Cours d’agriculture (Rozier)/AÉROLITHES

Marchant (Tome onzièmep. 74-76).


AÉROLITHES, (Physique.) On a donné ce nom à des pierres d’une nature particulière qui tombent quelquefois du haut des airs, sans que l’on sache jusqu’à présent d’où elles viennent, et où elles se sont formées ; elles tombent avec les météores nommés globes de feu.

On a douté pendant long-temps de la chute de ces masses. On regardoit comme un préjugé l’opinion populaire qui en attestoit la réalité. Mais le fait a été constaté, depuis quelque temps, de manière à ne plus laisser aucun doute sur son existence. Voici en peu de mots l’histoire de cette découverte.

Des chimistes anglais, MM. Howard et Bournont, ayant rassemblé quelques unes de ces pierres que l’on disoit être tombées à différentes époques dans différens lieux, furent surpris de trouver entr’elles une ressemblance parfaite. Ce sont des masses pyriteuses où l’on voit briller des grains métalliques. La surface extérieure est noire, comme si elle avoit été brûlée par le feu ; l’intérieur est d’un blanc jaunâtre, la forme inégale.

Celle ressemblance étoit fort singulière ; elle s’accordoit avec l’identité d’origine qu’on leur supposoit ; la recherche de la pesanteur spécifique vint fournir un nouvel indice. En voici un tableau pour les aérolites connus aujourd’hui.

Pesanteur spécifique des principaux aérolithes, l’eau étant 1,000.

Pierre tombée à Ensisheim, en Alsace, le 3,522
Pierre tombée à Barbotan, le 24 juillet 1790 3,854
Pierre tombée à Salles, le 3,701
Pierre tombée à Wold-College, le 13 novembre 1790 3,521
Pierre tombée à Benarés, dans les Indes-Orientales, le 19 décembre 1798 3,437

À quoi j’ajoute les deux suivantes :

Pierre tombée à l’Aigle, le 6 floréal an 11 3,549
Pierre tombée à Aix, en Provence, le 29 novembre 1637 3,504

Ce dernier aérolithe a été cité par Gassendi. La description qu’il en donne est tout à fait conforme à celle des pierres que nous avons. Il n’en donne pas la pesanteur spécifique, mais il rapporte une expérience d’après laquelle on peut la calculer. C’est ce que j’ai fait. (Voy. Gassendi, in. diog. lib. X).

L’analyse chimique de ces pierres n’est pas moins singulière ; elle ne concourt pas moins à leur donner une même origine.

Toutes ces pierres sont composées de silice, de magnésie, de soufre, de fer à l’état métallique, et de nickel. Ces substances s’y trouvent toujours à fort peu près dans les mêmes proportions.

Observez que le fer ne se rencontre jamais ou presque jamais à l’état métallique, dans les corps terrestres. Les matières volcaniques n’en contiennent point qui ne soit oxidé. Le nickel est aussi très-rare, et on ne le trouve jamais sur la surface de la terre. Toutes ces circonstances s’accordent avec les témoignages qui donnent à ces pierres une origine étrangère à notre planète, ou du moins aux pierres que nous y voyons ordinairement.

D’après ces rapprochemens, la chute des aérolithes devenoit extrêmement probable. Le météore observé à l’Aigle, le 6 floréal an 11, acheva de la mettre hors de doute.

L’auteur de cet article a été envoyé sur les lieux, pour constater ce fait. Il a parlé à une foule de témoins oculaires, a reconnu encore les traces récentes du météore, et l’ensemble de ces témoignages multipliés lui a donné la description suivante de ce phénomène.

Le mardi 0 floréal an 11, vers une heure après midi, le temps étant serein, on apperçut de Caen, de Pont-Audemer, et des environs d’Alençon, de Falaise et de Verneuil, un globe enflammé d’un éclat très-brillant, et qui se mouvoit dans l’atmosphère avec beaucoup de rapidité.

Quelques instans après, on entendit à l’Aigle et autour de cette ville, dans un arrondissement de plus de trente lieues, de rayon, une explosion violente qui dura cinq ou six minutes.

Ce furent d’abord trois ou quatre coups semblables à des coups de canon, suivis d’une espèce de décharge qui ressembloit à une fusillade, après quoi on entendit comme un épouvantable roulement de tambours. L’air étoit tranquille, et le ciel serein, à l’exception de quelques nuages, comme on en voit fréquemment.

Ce bruit partoit d’un petit nuage qui avoit la forme d’un rectangle, et dont le plus grand côté étoit dirigé est-ouest. Il parut immobile pendant tout le temps que dura le phénomène ; seulement les vapeurs qui le composoient s’écartoient momentanément de différens côtés, par l’effet des explosions successives. Ce nuage se trouva à peu près à une demi lieue au nord-nord-ouest de la ville de l’Aigle. Il étoit très-élevé dans l’atmosphère ; car les habitans de la Vassolerie et de Bois-la-Ville, hameaux situés à plus d’une lieue de distance l’un de l’autre, l’observèrent en même temps au dessus de leurs têtes. Dans tout le canton sur lequel ce nuage planoit, on entendit des sifflemens semblables à ceux d’une pierre lancée par une fronde, et l’on vit en même temps tomber une multitude de masses solides exactement semblables à celles que l’on a désignées sous le nom de pierres météoriques.

Ces pierres ont été lancées dans une étendue elliptique d’environ deux lieues et demie de long, sur à peu près une de large, la plus grande dimension étant dirigée du sud-est au nord-ouest par une déclinaison d’environ 22 degrés.

Les plus grosses pierres sont tombées à l’extrémité sud-est du grand axe de l’ellipse : les plus petites sont tombées à l’autre extrémité, et les moyennes entre ces deux points. La plus grosse de celles que l’on a trouvées pesoit 17 livres et demie, et la plus petite deux gros. En comparant tous les récits que l’on a faits sur les globes de feu qui ont lancé des pierres, je me suis assuré que cette description leur convient à tous très-exactement.

Depuis que ce singulier phénomène a été constaté, on a eu le récit officiel de plusieurs aérolithes tombés récemment en France et en Allemagne. Il paroît donc que la chute de ces masses n’est pas très-rare, et l’ignorance où l’on est resté pendant si long-temps sur ce point, n’étoit que l’effet presque insurmontable du préjugé scientifique, qui faisoit regarder leur chute comme une fable, parce qu’on ne pouvoit l’expliquer.

Il y a lieu de croire que, par cela même, beaucoup de ces événemens ont été ignorés, ou sont restés répandus et transmis parmi les peuples des campagnes, avec tant d’autres traditions que l’on méprise pour l’ordinaire, et qui cependant quelquefois tiennent d’assez près à la vérité. (I. B.)