. Ils deviendroient dangereux, en relâchant trop les nerfs, en procurant une évacuation trop considérable à la mère dont ils diminueroient les forces digestives, et nuiroient sensiblement au fœtus.

Quand le moment du part approche, il faut se garder d’en prévenir les opérations, et de tenter de l’exciter avant que la nature ait tout disposé pour cet acte important. Il faut savoir distinguer les actes préparatoires, qui en sont éloignés, des actions efficientes qui l’opèrent. La santé de la mère et du fœtus demandent qu’on ne contrarie ni les uns, ni les autres.

Lorsque le ventre a acquis le degré d’ampleur commun à la plupart des mères, on le voit plus distendu quelques jours avant le terme ; l’animal est plus lourd, l’épine du dos se courbe en en bas, ses mamelles se gonflent, on peut en extraire un peu de lait séreux et transparent. Les hanches s’abaissent, la croupe est ce qu’on appelle rompue, la vulve se gonfle, il sort du vagin, par intervalles, une humeur glaireuse. Ces signes ne sont encore qu’une indication éloignée de l’accouchement.

Vingt-quatre heures avant, on voit au bout de chaque trayon une goutte d’un lait épais et gluant qui paroît à l’œil un corps cylindrique et long. Bientôt la mère remue fréquemment la queue ; elle cherche à se placer commodément, et se couche ordinairement du côté droit ; ce travail préparatoire a servi à dilater et relâcher le col de la matrice. Mais, dans le moment du travail efficient, le fœtus unit ses efforts à ceux de la mère, sa tête et ses membres en achèvent la dilatation ; alors la mère pousse à plusieurs reprises, c’est-à-dire qu’elle fait une forte inspiration, retient son haleine, contracte les muscles de son ventre de devant en arrière, ces mouvemens répétés déterminent de plus en plus le petit sujet vers la vulve, et en opèrent enfin sa sortie.

Immédiatement après le vêlage, on présente à la vache un seau d’eau dans lequel on aura délayé un demi-boisseau de son, ou un quart de boisseau de farine d’orge. Si la soif est grande, un quart d’heure après on lui donne un seau d’eau seulement blanchie avec le son ou la farine d’orge, on répétera ce breuvage jusqu’à quatre fois, au même intervalle, pour ne pas surcharger ses estomacs d’une trop grande quantité de boisson.

Mais il est un soin plus urgent, quand le fœtus est sorti de la matrice, le cordon auquel est attaché le délivre se trouve hors de la vulve, et pend sur la pointe des jarrets de la mère. Pour en empêcher la retraite, on a coutume d’attacher à cette partie pendante un morceau de bois ou de pierre pesant une à deux livres, cette précaution peut être utile, quand la vache est debout, parce qu’alors l’utérus, descendant dans le bas-ventre, attire à lui la portion du cordon qui pend dehors.

Pendant le temps où l’animal est couché, le sol comprimant son ventre, la matrice est portée en arrière, ce qui détermine le prolongement en dehors du cordon ; ainsi, quoique cette partie entre et sorte par les différentes situations que peut prendre la vache, le délivre ne varie point dans sa situation, puisque son adhérence est dans toute l’étendue de l’utérus : cependant, nous devons conseiller de suspendre au cordon ombilical un léger fardeau ; nous y voyons un moyen de soutenir le fond du viscère, d’entretenir un léger point d’irritation, à la faveur duquel ses parois tendent à se rapprocher, à opérer une légère tension dans les cotylédons, qui facilite et accélère leur enchatonnement ; mais ce moyen n’est pas bon dans tous les cas.

Dans les vaches chez lesquelles le part s’opère à terme et sans accidens, le délivre sort par le moyen de quelques efforts de la mère, au bout de deux à quinze heures : ces efforts ne sont pas constamment les mêmes ; ils ressemblent néanmoins à ceux qu’a la vache pour jeter son veau ; de foibles d’abord, ils augmentent par gradation ; ils sont d’autant plus forts, que le délivre est plus prêt à sortir ; enfin, il en survient un plus violent et plus prolongé qu’aucun de ceux qui ont précédé, et qui opère la délivrance.

Pour s’assurer si la marche de la nature dans cette seconde opération est complète, on doit examiner avec attention si l’arrière-faix est entier ; parce qu’il n’arrive que trop souvent qu’il en reste dans l’utérus, ce qui donne lieu, par la suite, à des accidens qui sont d’autant plus dangereux, que l’on en ignore la cause.

