Cours d’agriculture (Rozier)/ÉLIXIR

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 191-194).


ÉLIXIR ou teinture opérée par l’infusion d’une ou de plusieurs substances dans l’esprit ardent. Il est essentiel d’en avoir dans une pharmacie de campagne. Voici la recette des plus renommés.

Élixir de vitriol. Teinture aromatique, une chopine ; huile de vitriol, trois onces. Pour faire la teinture aromatique, on prend deux onces de poivre de la Jamaïque, & une pinte d’eau-de-vie ; faites infuser à froid pendant deux jours & passez cette teinture ; mêlez peu à peu cette teinture avec l’huile de vitriol ; laissez reposer ; lorsque le dépôt sera formé, passez à travers le papier à filtrer posé sur un entonnoir de verre ; conservez-le dans une bouteille bien bouchée. La dose est depuis dix jusqu’à quarante gouttes dans un verre d’eau ou de vin ou d’infusion de plantes amères. On répète cette dose deux ou trois fois par jour ; on prend ce remède dans l’instant où l’estomac est vide, c’est-à-dire, demi-heure avant de manger ; il convient pour fortifier l’estomac (dans les cas où les amers n’ont aucun succès) des personnes hystériques & hypocondriaques, tourmentées par des vents, dont la cause est le relâchement de l’estomac & des intestins, dans la consomption ou pulmonie nerveuse, dans les fièvres malignes, putrides, à la dose de quelques gouttes dans une infusion de camomille ; lorsque les accidens du cholera morbus sont passés, acidulez légèrement une infusion de quinquina ou de tout autre amer : dans le vomissement occasionné par foiblesse d’estomac ; dans le flux excessif d’urine, à la dose de quinze à vingt gouttes dans du bon vin vieux, unies avec le quinquina ; pour prévenir le crachement de sang, dans de l’eau ; dans les douleurs d’estomac occasionnées par mauvaise digestion, dans de l’eau ; dans le scorbut occasionné par le long usage d’alimens salés, lorsqu’on ne peut se procurer des herbes acides. &c.

Élixir de Stougthom ou grand élixir cordial ou gouttes d’Angleterre. Prenez absinthe, gentiane, germandrée, écorce d’orange amère, une poignée de chacun, quatre gros de rhubarbe, deux gros d’aloès : faites infuser le tout dans deux pintes d’esprit de vin, durant quinze jours ; filtrez ensuite la liqueur & la conservez dans des bouteilles bien bouchées. Les drogues ci-dessus mentionnées doivent être employées sèches.

On prend cinquante à soixante gouttes de cet élixir, plus ou moins, selon qu’on le juge à propos, dans un verre d’eau, ou de bière, de vin de Canaries, de cidre, de vin blanc ou du thé, en tout temps & sur-tout à jeun. Il excite l’appétit, facilite la digestion, fortifie l’estomac, chasse les vents de l’estomac & des intestins ; guérit la débilité de l’estomac & ses nausées particulièrement, lorsque ces indispositions viennent d’avoir trop bu. On s’en sert pour les vapeurs des deux sexes, l’évanouissement, le tremblement, la mélancolie, dans les affections scorbutiques, contre les vers, contre l’infection de l’air & dans les maladies contagieuses ; trente à quarante gouttes de cet élixir, mises dans un verre d’eau claire, avec un peu de sucre, sont une liqueur saine & agréable.

Élixir de longue vie. On le doit au docteur Yernest, médecin Suédois, mort à l’âge de 104 ans, à la suite d’une chute de cheval. Son ayeul a vécu 130 ans, sa mère 107, & son père 112, par l’usage journalier, dit-on, de cet élixir. Il faut en prendre sept ou neuf gouttes matin & soir, dans le double de vin, ou de thé, ou de bouillon, ou d’eau.

Prenez une once & un gros d’aloès-succotrin ; zédoaire, agaric blanc, gentiane, safran oriental, & rhubarbe fine, un gros de chacun ; on peut y ajouter un gros de thériaque de Venise & une once de manne.

