Coup d’œil sur la position de l’église nationale du canton de Vaud

Librairie de Georges Bridel, éditeur (p. Préface).

Ce petit écrit avait été primitivement composé pour être lu dans une Conférence générale de pasteurs de l’église nationale, convoquée pour le 6 mai 1845. Il n’avait pas la prétention d’obtenir une plus grande publicité. C’est sur le vœu qui m’en a été exprimé par quelques-uns de mes frères, que je le livre à l’impression, après lui avoir fait subir les modifications rendues nécessaires par quelques faits subséquents.

S’il peut en quelque manière servir au bien de l’Église et de la patrie, la gloire en reviendra à Dieu seul.

En l’adressant à mes bien-aimés compagnons d’œuvre, je me recommande à la communion de leurs prières, en les assurant de mes sentiments de respect et de cordiale affection.

Ch. Baup, ministre.

Vevey, 14 juin 1845.

COUP D’ŒIL
sur
LA POSITION DE L’ÉGLISE NATIONALE
du Canton de Vaud, en 1845.


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Ce ne serait point à moi de prendre la plume pour traiter le sujet dont je me propose de vous entretenir. Mais comme il est des moments où il importe de s’entendre et de se communiquer ses pensées, je commencerai à le faire, en appelant votre attention sur la ligne de conduite qu’il me paraît convenable de suivre dans les circonstances où nous a placés la révolution du 14 février.

Quoique je désire m’adresser plus particulièrement à mes frères dans le ministère de la Parole de Dieu, je ne crains pas d’employer un moyen qui ait quelque publicité. Car s’il est un temps où il soit nécessaire d’agir ouvertement et en plein jour, c’est assurément celui-ci. Il faut que nos paroissiens puissent connaître les principes qui nous dirigent et les sentiments dont nous sommes animés dans l’accomplissement de nos fonctions. Nous n’avons pas d’autre moyen, à une époque où nous sommes exposés à des jugements si divers, de conserver leur confiance et d’obtenir leur concours.

Si notre révolution s’était accomplie en restant dans le domaine de la politique et en ne touchant qu’à telle ou telle partie de nos institutions civiles, nous n’aurions, en notre qualité de pasteurs, aucun motif de manifester nos opinions. Mais d’abord la révolution s’est faite au nom d’une question religieuse ; et l’on ne saurait se dissimuler que plusieurs personnes ont, par une confusion étrange, compris dans leur haine contre les jésuites, tout ce qui tenait de près ou de loin au mouvement religieux dont nous sommes les témoins. Vous savez aussi comment l’intolérance religieuse sous les formes les plus prononcées, a, dans quelques lieux, souillé notre beau pays.

Dans de telles circonstances, il serait impossible de se taire ; mais il faut qu’on sache pourquoi nous parlons.

Un pasteur ne doit être l’homme d’aucun parti ; car il est, pour l’amour de Christ, le serviteur de tous ses paroissiens, afin de les amener au salut. Il évitera donc ce qui pourrait les empêcher de recourir à son ministère, et rejetant loin de lui toute acception de personnes, il se fera « tout à tous » dans l’esprit de l’apôtre « pour en gagner quelques-uns.) Il ne renoncera pas pour cela à ses droits de citoyen ; il ne craindra pas non plus d’exprimer dans l’occasion sa manière d’envisager les questions politiques en montrant comment les principes de la justice éternelle y trouvent leur application ; mais il faudra qu’il le fasse toujours dans un esprit de charité et de sage modération. Se gardant avec soin de fournir des armes aux ennemis de l’Évangile par des discours ou des démarches imprudentes, dans la persuasion que pour défendre une juste cause, nous n’avons de force que celle que donne la vérité. Nous insistons sur ce point ; car, si nous nous laissions aller à prendre part trop vivement aux discussions politiques, nous pourrions compromettre en grande partie le succès de notre ministère, dans un moment où le pays en a le plus grand besoin et où les circonstances sont venues en augmenter de beaucoup les difficultés

Ces difficultés existaient déjà avant notre révolution ; mais il n’est pas douteux que les faits qui se sont accomplis dernièrement ne leur aient donné une gravité qu’elles n’avaient point jusqu’ici. On ne nous accusera pas d’exagération si nous disons que notre église court des dangers imminents, et qu’il n’y a qu’une marche ferme, qui puisse, avec la bénédiction de Dieu, la faire sortir victorieuse de la position critique où elle se trouve

Elle est assaillie, ce semble, de tous les côtés à la fois. Ici par ceux de nos frères qui demandent la séparation de l’Église et de l’État ; là par les dissidents ; et outre cela par les ennemis de l’Évangile, au nombre desquels nous plaçons les partisans de l’incrédulité et ceux de l’ultramontanisme romain. Que faire pour soutenir cette triple attaque ? c’est ce qu’il importe d’examiner.