Le délivre est une grande vessie qui, dans l’état naturel, est close et fermée de toute part ; elle représente en gros la forme de la matrice ; elle est contournée en fer à cheval, elle a deux branches et un corps ; celui-ci est la partie la plus large ; il répond à la pince du fer, et c’est précisément cet endroit que le fœtus déchire au moment de sa sortie. Ce déchirement s’opérant sans déperdition de substance, il est facile de s’assurer si cette poche est entière ; il suffit d’en rapprocher les parties déchirées.

Le part peut être ou languissant, ou tumultueux ; dans ces deux cas, la vache a besoin des secours de l’art ; mais ces secours doivent être raisonnés, et il y a tout autant de science et d’utilité à être spectateur oisif, et à laisser agir la nature, qu’à l’aider, lorsque la circonstance l’exige.

Le part languissant se rencontre assez souvent dans les bêtes foibles ; on leur donne, pour les fortifier et accélérer la sortie du délivre, une rôtie au vin, ou au cidre, ou au poiré, ou à la bière. Lorsqu’on la donne au vin, on le mêle avec égale quantité d’eau : cette rôtie doit être de cinq à six pintes de liquide, dans lequel on a émietté environ une livre et demie de pain rôti : les vaches dévorent ordinairement cet aliment.

Outre ce moyen, il faut encore attacher à l’extrémité du cordon ombilical, le poids dont nous avons déjà parlé ; il doit être d’autant plus lourd que la bête paroît plus affoiblie, et avoir moins de disposition à pousser le délivre ; son insensibilité à cet égard doit régler la pesanteur spécifique de ce poids, auquel nous avons donné quelquefois jusqu’à quatre livres ; mais il faut prendre garde que le cordon ne doit être chargé que proportionnellement à la consistance des parties qui le composent, afin d’éviter sa rupture, ou celle du placenta, dans l’endroit où cette membrane seroit détachée de l’utérus ; accident qui arrive trop souvent par l’ignorance des personnes qui se mêlent de secourir ces animaux.

Lorsque le cordon est rompu, ou le délivre déchiré, elles introduisent la main dans la matrice, et arrachent impitoyablement tout ce qu’elles rencontrent, d’où naissent d’autres accidens dont les suites sont la perte de la vache. Mais quelle est l’époque où l’on doit aller chercher le délivre ? Elle est fixée par la nature ; tandis que la bête jouit de la santé, tant qu’elle fait parfaitement toutes ses fonctions, qu’elle boit et mange bien, on doit être spectateur oisif, et attendre de la nature seule la sortie du délivre, quelquefois trois, quatre, cinq, six, sept, huit et dix jours, avec le plus grand avantage pour la mère. Cette sortie, qui n’est jamais dangereuse quand elle est l’œuvre de la nature, est le plus souvent funeste lorsqu’elle est le produit de l’art, quelqu’habile même que soit l’artiste.

Le seul cas où la vache ait besoin de secours est celui où elle est sans force, triste, dégoûtée, abattue, et sur-tout lorsque les moyens capables de la ranimer ont été insuffisans, tel que le vin que l’on donne d’abord pur, à la dose d’une chopine, et dans lequel on a fait infuser de la sabine et de la rue ; si on manque de cette liqueur, on y substitue à double dose la bière, le cidre, le poiré.

Ces breuvages se réitèrent toutes les trois, quatre, cinq, six, sept, à huit heures, suivant que la foiblesse paroît plus grande ; on doit les continuer pendant plusieurs jours, avant de se déterminer à l’extraction du placenta.

Ces mêmes substances données en lavemens, et lancées dans la matrice, ont aussi opéré de très-bons effets, leur action, en pareil cas, étant plus immédiate, elles sollicitent l’utérus à des mouvemens qui tendent à le débarrasser du fardeau qui l’opprime ; mais leur emploi de cette manière n’exclut point celui des breuvages prescrits.

L’exercice au pas soutenu, pendant une heure, ou une demi-heure, suivant les forces de l’animal, est un moyen très-bon pour donner du jeu à toute la machine et en ranimer les forces : cette action, en imprimant un mouvement uniforme à l’utérus, hâte et facilite le détachement du placenta.

Le bouchonnement, soit avec la brosse, le bouchon de paille, ou avec un morceau d’étoffe de laine, force la peau à une excrétion qui dépure les humeurs et fortifie l’animal.