Pulvérisez & tamisez les six premières drogues, mettez-les dans une bouteille de gros verre, avec la thériaque & la manne ; versez-y une pinte de bonne eau-de-vie ; bouchez la bouteille avec un parchemin mouillé & ficelé. Quand le parchemin commencera à devenir sec, piquez-le de plusieurs trous d’épingle, pour que la fermentation ne casse point la bouteille ; tenez-la à l’ombre pendant neuf jours, & ayez soin matin & soir de la bien remuer, afin de mêler le tout exactement ; le dixième jour, sans remuer tant soit peu cette liqueur, coulez doucement l’infusion ans un autre vaisseau, tant que la liqueur viendra claire ; bouchez exactement cette colature, puis mettez sur le marc de ces mêmes drogues, une nouvelle pinte de bonne eau-de-vie, que vous laisserez également infuser pendant neuf autres jours. Au dixième jour vous coulerez de même. Des que vous vous apercevrez que la liqueur s’épaissira, vous arrêterez & verserez cette liqueur épaisse, avec le marc ou sédiment de la première pinte, dans un entonnoir au fond duquel vous aurez mis du coton, & filtrerez cette liqueur jusqu’au clair-fin. Ayez soin de mettre un linge sur l’entonnoir, afin que la liqueur ne s’évapore point. Mêlez les deux pintes de liqueur ensemble, & les serrez dans une ou plusieurs bouteilles bien bouchées.

Il restaure les forces, aiguise les sens, diminue les tremblemens de nerfs, les vives douleurs de la goutte, nettoie l’estomac, tue les vers, soulage les hydropiques, guérit les indigestions ; il provoque les mois, utile dans les fièvres intermittentes, facilite l’éruption de la petite vérole.

Suivant les circonstances on doit varier les doses.

Pour les maux de cœur ; une cuillerée à bouche de l’élixir pur.

Pour une indigestion ; deux cuillerées dans quatre de thé.

Pour l’ivresse ; deux cuillerées de pur.

Pour la colique des entrailles, & colique venteuse ; deux cuillerées dans quatre d’eau-de-vie.

Pour les violens accès de goutte ; dans l’accès, sur-tout quand elle remonte, trois cuillerées de pur.

Pour les vers ; pendant huit jours, plein une cuiller à café, à jeun.

Pour l’hydropisie ; pendant un mois une cuillerée à café dans du vin blanc.

Pour suppression ; pendant trois jours consécutifs, une cuillerée à jeun dans trois cuillerées de vin rouge ; il faut se promener une demi-heure de suite avant de déjeuner.

Pour fièvres intermittentes ; une cuillerée de tout pur avant le frisson, & ainsi au second accès s’il survient.

Pour la petite vérole ; d’abord une cuillerée à café de pur, & pendant neuf jours, la même dose à jeun dans trois cuillerées de bouillon de mouton.

L’usage journalier qu’on peut en faire est de sept gouttes pour les femmes, & de neuf pour les hommes, dans le double de vin, ou d’eau, ou de bouillon, &c.

Élixir de garus. Prenez myrrhe pulvérisée, trois drachmes ; girofle, noix muscade, le tout concassé ; de chacun, trois drachmes ; safran une once ; canelle concassée, quatre drachmes ; esprit de vin dix livres ; faites macérer dans la cucurbite du bain-marie, pendant douze heures ; distillez au bain-marie jusqu’à ce qu’il soit sorti neuf livres de liqueur. Faites macérer au bain-marie, dans une autre cucurbite, feuilles de capillaire, quatre onces ; racine de réglisse divisée, demi-once ; figues sèches divisées, trois onces ; eau de rivière filtrée, huit livres : passez sans exprimer, filtrez à travers le papier gris ; ajoutez eau de fleur d’orange demi-livre ; ensuite faites fondre dans six livres d’infusion, douze livres de sucre blanc ; enfin, mêlez neuf livres de la première liqueur, avec dix-huit livres de ce sirop, & vous aurez l’élixir de garus qu’il faut conserver dans des bouteilles bien bouchées. La dose est depuis une drachme jusqu’à deux onces.

On le donne dans les maladies de foiblesse par sérosités ; dans les douleurs d’estomac par indigestion & avec foiblesse ; dans le hoquet, le dégoût par matières séreuses, le vomissement par des matières pituite uses & par foiblesse ; dans les coliques venteuses, les rapports nidoreux.

En général, toutes les personnes hautes en couleur, d’un tempérament chaud & bilieux, sujettes à la gravelle & aux hémorroïdes doivent être très-sobres sur l’usage des élixirs, & particulièrement de celui de garus qui échauffe beaucoup. Pour les foiblesses d’estomac, & même pour les indigestions, ne seroit-il pas beaucoup plus avantageux de boire à la glace & d’avaler des glaçons en nature ? C’est aux maîtres de l’art à prononcer : d’après ma propre expérience, j’ose sans crainte conseiller l’usage des glaçons aussitôt après le repas.