On le comprend sans doute, nous sommes loin de mettre ces divers opposants sur la même ligne, et de donner la même importance aux points sur lesquels nous différons d’avec eux. Nous avons la joie de reconnaître parmi les uns des amis, des frères, de fidèles serviteurs de Christ, d’habiles défenseurs de la foi qui nous est commune ; tout ce que nous regrettons à leur sujet, c’est qu’en affaiblissant nos rangs, ils aient ouvert la porte à plus d’une erreur funeste, dont nous moissonnons les fruits. — Si ces lignes tombaient entre leurs mains, nous aimons à croire qu’ils ne verront dans ce que nous aurons à dire aucun manque de charité. Nous voudrions n’avoir à nous défendre que contre ceux qui attaquent l’Évangile ; mais une triste nécessité nous est imposée, celle de signaler ce que nous regardons comme de fausses tendances chez des hommes vénérés. Qu’ils prennent donc en bonne part nos paroles ; car nous ne pensons qu’à guérir, si possible, les blessures qu’ils nous ont faites.

C’est en effet le besoin de paix qui nous a poussé à écrire, et nous serions heureux si nos faibles paroles, en donnant lieu à une discussion calme et approfondie, pouvaient en quelque chose contribuer, dans les graves circonstances, où se trouvent la patrie et l’Église, à unir les cœurs dans la vérité.


I. Nous abordons d’abord la question de la séparation de l’Église et de l’État.

Est-ce un dogme ? comme on a cherché à l’établir dans ces derniers temps. Nous ne pouvons le penser. C’est pour nous avant tout une question de convenance et d’histoire, à résoudre par les faits, et en suivant les directions providentielles qu’il plaira à Dieu de nous donner. Nous nous rangeons donc à l’opinion de M. de Rougemont, lorsqu’il déclare qu’il serait pour la séparation aux États-Unis, mais pour l’union ou du moins pour l’alliance, dans nos sociétés du continent européen[1].

Nos convictions se sont formées sur ce point lorsque, étudiant l’état de notre pays et cessant de recourir aux raisonnements de la sagesse humaine, nous avons cherché dans la Bible les lumières qu’elle jette sur ce sujet. Nous avons alors été conduits à reconnaître que la Parole de Dieu, tout en laissant ici à l’Église sa liberté d’action, comme pour toutes les questions d’organisation disciplinaire et de forme de gouvernement, est plutôt, soit dans la lettre soit dans l’esprit, favorable à l’union.

Notre intention n’est point, on le comprend, d’entrer à cette heure dans la discussion de cette grande question. Mais nous nous devons à nous-mêmes d’exposer au moins quelques-uns des motifs qui nous font demeurer attachés à un système contre lequel on dirige de si vigoureux efforts. Nous devons à nos opposants de leur dire pourquoi ils ne nous ont pas convaincus.

D’abord les textes qu’ils citent à l’appui du dogme qu’ils énoncent ne nous paraissent point concluants. Ils nous présentent en particulier ceux-ci : « Les chefs des nations les dominent et les grands usent d’autorité sur elles ; il n’en sera pas ainsi entre vous. » — « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu, » puis les passages des épîtres de Paul où il établit les droits et les devoirs des magistrats, en les comparant à ceux où il expose les attributions des conducteurs de l’Église. Mais que signifient toutes ces déclarations et que peut-on légitimement en conclure ? Rien d’autre, ce nous semble, que cette vérité incontestable, que les deux sociétés sont différentes, qu’elles se régissent par des principes différents, qu’il y a par conséquent des devoirs différents, mais non contradictoires, imposés à ceux qui sont à la fois membres de ces deux sociétés ; car il faut bien que le même homme puisse, en toutes circonstances, rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. — Nous protestons contre tout ce qu’on leur fait dire au delà. — Et quant à la déclaration si remarquable que Jésus fit devant Pilate : « Mon règne n’est pas de ce monde, » il n’y a qu’un seul sens à lui donner. Notre divin Maître nous y enseigne que son règne est celui de la vérité, et qu’il ne doit s’établir que par elle. Il y condamne en conséquence d’une manière absolue tous les moyens de contrainte, dont on s’est trop souvent servi sous prétexte de travailler à la gloire de Dieu, mais dont l’emploi n’est assurément pas inhérent à l’union de l’Église et de l’État. On conçoit en effet qu’une église puisse demeurer fidèle à son Chef, et le glorifier dans les rapports même qu’elle entretient avec les puissances de la terre, si elle proteste contre toute oppression morale, contre toute servitude de l’intelligence ; si elle répudie toute intervention de l’État dans le domaine de la conscience ; si elle fait prévaloir en toutes choses les principes de l’équité.