Ces différentes actions, concourant au même but, doivent être réitérées trois et quatre fois par jour ; mais si la promenade est pénible, et qu’on soit obligé, relativement à la foiblesse de l’animal, de la faire plus courte et moins souvent, il faudra se servir plus souvent et plus long-temps du bouchon ou de la brosse.

À ces secours on en joint encore d’autres de la main ; ils consistent à agir sur le cordon ombilical. Toutes les fois que la vache fait un effort pour expulser cette membrane, on doit l’aider en tirant le cordon dans le sens où elle pousse ; mais cette action ne doit durer et se prolonger que pendant la durée de l’effort de la vache ; il faut encore que la force employée sur le cordon soit proportionnée à celle de la mère, et par conséquent d’autant plus grande que l’action de la bête est plus forte et plus prolongée.

Il est très-important de ne pas confondre la foiblesse produite par l’extinction des forces avec celle qui dépend de l’oppression de ces mêmes forces : dans le premier cas, toutes les parties extérieures sont froides et relâchées, la conjonctive (ou le blanc de l’œil) est blanche ; souvent le dessous de la ganache est engorgé ; la chaleur de la bouche, du vagin, du rectum est plutôt éteinte qu’animée ; enfin le pouls est petit, foible et presque effacé.

Dans le second, c’est un état diamétralement opposé ; l’air expiré est très-chaud, la conjonctive rouge, l’œil ardent, la bouche sèche et brûlante, le mufle sec, la soif plus ou moins grande, la chaleur du rectum fort au dessus de l’état naturel, la respiration accélérée, le vagin rouge et enflammé, le pouls dur et très-accéléré, la peau sèche et brûlante ; enfin c’est une fièvre violente qu’il faut éteindre par la saignée, par les boissons d’eau blanche, sur un seau de laquelle on aura fait dissoudre une once de sel de nitre, par les breuvages de décoction d’oseille édulcorée avec un peu de miel commun, et aiguisée d’une très légère quantité de vinaigre, par des lavemens d’eau tiède vinaigrée : tels sont les seuls moyens à employer pour opérer promptement et sûrement la sortie du délivre.

Mais, supposons que les moyens prescrits soient restés absolument insuffisans, ce qui est infiniment rare, il importe de ne pas laisser le délivre dans la matrice ; il s’y décomposeroit ; cette décomposition donneroit lieu à une fièvre putride, dont les suites feroient périr l’animal.

Celui qui se propose de procéder à l’extraction du placenta doit commencer par vider le rectum, d’abord en fouillant la bête, et ensuite en lui donnant un lavement d’eau tiède. Cette opération faite, il oindra sa main ou le poignet et le bras avec de l’huile douce et nouvelle, du beurre frais, ou du saindoux ; il l’introduira doucement dans le vagin, les doigts étant tendus et rapprochés les uns contre les autres.

Les doigts parvenus à l’orifice de la matrice, il cherchera à pénétrer au delà, en subjuguant peu à peu la résistance que lui présentera cet orifice. L’effort à employer doit être ménagé et gradué : si la bête rugit, et qu’elle cherche à pousser et à se débarrasser du délivre, il faut retirer légèrement la main, en tâchant d’écarter encore, s’il est possible, l’orifice, pour faciliter l’opération. Si les efforts sont efficaces, s’ils tendent à pousser dans le vagin une partie du placenta, il faut saisir cette partie, et tâcher de l’avoir entièrement ; mais, si la bête reste tranquille, l’artiste doit enfoncer la main dans la matrice, la diriger entre la face interne de ce viscère et la face externe du placenta, et la faire agir en tous sens dans la circonférence de la matrice ; elle doit faire l’office d’un coin, et tendre à séparer et à écarter les parties l’une de l’autre. Comme on ne rencontre de la résistance que dans les endroits où les cotylédons forment des adhérences, ce n’est que sur ces points de réunion que la force doit être imprimée ; mais il faut avoir attention de modérer cette force : elle ne doit agir qu’autant que les parties cèdent assez facilement ; une force plus grande les déchireroit, et ne les sépareroit pas : la main ainsi placée doit parcourir toute l’étendue de l’utérus dans les endroits où elle peut atteindre.

Ce travail, au surplus, ne doit être prolongé qu’autant que le col de la matrice reste sans action ; dès l’instant qu’il se resserre et qu’il comprime fortement le bras, il faut le retirer, et attendre que cette partie tombe dans le relâchement : il arrive souvent que la nature, sollicitée par les efforts qu’on a faits, agit assez pour opérer elle-même la délivrance ; mais, si elle reste sans action, on doit introduire de nouveau la main, et continuer la même opération.

