Cours d’agriculture (Rozier)/ÉMÉTIQUE

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 196-199).


ÉMÉTIQUE, Médecine rurale. Les remèdes qui excitent le vomissement, doivent être distingués des autres secours dont on se sert pour aider cette évacuation.

Il y a deux sortes d’émétiques ; les uns sont pris dans la classe des végétaux, & les autres dans celle des minéraux. La première nous en fournit un assez grand nombre, comme l’ipécacuanha, le cabaret ou l’oreille d’homme, la gratiole ou l’herbe au pauvre homme, l’ellébore blanc, & la gomme-gutte : ces quatre derniers sont peu usités en médecine, & on ne se sert que du premier.

La seconde est plus abondante. L’antimoine seul nous offre une infinité de préparations émétiques très usitées & très-connues. Telles sont les fleurs d’antimoine, le verre, le foie & le régule d’antimoine, le vin émétique, le tartre stibié, le kermès minéral, le sirop de glauber, & la poudre d’algaroth, ou la poudre de vie.

Peu de temps après que le malade a pris un émétique, il se plaint d’inquiétude & d’une anxiété qu’il rapporte à l’estomac ; alors il survient des nausées ; les muscles de la respiration entrent en jeu ; le diaphragme s’abaisse ; le malade fait une forte inspiration, il retient son haleine pour faire ces efforts ; le diaphragme reste abaissé, sa face rougit, les larmes coulent, les muscles du bas ventre se contractent, l’estomac entre aussi en contraction, & les matières sont rejetées par la bouche.

On demande si le vomissement se fait dans le temps de l’inspiration, ou dans celui de l’expiration ? On peut répondre qu’il se fait dans un temps moyen ; c’est-à-dire, que dans le temps du vomissement actuel, le malade ne fait ni inspiration ni expiration ; mais il retient son haleine, & les poumons restent distendus ; car si la glotte n’étoit pas bien fermée, les matières rejetées par l’œsophage, prendroient cette route, & étoufferoient le malade.

On emploie les émétiques avec succès dans toutes les fièvres simples ou composées, continues, putrides & intermittentes, dans les comateuses, dans les maladies inflammatoires symptomatiques, dans les fièvres exanthématiques, dans toutes celles qui sont aiguës, dans les maladies soporeuses, comme dans le coma, le carus, l’apoplexie ; dans les maladies convulsives périodiques, dans l’ictère, dans la suppression des mois, sur-tout lorsqu’elle dépend de l’épaississement du sang, & qu’il n’y a pas de signe d’inflammation ; dans l’inappétance, le vomissement continuel, les diarrhées, la dyssenterie, dans l’hydropisie, & les maux de tête périodiques. Ils conviennent encore dans les obstructions des viscères du bas-ventre.

Les maladies inflammatoires essentielles de la poitrine & du bas ventre, contre-indiquent toute espèce d’émétiques, sur-tout lorsque l’inflammation attaque quelqu’un des viscères qui y sont contenus, parce qu’on a à craindre une suppuration, & la gangrène ; en augmentant le mouvement de la circulation, ils forceroient les vaisseaux sanguins, & le sang s’accumuleroit en plus grande quantité dans la partie enflammée. Ils sont beaucoup plus contre-indiqués dans l’inflammation de l’estomac, qu’on connoît par la chaleur & l’ardeur qu’on ressent à l’endroit de ce viscère, par un vomissement fréquent, par une soif presque inextinguible, & par la dureté & la petitesse du pouls.

Leur emploi seroit encore très-nuisible dans le cas d’inflammation menaçante au bas ventre, connue sous le nom de météorisme ; dans les douleurs fixes du ventricule, accompagnées de vomissement du sang. Cependant il est de fait, par une observation rapportée dans les mémoires de l’Académie, que l’émétique a été donné avec succès à une fille attaquée d’un vomissement de sang, mais après avoir fait précéder deux saignées. Dans le vomissement de sang périodique, qui survient quelquefois aux femmes après la supression de leur règles, ou aux hommes après celle du flux hémorroïdal ; dans ces circonstances, les vaisseaux de l’estomac sont extrêmement foibles, l’émétique pourroit occasionner leur rupture & produire un vomissement plus abondant. Dans les hernies, sur-tout le bubonocèle, lorsqu’elles sont avec étranglement du sac herniaire, il est à craindre alors que les muscles abdominaux, venant à se contracter plus fortement, ne causent un étranglement plus considérable.

Ils seroient encore très-dangereux dans le squirre des viscères du bas ventre, sur-tout du foie & de la rate ; dans les tempéramens bilieux & mélancoliques. La pression de ces viscères peut produire l’inflammation & les faire dégénérer en cancer ; dans l’ulcère ou abcès du foie, dont la dyssenterie est quelquefois symptôme, parce que l’abcès venant à se crever, le pus s’épancheroit dans le bas ventre. Boerhave rapporte qu’un malade qui avoit un pareil flux hépatique, périt dans l’action même de l’ipécacuana qu’il avoit pris contre son sentiment.