D’un autre côté nous rencontrons dans la Bible des faits et des déclarations qui prouvent que l’on ne saurait condamner d’une manière absolue toute intervention des gouvernements dans les choses religieuses. L’Écriture, il est vrai, nous montre par l’exemple de Hosias, frappé de lèpre pour avoir empiété sur les droits des sacrificateurs, qu’il est des objets auxquels le pouvoir civil ne peut pas toucher sans se rendre coupable ; mais elle nous apprend aussi que c’est par l’ordre de l’Éternel et avec son approbation que David et Salomon s’occupèrent si directement du culte, et que Ézéchias et Josias firent leur réforme morale et religieuse. Or on demande pourquoi ce qui est approuvé sans réserve chez un David serait absolument condamnable chez un roi ou un magistrat chrétien ? D’autant plus que l’objection qu’on voudrait tirer de la différence des deux économies est complétement annulée par les passages nombreux, où les rois de toutes les nations sont exhortés à se soumettre à Jésus, à devenir les soutiens de son Église, à employer leurs richesses et leur autorité à l’avancement du règne de Dieu. Voyez entr’autres Ps. II, 10 : « Ô rois, ayez de l’intelligence ; juges de la terre, recevez instruction ! Servez l’Éternel avec crainte et réjouissez-vous avec tremblement. Adorez le Fils, de peur qu’il ne s’irrite, etc. » Ps. LXXII, 10 : « Les rois de Tarsis et des îles lui présenteront des dons ; les rois de Scéba et de Séba lui apporteront des présents ; tous les rois aussi se prosterneront devant lui ; toutes les nations le serviront. » Ps. CXLVIII, 11 : « Rois de la terre, louez-le. » Ésaïe XLIX, 7 : « Les rois le verront et se lèveront ; les principaux aussi, et ils se prosterneront devant lui, pour l’amour de l’Éternel. » (v. 23.) « Les rois seront tes nourriciers et les princesses leurs femmes tes nourrices. » Ésaïe LX, 3 : « Les nations marcheront à ta lumière et les rois à la splendeur qui se lèvera sur toi. » (v. 10.) « Les fils des étrangers rebâtiront les murailles, et leurs rois seront employés à ton service… Tes portes aussi seront continuellement ouvertes… afin que les forces des nations y soient amenées et que leurs rois y soient conduits. » Paroles qui peuvent s’appliquer soit à Jérusalem au temps du rétablissement final des Juifs, soit en général à l’Église chrétienne, ainsi qu’on peut le conclure de l’application qu’en fait Jean (Apoc. XXI, 24), à la Jérusalem céleste : « Et les nations qui auront été sauvées marcheront en sa lumière, et les rois de la terre y apporteront ce qu’ils ont de plus magnifique et de plus précieux. »

Ces textes n’ont pas besoin de commentaire ; ils établissent assez clairement qu’on ne saurait faire un crime aux rois de la terre de concourir, pour leur part et dans les limites qu’un gouvernement doit nécessairement se poser, à la gloire de Celui qui s’appelle le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs (1 Tim. VI, 15 ; Apoc. XIX, 16).

Et certes ce n’est pas à nous qu’il convient de les délier de ces devoirs, dans un temps surtout où ils sont si disposés à ne tenir compte que des intérêts du présent siècle, et à dire : « Qui est l’Éternel, pour que nous obéissions à sa voix. » (Exod. V, 2.) Nous poserions plutôt en principe que, puisque les autorités qui subsistent sont établies de Dieu (Rom. XIII, 1.), non-seulement il leur est défendu de rien faire qui puisse contrarier les desseins du souverain Chef de l’Église, mais de plus ordonné d’user de leur influence et des moyens légitimes qui sont entre leurs mains, pour en favoriser l’accomplissement. Or ce qu’ils doivent, devant Dieu, il faut bien aussi qu’ils puissent le faire, sans empiéter sur les droits de la conscience et sans outrepasser leurs attributions.

Quant à l’Église, sa ligne de conduite nous paraît plus facile encore à déterminer. Nous posons d’abord en principe qu’elle ne tire son existence d’aucune institution humaine, mais seulement du bon plaisir de son divin Chef par l’action du Saint-Esprit. Nous croyons et professons qu’elle doit vivre de sa vie propre, et qu’elle n’a rien à cet égard à recevoir de l’État. Si donc l’État ne voulait plus entretenir de rapports avec elle, elle pourrait accepter sans crainte la nouvelle position qui lui serait faite ; car pourvu qu’elle demeure fidèle à son Sauveur, Il ne l’abandonnera pas. Mais nous nous sommes demandé si, pour lui demeurer fidèle, elle devait rechercher la séparation, s’il était de son devoir de rompre les liens qui la rattachent à l’État. Sans doute ici la réponse peut être différente dans tel ou tel cas donné ; mais ne sommes-nous pas autorisés à conclure que l’esprit général de l’Évangile, qui est un esprit de dévouement et d’amour, portera plutôt l’Église à se rapprocher de l’État, de même que le Sauveur s’est approché de l’humanité mourante pour lui redonner et la vie et la santé ? Certes, aussi longtemps qu’on ne lui demandera point de lâches complaisances et qu’on n’exigera pas d’elle des compromis, qui lui seraient nécessairement funestes, elle ne pourra point, sans péché, refuser à la société civile le secours que celle-ci en attend. Heureuse de posséder, dans l’Évangile, le moyen de conduire les peuples à leur vraie destination, elle fera donc tout ce qui dépend d’elle, pour soumettre l’État, ses lois, ses institutions, non point à elle même (Dieu l’en garde !), mais à Christ et à la Parole de sa grâce, en sorte que le Prince devienne ce qu’il doit être, le serviteur de Dieu pour notre bien (Rom. XIII, 4), afin que nous menions une vie paisible et tranquille en toute piété et honnêteté ( 1 Tim. 2, II). Comment n’userait-elle pas en effet de tous les moyens qui peuvent être mis à sa disposition, pour faire prévaloir dans la société civile les principes d’ordre, de justice et de vraie liberté dont elle doit être au milieu du monde l’incorruptible et fidèle représentant ? Et si dans son alliance avec l’État, elle trouve plus de facilités pour l’accomplissement de sa tâche, pourquoi ne devrait-elle pas en profiter, pourvu qu’elle ne songe jamais à s’appuyer pour une œuvre toute spirituelle sur le bras trompeur de la chair ?