Lorsque le placenta est suffisamment détaché, on le saisit à pleine main, on le tire en arrière ; alors la vache fait ordinairement des efforts qui tendent à son entière expulsion.

Il faut prendre garde de ménager les efforts, dans la crainte d’occasionner le renversement ou la chute de la matrice. On tient la main dans le vagin, pour soutenir le viscère et l’empêcher de se renverser ; pendant qu’on le soutient ainsi, un aide tire sur le placenta, et on termine de cette manière la délivrance.

L’opération faite, on injecte à différentes reprises de l’eau tiède, aiguisée d’un peu d’eau-de-vie, dans la matrice ; plus les parties sont relâchées et affaissées, plus la dose de l’eau-de-vie doit être forte. La dose de cette liqueur est d’une à quatre parties d’eau-de-vie sur douze d’eau : on ajoute de plus à ce mélange, sur deux pintes, une once de sel commun.

Outre ces injections, qui doivent être continuées jusqu’à ce que le col de la matrice soit bien resserré, on donnera, toutes les heures, un lavement d’eau tiède animée par l’essence de térébenthine. Ce lavement doit être donné à mi-dose, pour que la vache le garde, et qu’il ait le temps d’agir ; ainsi on prendra une chopine d’eau tiède, dans laquelle on ajoutera une demi-once d’essence de térébenthine ; on agitera et mêlera très-exactement ces substances, avant de les administrer.

Cette extraction ne doit point être précipitée ; on ne doit l’entreprendre qu’autant qu’elle est jugée indispensable : en ce cas, elle doit être faite avec méthode ; autrement elle est meurtrière et barbare : elle donne lien à la fureur utérine, à la stérilité, à la tuméfaction, à la suppuration, à l’ulcération, et au raccornissement de la matrice ; d’où viennent, par suite, le clou, la phtisie pulmonaire, la pommelière, le marasme, et la mort.

Le part tumultueux s’annonce par des symptômes plus pressans et beaucoup plus alarmans que celui que nous venons de décrire : la rapidité avec laquelle ces symptômes s’y succèdent empêche souvent de secourir les animaux : aussi les suites de ce part sont-elles plus dangereuses que celles d’un part languissant, parce qu’il est toujours plus facile de solliciter les forces de la nature que de les modérer et de les réprimer.

Le part tumultueux est opéré par une nature fortement irritée, et qui pèche plutôt par excès que par défaut de forces. Ce part est le partage des jeunes sujets, qui ne portent pas leur fruit à terme, qui pâturent des plantes trop aromatiques, ou des plantes âcres, qui s’abreuvent d’eau chargée de cantharides, qui ont les principes de la pléthore sanguine, de la maladie rouge, de la fièvre ardente, de la fièvre charbonneuse, de la péripneumonie inflammatoire, de la dyssenterie, et autres maladies épizootiques aiguës. Les indigestions méphitiques simples, et les indigestions méphitiques compliquées de la dureté de la panse, y donnent aussi fréquemment lieu ; il en est de même des coups, des efforts et des chutes que l’animal peut faire, recevoir, et se donner.

La fièvre précède, accompagne, ou suit de très-près ce part, qui le plus souvent n’est annoncé par les symptômes qui le caractérisent, qu’au moment où il s’effectue.

La mère s’affecte, fait des efforts excessivement violens pour pousser et expulser le veau ; ces efforts ne sont pas toujours suivis de l’expulsion, souvent ils précèdent la dilatation du col de la matrice, et alors ils ne tendent qu’à épuiser inutilement les forces, et à occasionner la chute de l’anus et le renversement du vagin. D’autres fois, ces efforts sont si violens, qu’ils opèrent non seulement l’expulsion du fœtus, mais encore le renversement de la matrice ; de manière que les parties contenues, ainsi que les contenantes, sortent en même temps, et pour ainsi dire subitement.

Quand le veau est expulsé, sa sortie est immédiatement suivie du renversement du col de la matrice, d’une irritation, d’une inflammation très-forte de la vulve, du vagin et du rectum.

La vache fait des efforts pour expulser le placenta ; mais ces efforts tendent plutôt à faire sortir le vagin et la matrice, qu’à opérer la délivrance.

