Cours d’agriculture (Rozier)/ÉBRANCHEMENT, ÉBRANCHER

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 106-107).


ÉBRANCHEMENT, ÉBRANCHER. C’est couper ou rompre les branches d’un arbre, les détacher. L’Ordonnance des eaux & forêts veut que l’on condamne ceux qui ont ébranché ou dégradé des arbres dans une forêt, aux mêmes amendes que s’ils les avoient abattus. Toute amputation considérable faite à un arbre lorsqu’il commence, ou qu’il est en pleine sève, lui est toujours préjudiciable, & souvent funeste. C’est la raison pour laquelle, en concluant du grand au petit, les chèvres, les moutons, &c. causent un si grand dégât, lorsque à cette époque ils broutent les jeunes pousses des bois.

L’ébranchement a lieu ou par la malice ou ignorance de celui qui ébranche, & par l’effet de météores. La foudre frappe un arbre, elle l’ébranche, & presque toujours il en meurt. On connoît l’effet terrible de ces trombes de vent, qui brisent & fracassent tout ce qui s’oppose à leur impétuosité, & se rencontre sur leur passage, tandis que l’arbre voisin est respecté. On doit aussitôt après faire monter des hommes sur ces arbres ; armés de haches ou autres instrumens tranchans, ils abattront toutes les branches cassées ou tordues, & couperont jusqu’au vif, afin que les arbres déshonorés puissent encore profiter de la sève, & pousser de nouveaux bourgeons.

Si on veut réparer le mal fait à un arbre précieux, & que ses branches soient simplement éclatées, & sa tête défigurée, il est possible de rejoindre les parties, de les envelopper après leur réunion avec l’onguent de St. Fiacre, de recouvrir le tout avec des éclisses, & de les maintenir au moyen des ligatures ; alors, donnant deux ou plusieurs tuteurs à cette ou à ces branches, leur plaie se cicatrisera, peu à peu l’écorce se réunira ; enfin, la branche, conservée dans sa forme & dans la direction de ses rameaux, conservera à la tête de cet arbre précieux, la même forme qu’il avoit auparavant.

Je ne crois pas qu’on ait l’exemple d’un ébranchement aussi singulier & plus terrible que celui arrivé au mois de décembre 1782, dans de territoire de St. Pons. Les vents se contrarioient, des nuages avoient leur direction du sud au nord, & d’autres du nord au sud ; la colonne venant du nord étoit noire, épaisse, très-chargée, elle donna une pluie par torrent ; à mesure que chaque goutte tomboit sur une branche, elle s’y geloit ; la goutte suivante éprouvoit le même sort, & ainsi de suite, jusqu’à ce que toutes les branches fussent chargées de glaçons de plusieurs pieds de longueur, & même de six à huit pouces de diamètre. Qu’on se figure un chêne, un châtaignier, recouvrant une étendue de plus de quarante à soixante pieds, dont chaque rameau porte au moins le poids de six à sept livres, dont la pesanteur augmente en raison de l’éloignement du point d’appui, & l’on comprendra, sans peine, comment les plus grosses branches ont été obligées de céder enfin à la pesanteur du fardeau qu’elles soutenoient. En moins d’une heure & demie tout a été fracassé, & les troncs des arbres partagés jusqu’à leurs racines. L’œil n’a jamais vu un si beau spectacle avant l’ébranchement, ni rien de plus affreux quelques momens après. Il faudra plus de vingt ans pour que ce malheureux & pauvre pays se remette de ce désastre. La marche de cette colonne a été aussi singulière que ses effets.