L’action des émétiques peut détacher le placenta dans les maladies des femmes grosses, & procurer l’avortement ; cependant on ne doit pas toujours les exclure dans ces circonstances : j’en ai donné plusieurs fois, avec le plus grand succès, à des femmes qui touchoient au neuvième mois de leur grossesse ; mais très-assombris & noyés dans une très-grande quantité d’eau, & à une dose très-modérée. L’inflammation de poitrine essentielle, l’ulcère & l’abcès dans cette cavité, des vices de conformation, sont autant des motifs puissans qui doivent porter les médecins à ne pas les ordonner dans des cas semblables.

En général, on peut donner les émétiques dans tous les temps des maladies ; quoiqu’il soit toujours mieux de les administrer dans le commencement. Les forces ne sont pas pour lors si épuisées, ni les symptômes si violens. Tout dépend de indication & des forces ; on doit aussi préférer le temps de la rémission à celui de l’exacerbation.

Dans les maladies inflammatoires, où l’on est forcé d’employer les émétiques, lorsque le sang est dans une grande fougue, & les solides dans une grande irritation, on doit faire précéder les saignées, les tisonnes raffraîchissantes, l’eau de riz, celle de poulet, les fomentations sur le bas ventre, les clystères émolliens & huileux.

On facilite le vomissement, en faisant prendre au malade beaucoup d’eau tiède. Par ce moyen, les matières contenues dans l’estomac sont plus délayées, & les contractions de ce même viscère ont plus de prise sur elles que lorsqu’elles sont en plus petite quantité.

Quand le vomissement est trop fort & dure trop long-temps, ou qu’il survient des superpurgations, on doit se conduire comme dans le cholera-morbus : les saignées, le bouillon gras, sont très-efficaces ; mais s’ils sont insuffisans, on pourra donner les gouttes anodines dans de l’eau de fleurs d’oranges, l’anti-émétique de Rivière : le café avec le jus d’un citron est un remède infaillible. Le vin d’alicanthe, celui de tinto, donnés à une dose moyenne, arrêtent les superpurgations les plus fortes. Souvent la seule odeur du vinaigre, ou d’un citron produisent les mêmes effets. Enfin, tous les acides végétaux sont aussi propres que les acides minéraux à faire cesser le vomissement, quoique beaucoup d’auteurs aient pensé que les acides végétaux augmentoient l’action des émétiques antimoniaux, au lieu de la calmer.

Tous les émétiques ne conviennent pas également dans tous les cas dont nous avons déjà parlé. Les émétiques végétaux méritent la préférence sur les minéraux dans certaines maladies : dans les dyssenteries, les diarrhées, les affections lientérique & cœliaque, où les émétiques sont indiqués, l’ipécacuana est le véritable spécifique, & quand son action vomitive a cessé, il agit alors comme astringent. Mais, dans tous les cas où il faudra procurer une secousse, une commotion, un vomissement considérable, attaquer les matières putrides dans les plis des viscères du bas ventre, qui peuvent se trouver dans un relâchement physique, le vin émétique, donné à sa dose ordinaire, remplira mieux toutes ces indications. Dans la cachexie, dans les affections soporeuses, il mérite encore la préférence, tant par son énergie que par sa manière d’agir, qui est toujours bien soutenue ; mais le tartre émétique est plus usité en médecine, & quand on craint d’épuiser les forces des malades, qu’il faut ménager, comme dans l’hydropisie, il doit être préféré au vin émétique. C’est aussi par cette raison que, lorsque l’estomac est enduit de parties visqueuses & tenaces, & qu’il faut avoir recours à un vomitif, le tartre émétique est très-propre à détacher ces matières, à déboucher les conduits excrétoires de ce viscère, sur-tout si l’on n’a pas à craindre d’échauffer.

Le sirop de glauber agit avec plus de modération que les deux autres précédentes préparations d’antimoine ; il épuise & échauffe moins.

Il doit leur être préféré, lorsqu’on craint de trop affoiblir. On ne se sert guère de cet émétique que pour les enfans, & il leur convient mieux à cause de l’âge & de la grande irritabilité dont ils sont susceptibles ; & aux vieillards à cause de leur foiblesse. Ce sirop est fort à la mode à Montpellier ; je l’ai très-souvent donné à des enfans dont l’estomac étoit farci de lait mal digéré, & il a toujours produit les meilleurs effets. Je n’en saurois assez recommander l’usage. La dose à laquelle on le donne pour les enfans de deux à huit ans, est d’une goutte jusqu’à huit ; de huit ans à quinze, de six gouttes jusqu’à vingt ; et pour les adultes, depuis dix-huit jusqu’à trente & quarante gouttes. J’ai cru devoir m’arrêter à donner les doses de cette préparation émétique, parce que tout cultivateur peut en avoir chez lui une petite topette, qui n’est jamais inutile dans un ménage, sur-tout lorsqu’il y a des enfans, & qu’on habite une maison de campagne. M. AM.