Quand le renversement de la matrice accompagne la sortie du fœtus, les douleurs sont encore plus violentes, la vache tend toujours de plus en plus à pousser, et son travail est alors si tumultueux, qu’il paroît agir pour faire sortir toutes les parties contenues dans le bas ventre ; la bête est en effet dans un état si violent et si alarmant, que, pour peu que les secours tardent, l’anus sort et se renverse, les convulsions surviennent, et la mort termine cet état pénible.

Dans ces circonstances, le placenta est toujours fort adhérent à la face interne de l’utérus ; cette adhérence est d’autant plus forte, que la gestation étoit moins avancée, que la vache est plus jeune et plus irritable.

On voit que pour opérer la délivrance il se trouve deux états bien différens, relativement à la manière d’y procéder. En effet, ou le placenta est renfermé dans l’utérus, où il se présente sur la surface interne de ce viscère, après qu’il a été déplacé et renversé. Il y auroit toujours un danger imminent pour la mère de ne pas l’aider des secours de l’art ; dans le dernier sur-tout, ce seroit l’exposer à une mort aussi cruelle que certaine.

Lorsque le placenta est renfermé dans la matrice, le col de ce viscère est très-resserré sur le cordon ombilical qui, dans cette circonstance, sort et pend en dehors, comme dans le part ordinaire : ce cordon est ordinairement étroit, grêle et facile à rompre. Cette disposition, et sur-tout l’état d’inflammation et d’irritation dans lequel se trouvent la matrice, et toutes les parties voisines, contre-indiquent le poids dont nous avons parlé, lors du part languissant.

Cet état d’angoisse détermine la vache à faire de fréquens efforts ; mais ces efforts qui, dans le part languissant sont à désirer, agissent ici au détriment de la nature, ils tendent à donner de l’intensité à l’inflammation et à l’irritation : les indications à remplir sont donc de les faire cesser, pour obtenir une délivrance naturelle qui n’aura lieu qu’autant que les parties seront relâchées, et que la vache jouira de la tranquillité depuis un certain temps.

Les moyens à employer pour produire ce bon effet sont, 1°. des lavemens et des injections dans le vagin. La liqueur dont on les composera sera très-mucilagineuse, et chauffée au point d’être un peu plus que tiède : il importe de la lancer doucement dans ces cavités, pour éviter l’irritation qui naîtroit d’un choc trop fort et trop dur sur des parties dont la sensibilité est excessive : il faut encore prendre garde de ne pas surcharger ces viscères d’une trop grande quantité de liqueur. Au reste, ces injections, qui doivent être répétées toutes les demi-heures, seront faites d’une forte décoction de graine de lin, ou de racine d’althea, ou de l’une et de l’autre ensemble. Si les parties tendent à sortir, il faut les lotionner sans cesse avec cette liqueur tiède, et étendre ces lotions sur la croupe et sur les lombes.

2°. La saignée à la jugulaire. On tirera quatre livres de sang, ou deux pintes, mesure de Paris ; on ne réitérera cette opération que deux heures après, si la première a été insuffisante pour opérer le relâchement des parties et la cessation des efforts.

3°. Cette même décoction mucilagineuse, donnée en breuvage à la dose d’une pinte, on y ajoute deux gros de camphre et autant de sel de nitre. On fait dissoudre le camphre, avant le mélange dans un jaune d’œuf ; si on le fait dissoudre dans un gros d’éther, ce breuvage, qu’on doit réitérer toutes les heures, opère avec bien plus d’efficacité.

Tous les symptômes d’irritation et d’inflammation ayant cessé, on laisse la vache tranquille ; on ne lui donne que de l’eau blanche, sur un seau de laquelle on a fait dissoudre une once de sel de nitre ; on attend que la nature agisse, pour opérer la sortie du délivre, et on se conforme à tout ce qui est prescrit dans le part languissant.

L’objet essentiel est de modérer des mouvemens désordonnés, de faire cesser l’éréthisme, de calmer l’irritation et l’inflammation qui s’opposent à la délivrance ; mais il faut prendre garde de pousser trop loin l’usage de tous ces remèdes ; s’ils étoient trop prolongés, ils énerveroient les forces, détruiroient le ton des solides, et la nature, absolument épuisée, n’auroit plus les moyens de se débarrasser, non seulement du placenta, mais encore du sang et des autres humeurs excrémentielles dont est abreuvée la matrice. Toutes ces considérations, soit qu’il s’agisse de solliciter les forces, ou qu’il importe de les réprimer, exigent des lumières et du tact de la part de l’artiste, pour employer tout ce qui est nécessaire, mais rien au delà.

