Cours d’agriculture (Rozier)/ÉLAGUER

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 169-171).


ÉLAGUER. C’est éclaircir un arbre, en retranchant une partie de ses branches. Élagueur, est l’homme chargé de cette opération. Est-il nécessaire d’élaguer un arbre, comment doit-on l’élaguer ?

Les arbres forestiers qui croissent en massif, n’ont pas besoin de la main de l’homme, & seront toujours plus beaux que ceux qu’il façonne. Tant que les branches auront assez d’étendue pour ne pas se nuire les unes aux autres, le tronc grossira sans beaucoup s’élancer ; dès qu’elles se toucheront, le tronc s’élancera, afin d’aller chercher l’air & se nourrir des substances répandues dans l’atmosphère ; il poussera de nouvelles branches dans la partie élancée, elles croîtront, peu-à-peu étoufferont celles du bas, & celles-ci disparaîtront, sans laisser dans la suite aucun signe de leur existence, parce que, dans cette marche, tout est conforme aux loix de la nature. Il n’en est pas ainsi dans l’arbre que nous façonnons : chargé de chicots, de plaies, de chancres, de gomme, &c. il accuse la cruauté de l’élagueur, & périt promptement. On voit pousser un jeune arbre, & l’on dit : il faut former sa tige, quoiqu’elle n’excède pas en grosseur un tuyau de plume. Alors, la serpette à la main, on élague les bourgeons inférieurs, la sève monte, la tige file, ressemble à un roseau ; & voilà un arbre perdu. Laissez prendre du corps à cet arbre, & élaguez ensuite ; vos meurtrières attentions ne peuvent que lui nuire. Les racines sont toujours en raison des branches ; ainsi, plus vous élaguez, plus vous diminuez le volume des racines & les suçoirs de la sève. Un arbre dont la tête est perpétuellement tondue pour la forcer à former une boule, eût-il un tronc de huit pouces de diamètre, n’a pas des racines longues de plus de trois à quatre pieds.

Il n’en est pas de même lorsque le tronc commence à prendre de la consistance & de la solidité : attendre trop long-temps à l’élaguer, c’est le mettre dans le cas de recevoir tout à la fois, de trop fortes & trop nombreuses amputations, & de le charger de plaies. Peu-à-peu formez ce tronc, jamais tout à la fois, & sur-tout dans le temps de la végétation. La nature a destiné la saison de l’hiver pour ces opérations, & les moins nuisibles sont celles qui sont pratiquées peu après la chute des feuilles.

Lorsqu’on plante une avenue, un verger, &c. c’est le cas de couper les branches établies sur le tronc, afin que la végétation s’exécute dans le haut. On a grand soin, à cet effet, d’abattre tous les bourgeons qui poussent dans le bas, afin de ne point diminuer la sève des bourgeons supérieurs ; je ne pense pas tout à fait ainsi : le premier point & le plus essentiel, c’est d’assurer la reprise de l’arbre, & le second est de conserver ses branches supérieures. Au premier printemps, la végétation est abondante, les bourgeons percent du tronc & de la partie supérieure. Si vous détruisez les inférieurs, vous détruisez également la nouvelle racine qui s’étoit formée, & vous diminuez par-là les ressources de l’arbre. La chaleur survient, il languit parce que vous avez supprimé & des feuilles & des racines dont il avoit besoin pour sa reprise. Dans cette première année, laissez l’arbre livré à lui-même, hors un cas seulement. Si du tronc & dans un endroit où l’on ne veut point avoir de branches, il s’élance un bourgeon trop fort, trop vigoureux, & capable de faire une diversion totale à la sève, c’est le cas de le supprimer, parce qu’il affamerait l’arbre ; mais, quant aux autres bourgeons qui se comportent bien, il convient de les laisser jusqu’après la chute des feuilles.

À la même époque, on supprimera les branches inutiles ou chiffonnes, ou mal placées, afin de laisser sur le sommet du tronc celles qui doivent former sa tête dans la suite. La beauté de l’arbre, la disposition heureuse de ses branches dépendent de l’élagage de la seconde & de la troisième année. Il est rare, par la suite, de couper une branche majeure sans que l’arbre en souffre ; lorsque la nécessité y oblige, il faut y venir petit à petit, afin d’accoutumer la sève à se porter dans les autres grosses branches. On ne doit jamais faire de plaies considérables, sans les recouvrir avec l’onguent de Saint-Fiacre.

Dans les pays où la multiplicité des troupeaux force à chercher leur nourriture dans l’élagage, je n’ai jamais vu aucun bel arbre, dont le tronc fût droit & la quille bien proportionnée, parce que tous les trois ans on élague & on laisse tout au plus quelques méchantes petites branches au sommet.

Il est facile de faire la même remarque sur les ormeaux qui bordent les grands chemins, sur-tout s’ils appartiennent au Roi ou à de grands seigneurs. Les personnes préposées à leur entretien, aiment les fagots, & sous prétexte de laisser un grand courant d’air sur la route, les pauvres arbres en sont la victime. Veut-on voir des ormeaux, des chênes, des arbres majestueux ? il faut se rendre à la porte des églises de campagne, on y trouvera ceux que l’immortel Sully obligea de planter, & on les appelle encore les Rosni : comme ils n’appartiennent à personne, ils sont livrés à eux-mêmes, & les élagueurs n’ont heureusement pas le droit de les mutiler pour faire du bois de chauffage.