Nous ne voyons pas ce que l’on peut objecter à cela. Même en raisonnant dans l’hypothèse que l’Église, assemblée des croyants, n’aurait de rapports directs, par le moyen de ses représentants (pasteurs, anciens, consistoires ou synodes), qu’avec le gouvernement d’un pays, son devoir serait clairement tracé. Mais combien plus de force n’avons-nous pas pour défendre le système des églises nationales, quand nous les considérons, non plus comme des églises d’État, mais, ainsi que la chose existe dans notre pays, comme des églises de la nation. L’on paraît trop oublier dans toute cette discussion, pour ce qui nous concerne en particulier, que l’église nationale subsiste dans son organisation extérieure, par le vœu légalement manifesté de la majorité des habitants du pays. C’est le peuple qui veut qu’on lui prêche l’Évangile « dans sa pureté et dans son intégrité. » Je demande si une institution qui a pour but de répondre à un désir semblable n’est pas conforme à la volonté de Dieu. Je demande si les imperfections nécessairement inhérentes à toute institution humaine sont de nature à contrebalancer les immenses bienfaits qu’une église établie sur cette base peut répandre sur un pays. Je demande enfin, si nous ne sommes pas autorisés par la lettre et par l’esprit de la Parole de Dieu, à supplier nos opposants de s’arrêter dans leurs projets de séparation et de se préoccuper plutôt avec nous des moyens par lesquels nous pourrons établir entre deux sociétés, qui occupent le même sol, des rapports de bonne harmonie, propres à assurer la prospérité matérielle et morale de notre chère patrie.

Nous n’ignorons pas que c’est là que gît la difficulté, et parce que l’histoire nous présente, dans ses complications diverses, des abus de tous les côtés ; parce que l’on peut citer des inconvénients nombreux qui sont résultés des frottements entre l’Église et l’État, on a pensé qu’il valait mieux en finir et couper le nœud gordien. Mais le remède est violent ; et qui sait, si dans nos sociétés européennes, si particulièrement dans notre pays, il ne serait pas pire que le mal ? — Or il n’est pas impossible, ce nous semble, d’obtenir le concours bien entendu de l’Église et de l’État au vrai bien de la nation. Les principes qui règlent cette matière sont même faciles à poser ; puisqu’il suffit pour cela que chacune des sociétés demeurant distincte de l’autre, reste dans la limite de ses droits et de ses devoirs ; car nous demandons l’union et non pas la confusion.

Or que veut l’Église ? Tout ce qu’elle doit désirer c’est qu’il lui soit toujours possible de prêcher la pure doctrine de la Parole de Dieu, afin de travailler à la conversion et à l’affermissement dans la foi de toutes les âmes qui se trouvent dans sa sphère d’action. C’est là le vrai but qu’elle se propose, aussi devra-t-elle s’interdire toute intervention directe dans les affaires de l’État : car rien n’est plus opposé à l’Évangile que l’esprit de domination. Bien moins pensera-t-elle à demander l’appui du gouvernement pour faire prévaloir ses doctrines, puisqu’elle ne veut agir que sur les consciences et qu’il ne sera jamais dans son intérêt de compter des hypocrites dans son sein. Tout ce qu’elle réclamera dans ses rapports avec l’État, c’est une indépendance complète quant aux doctrines et au culte ; car personne n’a rien à lui prescrire à cet égard si ce n’est son divin Chef.

Telle est, à notre sens, la vraie position de la question ; et quand nous maintenons que l’Église ne doit reconnaitre pour chef que Jésus, nous croyons que cela regarde uniquement les doctrines et les préceptes moraux qui en découlent, et non point telle ou telle question d’organisation ecclésiastique, sur laquelle, faute d’ordres positifs, chaque église particulière est libre de prendre le parti qui lui paraît le plus conforme à ses besoins.

Aussi, tout en rendant justice au dévouement de l’église libre d’Écosse, nous permettons-nous d’émettre un doute sur le principe qui a présidé à sa formation. Pourquoi a-t-elle combattu ? Ce n’est point directement pour une question de doctrine ; elle a simplement voulu maintenir le droit des troupeaux d’intervenir dans le choix de leurs pasteurs. Or, ce n’est point là, du moins en thèse générale, combattre pour les droits de Jésus-Christ ; car d’un côté la marche à suivre pour l’élection des pasteurs n’est point déterminée d’une manière obligatoire dans le Nouveau-Testament, et de l’autre, on sait assez qu’un troupeau, tout aussi bien qu’un patron, peut se donner pour conducteur spirituel un hérétique, un antéchrist, selon la définition de St.-Jean. Nous accordons que, dans les cas particuliers dont il s’agissait, nos frères d’Écosse ont réellement combattu pour la vérité salutaire ; mais le principe qu’ils ont maintenu n’est pas en lui-même une garantie contre l’erreur. Qu’ils ne s’exagèrent donc pas la portée de leur noble conduite : c’est moins pour la suprématie de Christ que pour celle des troupeaux qu’ils ont lutté si vaillamment.

