Cours d’agriculture (Rozier)/ABREUVER

Hôtel Serpente (Tome premierp. 182-183).


ABREUVER un animal, c’est le mener à l’abreuvoir (Voyez ce mot) pour le faire boire à l’auge ou seau dans l’écurie. Pour peu que le propriétaire soit attaché aux animaux de ses domaines, il doit veiller avec l’attention la plus scrupuleuse, à ce que tous les vaisseaux consacrés à leurs usages soient tenus dans la plus grande propreté ; il seroit très-prudent d’en faire au moins chaque mois une revue générale, & de réprimander vertement le valet chargé de ce soin, s’il découvre quelque négligence de sa part. La malpropreté habituelle est en partie une des plus fortes causes des maladies des animaux.


Abreuver un pré, ou l’arroser par immersion, est synonyme. On dit encore abreuver un jardin par irrigation ; (Voyez ce mot) les détails sur l’irrigation des jardins seroient ici déplacés. Cette opération suppose qu’on a une suffisante quantité d’eau à sa disposition ou dans des réservoirs pratiqués tout exprès, ou par le voisinage d’un ruisseau dont on rehausse la surface par le moyen d’un ou de plusieurs batardeaux. Ces inondations n’ont lieu que dans l’été, & il est très-important de ne pas laisser les prés surchargés d’eau plus de tems que le besoin l’exige. L’heure la plus propice pour conduire l’eau, est à l’entrée de la nuit. Pendant le jour, la terre trop échauffée par l’ardeur du soleil, ainsi que les plantes, souffriroient de la variation trop marquée de la température de l’eau du ruisseau, qui pendant l’été est entretenu par l’écoulement des sources dont l’eau n’est pas à la même température que celle de l’air de l’atmosphère, ni par conséquent à celle des plantes.

Les batardeaux doivent être construits & enlevés avec la même facilité. La manière de les exécuter, la plus simple & la moins coûteuse, consiste à ficher en terre des perches droites & en assez grand nombre pour traverser le ruisseau ; à placer d’autres perches en travers des premières ; à les lier avec elles, & à fortement gazonner le tout, afin d’arrêter l’écoulement naturel de l’eau ; alors, par l’élèvement de sa surface, elle est forcée à couler lentement sur le pré. Cette opération suppose le terrain de niveau, autrement il n’y auroit qu’une partie submergée.

Il vaut mieux, si le terrain est en pente, & si les circonstances le permettent, fixer la prise d’eau assez haut en remontant le lit du ruisseau, parce qu’on ne donne à son courant que la pente nécessaire, & on ne dérobe au ruisseau que la portion d’eau dont on a constamment besoin. À cet effet, dans l’endroit de la prise, on pratique une maçonnerie, au bas de laquelle on ménage une ouverture quarrée qui se ferme & s’ouvre à volonté par une pelle à la manière des écluses. La maçonnerie doit être assez élevée pour empêcher l’eau du ruisseau de la surmonter lors de ses fortes crues. On ouvre ensuite derrière cette maçonnerie un fossé qui conduit l’eau dans la partie la plus élevée de la prairie, & cette eau est enfin également distribuée au moyen des rigoles ou des saignées.

La position du local nécessite quelquefois à remonter fort haut pour prendre le nivellement dont on a besoin, & par conséquent à passer souvent sur les terrains d’un ou de plusieurs propriétaires. Il faut donc un accord unanime entre ces propriétaires pour ouvrir le fossé. L’entreprise pour la dépense générale doit être commune, & les avantages communs. Les vicissitudes qu’éprouvent les successions, nécessitent ceux qui entreprennent ces irrigations à stipuler les conventions réciproques, & à assurer leur durée par un acte authentique. Cet acte doit être motivé de la manière la moins équivoque & la plus précise, autrement il deviendroit par la suite une source perpétuelle de procès.

Il est bien démontré que de semblables prairies ont de très-grands avantages sur les prairies basses. Le foin en est toujours de première qualité ; son odeur & son goût sont suaves. On est assuré d’avoir chaque année une récolte égale. Enfin, ces prairies ne sont point infectées de cet amas immense de plantes, ou malfaisantes par elles-mêmes, comme les renoncules, &c., ou parasites, qui dévorent la substance des plantes utiles, comme la mousse, les prêles, les joncs, &c. Cet article sera traité dans le plus grand détail au mot Pré-prairie, & au mot Irrigation.