Dans le part tumultueux suivi du renversement de la matrice, ce viscère se présente comme un grand sac pendant sur les jarrets : cet état pénible exige des secours très-prompts ; il faut prendre garde que la vache, dans ses différens mouvemens, ne meurtrisse et ne déchire la matrice, en se frottant contre les corps voisins.

Deux personnes doivent prendre une grande serviette ou une nappe, la passer sous le viscère, et le supporter par le moyen de cette espèce de suspensoir ; si les angles de cette nappe sont attachés au col des aides, ils soutiendront cette partie plus solidement, et ils auront infiniment moins de peine.

Le viscère ainsi soutenu, l’artiste, ou la personne qui se propose d’opérer la réduction, fera placer la vache de manière que la croupe soit élevée, et le devant le plus bas possible ; la bête ainsi placée rend l’opération infiniment plus facile, parce qu’alors le propre poids du viscère tend à le remettre en place, et lorsqu’il est placé, il est plus assuré dans sa position : alors, l’artiste videra d’abord l’intestin rectum des matières qu’il pourroit contenir, et lavera la matrice avec de l’eau tiède. Cette ablution faite, il cherchera à détacher les cotylédons ; il agira toujours de préférence sur ceux, qui présenteront le moins de résistance ; il fera verser de l’eau tiède sur les parties qu’il tendra à séparer : quant à celles qui exigeront une certaine force pour les détacher, il soutiendra par sa main gauche la face interne de la matrice, pendant le temps qu’il agira de la droite pour tirer et pour séparer les cotylédons : il continuera ainsi toutes ces petites opérations, jusqu’à ce que le placenta soit entièrement détaché.

Il se fera apporter alors un second seau d’eau tiède, il y ajoutera une pinte d’eau-de-vie, il lavera et lotionnera très-exactement toute la surface du viscère avec cette liqueur, et il dirigera de préférence les ablutions sur les surfaces qu’occupoient les cotylédons. Il examinera s’il y a hémorragie : en ce cas, il cherchera à reconnoître le lieu précis d’où le sang sort ; il le lotionnera en particulier avec de l’eau-de-vie pure, ou avec un peu d’essence de térébenthine ; le sang étant arrêté, il procédera à la réduction du viscère, à moins que d’autres considérations ne l’arrêtent encore un moment.

Quelquefois une partie plus ou moins étendue de la surface de cette vaste poche se trouve plus tuméfiée que les autres ; cette tuméfaction peut être le produit de meurtrissures que la bête y a occasionnées en se frottant et en se débattant après le part ; elles peuvent encore dépendre d’un dépôt d’humeur charbonneuse. Cette circonstance n’est pas rare, lorsque le charbon règne sur les bêtes à cornes ; en ce cas, la tuméfaction est noirâtre, jaunâtre, ou blanchâtre ; cette dernière teinte ne s’observe guères que dans le charbon blanc.

Dans les uns et dans les autres de ces cas, il y auroit un danger imminent à renfermer la matrice, avant d’avoir dissipé et fait sortir le sang et les humeurs qui tuméfient ce viscère ; il ne faut point perdre de temps, s’armer d’un bistouri droit, scarifier la tuméfaction dans toute son étendue : ces incisions seront d’autant plus profondes, que la tuméfaction sera plus considérable, en prenant garde cependant de ne pas pénétrer au delà de la tunique charnue. Ces incisions faites, on lave et on lotionne pendant cinq à six minutes la partie avec l’essence de térébenthine, ou avec la teinture de quinquina, après quoi on procède à la réduction.

Pour l’opérer, on fera soulever, par le moyen des aides, à la faveur de la nappe, la matrice à la hauteur de la vulve ; alors l’artiste cherchera à pousser dans cette ouverture le fond de la grande corne : c’est toujours celle qui renfermoit le fœtus ; et comme il est obligé de faire beaucoup d’efforts, vu le poids énorme du viscère d’une part, et, de l’autre, la résistance des parties, il y auroit du danger à agir les doigts étant ouverts ; l’artiste doit enfoncer cette partie par le moyen du poignet, la main étant fermée.

Cette partie de la matrice étant parvenue au col du viscère, l’artiste rencontrera de la résistance ; il sera obligé de la vaincre, pour faire parvenir la partie poussée par lui au delà ; cette corne ainsi arrêtée, il cherchera à enfoncer la corne opposée, et ensuite le reste du corps de la matrice, ce qui complétera la réduction.