C’était à nous, église vaudoise, qu’il appartenait de protester lorsque notre Loi ecclésiastique de 1839, art. 82 et 87, a conféré au gouvernement civil le pouvoir de régler ce qui se rapporte à la doctrine et au culte. Nous pouvons avoir eu de bonnes raisons pour nous soumettre à cette loi ; mais il est certain cependant que ces articles, lors même qu’ils n’auraient pas le sens précis que nous leur donnons, et que telle n’aurait pas été l’intention du législateur, ont pour tendance inévitable de porter atteinte à un principe contre lequel il ne peut y avoir de prescription. Il ne nous est en effet point loisible de l’abandonner, et aucune loi humaine ne saurait l’anéantir : car on ne peut accorder à l’État le pouvoir de régler les doctrines, sans attaquer directement la souveraineté de Christ. — Si l’Église elle-même n’a pas le droit de se faire ses doctrines, mais seulement celui de les puiser à la source de toute vérité, dans la Parole de Dieu, à combien plus forte raison l’État n’aura-t-il rien à réglementer dans des choses de cette nature. Laisser à un Grand Conseil ou à un Conseil d’État, nommé uniquement en vue des intérêts politiques et sociaux du pays, et sans aucun égard aux convictions religieuses des membres qui les composent, le soin de fixer en dernier ressort ce que doit être un enseignement religieux, ce serait non-seulement poser un principe contraire à l’Évangile, mais encore tomber dans un contre-sens. C’est à l’Église seule qu’il appartient, non pas, nous le répétons, de faire des dogmes, mais de les reconnaître et d’y donner librement son adhésion une fois qu’ils ont été légitimement déduits de la Parole de Dieu. Elle le fait par ses liturgies, par ses catéchismes et par ses confessions de foi.

L’Église donc, en tant qu’elle est l’assemblée de tous ceux qui font profession de croire aux vérités enseignées dans l’Évangile, ne doit dépendre que de Dieu pour tout ce qui tient à ses doctrines et à son culte. C’est là son droit le plus incontestable : on ne peut le lui refuser sans la ruiner par sa base et sans la dénaturer. Mais une fois qu’il lui est reconnu, elle peut s’en contenter ; car c’est son principe vital. En tout cas, elle ne peut demeurer unie à l’État qu’à cette condition-là.

Dans la position actuelle de notre pays, nous ne désirons point la séparation ; notre conviction est formée sur ce point, et les derniers événements ont contribué à l’affermir. Ce n’est pas au moment où un malaise secret travaille notre peuple que nous voudrions lui retirer le seul moyen de le conduire à la vraie liberté ; et nous regarderions comme le plus grand des malheurs pour le pays, comme l’avant-coureur certain de terribles jugements, si la majorité de la nation en venait à se prononcer pour la dissolution de l’église nationale. Car, dans l’état actuel des esprits, un pareil vole ne pourrait être considéré que comme un rejet public de la Parole de Dieu. — Mais plus notre attachement à l’église évangélique réformée du canton de Vaud est sincère, plus nous nous sentons pressés de réclamer pour elle l’indépendance spirituelle qu’on n’eut jamais le droit de lui enlever.

Ce que nous demandons pourrait d’ailleurs s’obtenir sans amener de grandes modifications dans notre organisation ecclésiastique actuelle : il suffirait de donner au synode une plus grande compétence, en lui accordant le droit d’aviser aux changements qu’il conviendrait d’apporter, soit aux formes du culte public, soit aux livres adoptés pour le culte ou pour l’enseignement public de la religion, et de décider tout ce qui tient aux objets de cette nature, sauf l’approbation pure et simple ou le veto du pouvoir législatif.

Nous ne savons pas si le moment serait opportun pour faire connaitre nos vœux à cet égard. Mais il est bien nécessaire de s’occuper dès à présent de la chose ; car, sans indépendance spirituelle, nous ne pensons pas que notre église puisse se soutenir fort longtemps, ni qu’elle soit en état de lutter avec quelque succès contre les progrès de la dissidence et contre les attaques toujours plus vives des ennemis de la vérité.


II. Un fait doit frapper lorsque l’on considère l’état de la dissidence religieuse dans notre pays ; c’est que, malgré des causes nombreuses de division intérieure, elle s’est étendue, du moins dans certaines localités, depuis 1840. Quoiqu’elle soit travaillée par un mal qui menace de la dissoudre et qui a causé au milieu d’elle une vraie désorganisation, elle se maintient sous sa nouvelle forme et paraît, pour le moment, se consolider. Cela ne prouve-t-il pas qu’elle a trouvé quelque côté faible dans l’église nationale, par lequel elle a pu entamer nos rangs ?

Il serait déraisonnable sans doute d’attribuer à notre organisation tous les écarts de la dissidence. Dans un réveil religieux quelconque, il faut toujours s’attendre à des manifestations plus ou moins sectaires et excentriques. Chaque époque a eu les siennes ; c’est un des moyens que Satan met en œuvre pour contrarier, autant qu’il est en lui, les desseins de la miséricorde de Dieu. Si l’esprit de parti, si l’attachement à des vues particulières, si la recherche de son propre intérêt se trouvaient déjà dans les églises dirigées par les Apôtres, comment oserions-nous espérer d’être complétement à l’abri de semblables mouvements ?

