Cours d’agriculture (Rozier)/ACACIA (le faux)

Hôtel Serpente (Tome premierp. 206-209).


ACACIA, (le faux) ou Acacia des jardiniers. Pseudo-Acacia vulgaris. Tournefort. Robinia Pfeudo-Acacia. Lin. M. Tournefort le place dans la vingt-deuxième classe des arbres & arbrisseaux à fleurs papilionacées, dont les feuilles sont pour la plupart ailées ou conjuguées ; & M. le chevalier Von Linné, dans la diadelphie décandrie.

Cet arbre n’est point un acacia ; cette dénomination a prévalu en France, quoique fausse. On est forcé de s’en servir pour ne pas augmenter la nomenclature. M. Robin, professeur de Botanique, l’apporta de l’Amérique, & la fit connoître en France vers l’an 1600. Il n’y a pas long-tems qu’on voyoit au Jardin du Roi à Paris, le premier arbre planté par M. Robin. Depuis cette époque, il s’est tellement multiplié, que dans plusieurs provinces de France on en fait des haies ; on coupe sa tige près du pied, & on étend ses branches.

Fleur, papilionacée, l’étendard arrondi, grand, obtus ; les ailes ovales, oblongues, avec un appendice très-court & obtus ; la carenne sous-orbiculaire, aplatie, obtuse, de la longueur des ailes ; le calice d’une seule pièce, petit, en forme de cloche & à quatre dentelures ; les étamines au nombre de dix, dont neuf réunies à leur base.

Fruit. Le légume ou gousse, grand, long, aplati, relevé de plusieurs bosses, & la gousse s’ouvre en deux parties ou cosses. Les semences ont la forme d’un rein.

Feuilles, ailées, avec une impaire ; les folioles égales, très-entières, opposées & oblongues.

Racine, rameuse, ligneuse, & d’une couleur jaunâtre.

Port. Cet arbre s’élève quelquefois à la hauteur de trente pieds. Sa tige est armée d’aiguillons, souvent doubles. Son écorce est roussâtre, raboteuse. Ses fleurs sont jaunes, blanches sur quelques arbres, soutenues par un long péduncule, & elles forment une jolie grappe, dont l’odeur est douce & aromatique. Cet arbre se ressent encore de son humeur sauvage : il se prête difficilement aux caprices du jardinier.

Lieu. Son pays natal est la Virginie. Il est aujourd’hui naturalisé en France : on en voit beaucoup du côté de Bordeaux. Si nous ne l’avons pas fait dessiner & graver, c’est qu’il est trop connu.

Propriétés. Les fleurs sont émollientes, aromatiques, antihystériques. La racine ne diffère en rien de celle du réglisse.

Usages. Les fleurs en infusion, en décoction, on en retire une eau distillée, que l’on donne depuis quatre onces jusqu’à six dans les potions & dans les juleps. L’infusion produiroit le même effet, & coûteroit moins.

Usages économiques. Il seroit important de multiplier cet arbre dans les provinces méridionales du royaume, où le bois est rare & cher. Il vient fort vîte & fort aisément dans presque tous les terrains, sur-tout dans les terrains légers & gras. Son bois est jaunâtre & marbré ; les tourneurs en font des bois de chaise, qui durent beaucoup. Il seroit plus avantageux d’employer ce bois à faire des meubles, que celui du peuplier ypréau, ou tels autres bois blancs dont on se sert : on auroit encore la ressource de ses feuilles, qui sont une excellente nourriture pour les bestiaux. M. Bohadsch assure, dans un mémoire sur les avantages qu’on peut retirer de cet arbre, que les vaches qui ont vécu de ces feuilles, donnent plus de lait, & que cette nourriture est pour elles plus succulente que celle du trefle, du sainfoin & de la luzerne. Cet arbre vient fort aisément de semences ; & le bois d’acacia, venu même dans un terrain humide, s’est trouvé si dur qu’il résistoit presque à la hache : en total, c’est un bois fort dur, quoiqu’il vienne très-vîte.

Si on veut, dit M. Duhamel dans son excellent Traité des Arbres, élever l’acacia de semences, il faut, sitôt qu’elles sont parvenues à leur maturité, les mêler avec un peu de terre, & les conserver dans un pot jusqu’au printems. Comme la graine est fine, on ne doit pas la recouvrir de beaucoup de terre. La semer dans des vases, seroit avantageux, & garantiroit les jeunes plantes de la grosse ardeur du soleil. On replante les jeunes arbres à la seconde année en pépinière, où ils doivent rester jusqu’à ce qu’ils aient acquis cinq ou six pouces de circonférence au pied. Il ne faut pas les replanter trop profondément.

Pour se procurer promptement des plants de ce faux acacia, on cerne le pied d’un arbre qui ait douze à quinze pouces de circonférence, & on coupe ses racines tout autour à la distance d’un pied & demi : alors l’arbre est arraché, & peut être replanté ailleurs. Laissez ouverte la fosse faite pour arracher l’arbre, & toutes les racines coupées pousseront des tiges & auront du plant en abondance.

Observation curieuse. Elle nous a été communiquée par un homme dont l’austère modestie défend de le nommer. Voici comme il s’explique ; il sera aisé de le reconnoître à son style. « J’ai semé une fois des faux acacias dans un terrain entouré de palis au milieu d’un buis, où cependant il pénétroit quelques lapins. Ils levèrent à merveille ; mais après l’hiver, je n’en trouvai pas un seul, & je ne trouvai point de tiges mortes par la gelée. La même chose est arrivée à quelques jeunes acacias que j’avois plantés dans le buis, de côté & d’autre, dans le tems que je n’étois pas maître de détruire le gibier : ils ont tous disparu. Notez que dans le même palis, il y avoit des citises, des coluthéa dont les lapins & lièvres sont si avides. Il y en avoit dont la tige avoit été écorcée pendant l’hiver ; mais au moins la tige restoit. »

» Je ne sus si je devois croire que le gibier les eût détruits, ou que des paysans les eussent volés.

» M. Duhamel m’a dit depuis, un fait qui fait tomber le reproche sur le gibier plutôt que sur les hommes.

» Dans son pays, les enfans ont découvert que les jeunes tiges d’acacia ont une écorce dont le goût ressemble à celui du réglisse ; & depuis cette malheureuse découverte, il ne peut plus avoir d’acacia de graines dans les lieux non fermés. Notez qu’il n’y a presque pas de gibier quadrupède dans son pays. Chez moi, les enfans n’en savent rien ; mais je crois que l’instinct des lièvres & des lapins va plus loin que celui des enfans.

» Tout le monde sait que l’acacia trace du pied. J’imagine que ces rejets venus de racine ont une écorce moins tendre, & sentent moins le réglisse que les jeunes pieds venus de graine »…

Comme on ne peut pas cultiver en France les véritables acacias qui donnent la gomme arabique, nous n’en parlerons pas. Ils croissent au Sénégal, en Arabie, &c. On peut consulter cet excellent article dans le premier volume du Supplément de l’Encyclopédie, au mot Acacia. Il est de M. Adanson, & contient des faits que nous ignorions avant lui.