On est très-souvent contrarié dans cette opération par les efforts de la vache, qui tendent toujours à repousser au dehors les parties que l’on cherche replacer. On doit avoir soin, lors de ces efforts, de ne pas les contrarier trop fortement ; il faut les laisser passer, et se contenter, pendant leur action, de soutenir les parties, pour éviter leur retraite ; l’effort fini, on réagit de nouveau en poussant, à l’effet d’avancer la réduction et de la terminer.

Cette opération faite, il faut s’assurer par le tact si la vessie est dans un état de plénitude ; en ce cas, il importe de la vider à la faveur de la sonde, afin d’éviter le danger qui pourrait résulter de l’évacuation de l’urine par les efforts de la nature, parce qu’il n’arrive que trop souvent que ces efforts sont suivis d’une rechute.

Les choses étant dans cet état, on doit laisser la vache dans la position que nous avons indiquée, et éviter, avec le plus grand soin, de l’inquiéter et de la solliciter au plus léger mouvement.

On peut lui faire prendre la rôtie que nous avons prescrite ; si elle la refuse, il faut chercher à la fortifier par le moyen du vin chaud, à la dose d’une chopine. Il faut encore lui mettre sur les reins, pour fortifier les ligamens de la matrice et la matrice elle-même, un sachet d’avoine cuite dans du vinaigre. Ce sachet doit être appliqué le plus chaud possible, en prenant garde cependant de brûler la peau. On le fait réchauffer lorsqu’il est froid, et on l’applique de nouveau.

Quelquefois cette opération est suivie d’efforts très-considérables de la part de la vache ; ces efforts, qui tous tendent à faire sortir de nouveau la matrice de sa place, exigent des lotions, des injections, et des lavemens, de la nature de ceux que nous avons précédemment indiqués.

Si ces efforts persistent, il faut nécessairement avoir recours à des compresses sur la vulve ; on fixe ces compresses fortement contre la partie, par le moyen d’une longue bande qui enveloppe le corps horizontalement, et dont les extrémités se fixent d’une manière solide au poitrail.

Une personne sûre, qui voudrait maintenir ces compresses, en les poussant du côté du vagin toutes les fois que la vache agirait pour faire sortir la matrice, produirait un effet plus certain que les bandages.

Quelquefois après la réduction, et lorsque l’irritation est cessée, la matrice est néanmoins très-peu assurée dans le bas-ventre, et tombe au moindre effort de la vache : cet état indique sa foiblesse et le relâchement des ligamens du viscère, et par conséquent la nécessité de les fortifier par la continuité de l’usage du sachet d’avoine sur les reins, et par des lavemens vulnéraires d’infusions de plantes aromatiques, telles que le thym, la sauge, la lavande, l’hysope, animée par l’essence de térébenthine, à la dose de deux à trois gros pour chaque lavement.

Pour fortifier l’utérus, et l’assurer dans sa position, il est nécessaire d’injecter souvent de l’eau fraîche dans le vagin, et d’en lotionner la vulve. Ce moyen simple a été souvent le plus efficace.

Si, malgré l’emploi de tout ce que nous venons de prescrire, la matrice tend toujours à sortir de sa place, le seul parti est l’usage du pessaire : ce corps étranger ne doit être employé qu’autant que les parties n’éprouveront ni inflammation, ni irritation, et que le défaut de stabilité du viscère dépendra absolument de la foiblesse.

Quelquefois la disposition de la panse et du feuillet est la cause qui détermine la sortie et la chute de la matrice ; cette disposition se rencontre dans l’excès du volume et de dureté de ces estomacs : nous avons observé, en effet, que cette cause étoit très-souvent celle de l’avortement. Ainsi, cet évènement ayant eu lieu, le feuillet et la panse, pressés antécédemment par le fœtus, se rangent et se placent dans le lieu qu’occupoit la matrice ; celle-ci une fois déplacée, peut d’autant moins reprendre sa position, et y rester, que les ligamens qui l’assujettissent ont été plus distendus, et par conséquent plus affaiblis.

Cette disposition, de la part de ces deux estomacs, doit donc être prévue et combattue par les moyens que nous avons indiqués, avant d’avoir recours à celui que nous offre le pessaire.