Mais nous pensons aussi que la première chose qu’une église nationale ait à faire, lorsqu’elle voit se former à côté d’elle une dissidence, c’est d’examiner si elle n’y a pas elle-même donné lieu. Elle peut le faire soit par son relâchement dans la vie ou dans la doctrine, soit par un manque d’intelligence des besoins nouveaux qui naissent à la suite d’un réveil, soit par un attachement exclusif à quelque point particulier d’une importance secondaire, soit enfin par une opposition étroite et mesquine à des mouvements, imprudents peut-être, mais qu’on devait chercher à diriger plutôt qu’à contrarier. Les faits ne manquent pas pour confirmer ce que nous avançons.

Entrant donc dans les sentiments d’une humiliation salutaire, l’église nationale ne prendra jamais vis-à-vis des dissidents une position hostile, car ce serait aggraver un mal qu’elle n’a pas su prévenir. Si elle le peut, sans compromettre aucun principe, elle cherchera à retenir ceux qui la quittent, en faisant droit à leurs légitimes demandes, ayant soin, en tous cas, de n’employer auprès d’eux que les moyens qu’inspire une vraie charité ; mais s’il lui est impossible d’empêcher la formation d’églises dissidentes, elle remédiera, selon son pouvoir, au malheur de ces divisions, en entretenant avec elles des rapports de fraternité, si toutefois ces églises demeurent attachées aux vérités salutaires, et qu’elles n’abandonnent pas la source des eaux vives pour se creuser des citernes crevassées. Pourvu que « Christ soit annoncé, » lors même que ce serait par esprit de dispute ou par ostentation, nous pouvons nous en réjouir (Phil. I, 15-18).

C’est dire assez combien nous devons, comme membres d’une église nationale, avoir horreur de toute violence et de toute persécution sous quelque forme qu’elle s’exerce contre nos frères dissidents. Nous ne voudrions pas même persécuter des hérétiques, bien moins ceux qui sont au fond unis à nous dans une même foi et dans une même espérance. Malheur à nous si l’on avait quelque raison de nous accuser d’intolérance. Ne craignons donc pas de manifester hautement l’indignation que toute mesure attentatoire à la liberté religieuse nous fait éprouver, et ne négligeons aucun moyen d’éclairer notre peuple sur ce point. Hélas ! nous avions lieu d’espérer qu’un progrès réel s’était accompli dans l’opinion publique à cet égard depuis l’abolition de la loi du 20 mai 1824. Pourquoi donc a-t-on cru devoir flatter perfidement les excès de quelques hommes momentanément égarés ?

Il n’entre pas dans notre but d’examiner en détail les points par lesquels nous différons des dissidents et qui nous empêcheraient de nous rattacher à aucune de leurs églises, telles qu’elles existent dans notre pays, lors même qu’il nous faudrait en venir à une séparation de l’Église et de l’État. Nous devons cependant indiquer quelques-uns des motifs qui nous portent, sous le point de vue religieux et biblique, à demeurer fidèles à notre système actuel. Nous nous bornerons pour cela aux caractères généraux de la dissidence, sans tenir compte des vues diverses qui surgissent dans son sein.

Préoccupés du désir de former une église pure, ou, comme l’on dit maintenant, une église en dehors du monde, nos frères dissidents ont, sinon complétement méconnu, du moins laissé dans l’ombre un des caractères distinctifs du Christianisme, sa puissance d’expansion. Ils n’ont pas suffisamment compris que la grande affaire du chrétien est, bien moins d’organiser des églises, de former des congrégations réunies autour de tel ou tel système particulier, que de travailler à amener des âmes à la possession du salut. Sentant l’importance et la nécessité de la sanctification individuelle, ils ont en général tenu peu de compte de l’influence que l’Évangile est destiné à exercer sur les peuples et sur leurs institutions. Comme s’ils craignaient de perdre quelque chose de leur vie intérieure, en restant dans une église de multitude, ou d’y être moins rapprochés de Dieu, ils ont appliqué au Christianisme les principes de séparation extérieure qui n’appartiennent qu’à l’économie légale[2], oubliant que l’enfant de Dieu doit être le sel de la terre et la lumière du monde ; qu’il doit demeurer dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé (1 Cor. VII, 17-24 ; voyez en particulier les vers. 18, 19). Quelques-uns même ont été jusqu’à poser en principe que le chrétien devait se tenir éloigné de tout ce qui se rapporte au développement social, et qu’il fallait laisser le monde suivre sa pente naturelle en l’abandonnant à sa propre corruption.

Nous estimons au contraire que l’Évangile est appelé à pénétrer toutes choses de sa divine saveur ; qu’il est la seule sauve-garde des nations, comme c’est lui seul qui peut procurer aux individus la réconciliation avec Dieu. En conséquence nous regardons comme un devoir impérieux d’annoncer cette Parole de grâce à toute créature, selon le dernier ordre que Jésus a donné à ses disciples : Allez, enseignez toutes les nations, et les baptisez au nom du Père, du Fils et du St.-Esprit. Et nous sommes persuadés qu’une institution qui peut servir à mettre tous les habitants d’un pays en contact avec les vérités du salut est conforme à la volonté de Dieu, en tant qu’elle répond à ce but.

Loin donc de nous laisser ébranler dans notre attachement pour les églises de multitude, par les épithètes plus ou moins injurieuses qu’on leur donne, nous pensons que ce ne peut être que par suite d’une fausse direction du sentiment religieux que l’on en est venu à appeler : Églises du monde, ce que le Sauveur lui-même appelle le royaume de Dieu et le royaume des Cieux. Le contraste entre les idées que rappellent ces expressions est trop grand, pour qu’il n’y ait pas erreur d’un côté ou de l’autre. Or qui oserait dire que le Seigneur n’ait pas su choisir le mot propre ? Si donc il appelle royaume des Cieux ce filet de la Parole qui amasse de bonnes et de mauvaises choses (Matth. XIII, 47-50) ; s’il désigne de la même manière l’assemblée de ces dix vierges qui toutes étaient allées à la rencontre de l’époux, mais dont cing étaient folles (Matth. XXV, 1-12), pourquoi voudrions-nous condamner ses voies et ne voir que le mal là où ses yeux contemplent avec bonté tout ce qu’il y a mis de bien ? Pour quoi voudrions-nous hâter témérairement une séparation qu’il a réservée pour le dernier jour, et que Lui seul est capable de faire avec justice et amour ? L’expérience ne nous aurait-elle donc point appris que toute discipline ecclésiastique qui s’exerce autrement que par la Parole de Dieu est dangereuse et illusoire ; et que, puisque tout jugement humain est sujet à l’erreur, c’est au Seigneur que nous devons laisser le soin de juger son peuple, dans l’intime conviction que les affaires de la conscience ne doivent être traitées qu’entre Dieu et l’homme pécheur ?

Pour ces raisons et pour d’autres encore, que nous croyons basées sur l’Écriture sainte, nous nous plaçons franchement sur le terrain des églises qui, embrassant les multitudes dans leur sein, correspondent mieux aux compassions de Jésus et aux infinies richesses de sa grâce que ne le peuvent des églises qui, par principe, restreignent leur champ d’action. C’est là que nous désirons consacrer à Dieu les forces qu’il nous accorde, heureux si nous pouvions, dans le même esprit que Paul, annoncer Christ, en exhortant tout homme, et en enseignant tout homme en toute sagesse, afin que nous rendions tout homme parfait en Jésus-Christ (Col. I. 28).

Mais si la dissidence repose sur quelques erreurs de doctrine, si elle a exagéré quelques-unes des tendances dont les Luthériens font un reproche à la Réforme, cela ne doit pas nous empêcher de reconnaître le bien qu’elle nous a fait, et de voir ce que nous pouvons apprendre des frères qui se sont séparés de nous. Sans parler du témoignage qu’ils rendent en général avec fidélité aux vérités de l’Évangile et des exemples de vies chrétiennes, que nous trouvons parmi eux, il est certains points de leur organisation que nous devrions imiter. C’est ainsi, par exemple, que nous aimerions à voir s’introduire dans notre église quelques-uns de ces rapports plus intimes entre les membres des troupeaux et cette coopération plus ou moins directe de chacun d’eux au bien de la communauté, qui font la force des églises dissidentes.

Dans notre organisation actuelle les laïques n’exercent d’action dans les affaires de l’Église que par le moyen de l’État ; et ce n’est que dans de rares circonstances, comme dans les visites d’église, qu’ils sont appelés à y prendre quelque part. Faut-il s’étonner qu’ils y demeurent plus ou moins complétement étrangers et que les questions ecclésiastiques ne réveillent presqu’aucune sympathie dans notre population ? — C’est là certainement un grand mal, dont les conséquences pourraient se faire sentir d’une manière funeste dans un avenir qui n’est peut-être pas éloigné. Il importe donc d’y porter remède le plus tôt possible.

Par la grâce de Dieu, la prédication de l’Évangile n’est pas demeurée sans fruits et nous comptons dans nos troupeaux un certain nombre d’hommes pieux, qui, sentant le prix des âmes, désirent s’employer, selon leurs forces, à l’avancement du règne de Dieu. Nos diverses sociétés religieuses en sont une preuve. Les vingt dernières années les ont vues se multiplier avec une réjouissante rapidité ; et la plupart d’entr’elles, fondées par des membres de notre église, se sont essentiellement et directement proposé pour but de contribuer à son bien. Pourquoi donc n’ont-elles pas toujours trouvé chez les pasteurs l’appui qu’elles auraient pu en espérer ? Pourquoi ont-elles eu dès le commencement de leurs opérations, sinon une couleur dissidente, du moins l’apparence de fonder une œuvre à part ? Il ne serait pas juste de leur en faire un reproche ; car la faute nous paraît devoir en être attribuée, en grande partie, à l’Église, qui n’a pas encore su trouver le moyen d’utiliser les forces vives qui sont nées dans son sein.

Il est sans doute des choses qu’une église nationale ne peut pas convenablement entreprendre dans son caractère officiel et par l’organe de ses corps constitués. Elle a, en cette qualité, une mission spéciale, à l’accomplissement de laquelle elle doit naturellement se tenir. On comprend, par exemple, qu’elle ne puisse pas facilement s’occuper de missions à l’étranger, puisqu’elle est instituée dans le but particulier de pourvoir aux besoins spirituels d’une certaine circonscription de pays. Mais c’est là toutefois, il faut bien le reconnaitre, un état d’imperfection ; car il est dans la nature de toute église chrétienne d’étendre, plutôt que de restreindre, le champ de son activité ; et si la primitive église était essentiellement missionnaire, on ne voit pas comment l’église de nos jours pourrait renoncer à ce caractère, aussi longtemps qu’il reste des âmes à convertir et des païens à amener à la connaissance de l’Évangile. Il faut donc que le zèle individuel travaille à combler les lacunes que présentera toujours une loi ecclésiastique ; que des associations libres se forment dans le sein de l’église nationale, pour répondre à des besoins que le législateur n’a pas prévus et pour accomplir des devoirs qui, pour n’être pas prescrits par l’État, n’en sont pas moins sacrés pour le chrétien et le serviteur de Dieu.