Le pessaire est un corps étranger que l’on introduit dans le vagin, qui, pressant et comprimant en avant la circonférence du mufle de la matrice, fixe ce viscère dans le bas-ventre.

Pour se former une idée de ce pessaire, il faut se représenter un anneau de fil de fer, de deux pouces de diamètre ; la grosseur du fil de fer est ordinairement de deux lignes de diamètre, ou de six lignes de circonférence. On fixe sur cet anneau trois tiges de pareille grosseur, qui le partagent en trois parties égales. Ces tiges s’élèvent à la hauteur de deux, trois à quatre pouces, et quelquefois davantage. Parvenues à cette hauteur, elles se réunissent pour ne former qu’une unique tige, soudée, arrondie et taraudée ; en Sorte que cet anneau, muni de ses trois tiges ou branches, présente une pyramide dont la base est l’anneau, et dont les trois tiges, unies par leurs extrémités terminées en vis, forment le sommet.

Ce sommet terminé ainsi, reçoit transversalement une bandelette de fer, de quatre à cinq pouces de longueur, sur trois à quatre lignes de largeur, et une ligne et demie d’épaisseur : elle doit être renflée carrément dans son milieu ; cette partie, renflée au point d’avoir trois lignes de côté, doit encore être percée et taraudée, pour recevoir la vis dont le sommet du pessaire est pourvu ; cette bandelette est placée sur le sommet transversalement, en sorte que lorsqu’elle est enfoncée dans son écrou, le pessaire présente, par cette extrémité, une croix dont la bandelette forme les bras.

Ces bras, ou les extrémités de cette bandelette, sont encore percés de trois ou quatre trous, pour pouvoir y attacher et y brider à chaque bout une courroie de la force des longes dont on se sert pour attacher les chevaux.

Telle est en gros la forme de la carcasse du pessaire : il ne reste, pour l’achever, que de rendre les parties qui le composent, à l’exception de la vis et de la bandelette de fer, plus grosses et moins dures, pour éviter les impressions funestes que le fer, étant à nu, opéreroit sur des parties aussi délicates que celles qui doivent être comprimées par cet instrument.

Pour prévenir ces accidens, il suffit de tremper, à différentes reprises, l’anneau et ses trois tiges dans de la cire fondue : cette immersion ne doit avoir lieu que jusqu’à la vis exclusivement ; elle doit se faire de la même manière que fait le cirier lorsqu’il fabrique les bougies ; il faut laisser figer et refroidir la légère couche de cire dont le pessaire s’est empreint, avant de le tremper de nouveau. Celle seconde couche refroidie et figée sur la première, on en donne une troisième, une quatrième, et on continue toujours ainsi, jusqu’à ce que l’anneau et les branches aient acquis dix-huit lignes de circonférence, ce qui réduit l’ouverture de l’anneau à un pouce et demi de diamètre.

Lorsque le pessaire est préparé, on le trempe dans l’huile, et on l’enfonce dans le vagin ; l’anneau s’avance le premier, on le dirige de manière qu’il embrasse le mufle de la matrice ; on place la bandelette de fer, et on l’engage par son écrou à la vis qui termine le pessaire. Cet écrou s’enfonce d’autant moins dans la vis, que le pessaire est plus court.

Quand on a ainsi placé le pessaire, on fixe à l’une et à l’autre extrémité de la bandelette les courroies ; on les dirige à droite et à gauche, de manière à embrasser transversalement les fesses ; on les conduit de chaque côté le long des côtes, elles passent sur les épaules, on les fixe et on les arrête l’une à l’autre à la partie moyenne du poitrail ; en sorte que, le pessaire étant en place, on ne voie à l’extérieur de la vulve que la bandelette de fer placée transversalement à cette ouverture, l’extrémité de la vis du pessaire, et les longes qui fixent et assujettissent le tout.

On doit laisser cet instrument dans le vagin, jusqu’à ce que la matrice soit dégorgée, que ses parois soient rapprochées, et que la résolution de la tuméfaction des parties soit très-avancée.

On juge de ces bons effets par l’enfoncement du col de la matrice : plus les parties se détuméfient, moins le pessaire presse et comprime ; et lorsqu’il n’atteint plus l’orifice de ce viscère, on peut l’ôter sans accidens : mais quel que soit le nombre de jours qu’on est obligé de le laisser en place, il faut toujours lotionner la vulve avec de l’eau vinaigrée, injecter celle liqueur tiède dans le vagin, et la donner aussi en lavement. (Ch. et F.)