En notre qualité de pasteurs d’une église unie à l’État, nous avons une double position, qui en elle-même n’est pas nécessairement fausse, comme on le prétend, puisque, dans toutes les choses légitimes, en obéissant à l’État nous obéissons à Dieu. Mais nous devons veiller à ce que notre position de fonctionnaires publics n’absorbe pas celle que nous a faite notre consécration à la charge si importante de ministres de Jésus-Christ ; car nous ne pourrons réellement travailler au bien de l’église particulière à laquelle nous nous rattachons, qu’en demeurant, comme pasteurs et comme chrétiens, membre de l’Église universelle et fidèles à son esprit.

Ainsi donc, à côté des obligations que nous impose notre loi ecclésiastique, nous avons d’autres devoirs, dont l’accomplissement, loin de mettre obstacle à l’efficacité de notre ministère dans l’exercice de nos fonctions régulières, sera de nature, avec la bénédiction de Dieu, à en augmenter le succès. Ainsi la loi ecclésiastique ne saurait nous prescrire de prendre part à des associations chrétiennes dont la nature est variable et dépend des circonstances, d’autant plus qu’elle ne peut déterminer que le minimum de nos fonctions ; mais il est évident que si, par notre coopération à ces œuvres, nous pouvons empêcher qu’elles ne prennent une direction sectaire, nous aurons procuré le vrai bien de l’Église de Jésus-Christ, et par cela même celui de l’établissement ecclésiastique auquel nous consacrons la plus grande partie de nos forces et de notre temps.

N’oublions pas d’un autre côté que, comme notre loi actuelle concentre toute l’action ecclésiastique entre les mains de l’État et des pasteurs, un devoir sérieux nous est imposé, de contribuer autant qu’il est en nous à ce que les laïques ne se croient pas déchargés envers l’Église de toute responsabilité. Il faut qu’ils comprennent que ce sont eux qui, en réalité, composent cette église, dont l’État n’est que l’économe, tandis que les pasteurs en sont les agents ; que par conséquent ils doivent s’intéresser à son honneur et profit, regarder comme un privilége de contribuer à sa prospérité spirituelle, et s’appliquer à en devenir des membres vivants, en demeurant fidèles aux engagements qu’ils ont pris dans la ratification du vœu de leur baptême.

Ce besoin de travailler au bien de la communauté, se réveillera naturellement chez ceux qui, par une foi sincère, sont unis au divin Chef de l’Église. Mais combien n’est-il pas parmi nous d’âmes droites et pieuses qui n’en sont pas encore venues là, et qui n’ont pas le sentiment de leur union au corps spirituel de Christ ; combien d’autres, chez qui ce sentiment a été faussé par des vues étroites, dont il ne faut point croire qu’on soit exempt par le seul fait de son attachement à un établissement national. Or qui pourra éclairer nos troupeaux sur ce sujet ? Qui devra travailler à y faire naître, ou à y ranimer ce sens ecclésiastique, qui n’est ni dissidence ni nationalisme, mais un intérêt vrai pour tout ce qui peut concourir à la prospérité d’une institution destinée à conduire les âmes à leur Sauveur ? N’est-ce pas aux pasteurs que cette tâche appartient ? Mettons-y donc promptement la main, soit par des écrits, soit surtout par cette action individuelle si puissante quand elle est animée, non d’un esprit de parti, mais de la charité de Christ. Rapprochons-nous donc des membres pieux de nos paroisses ; demandons leur coopération dans toutes les choses où ils peuvent être convenablement employés, comme par exemple les visites de malades, les écoles du dimanche ; sachons mettre en œuvre pour la gloire de Dieu les dons qu’ils ont reçus ; intéressons-les à nos travaux en leur en donnant une part ; et soyons persuadés que, dans le plus grand nombre des cas, leur action sera plus utile que la nôtre. Loin de nous mettre sur la défensive, lorsque nous voyons des laïques entrer dans quelque bonne entreprise, apprenons à en bénir Dieu, à applaudir à leurs efforts ; car le travail tend à se multiplier incessamment entre nos mains, quand Dieu daigne bénir notre ministère, et nous ne pourrons jamais suffire à tout. S’unir à eux et réclamer leur concours, c’est donc non-seulement le parti que nous dicterait la prudence ; c’est encore le seul qui soit conforme à l’esprit de l’Évangile ; le seul qui puisse assurer, avec le secours d’en Haut, l’existence de notre église dans la position toujours plus critique que lui font ses ennemis.


III. Des ennemis… C’est avec peine que nous écrivons ce mot ; mais aussi c’est sans amertume et sans aucun sentiment contraire à la charité. Hélas ! ne savons-nous pas que la foi n’est pas de tous (2 Thess. III, 2) ? et qui sommes-nous pour nous élever contre des hommes dont quelques-uns peut-être sont retenus dans les liens de l’incrédulité, parce que nous avons négligé de leur annoncer l’Évangile, ou que nous l’avons fait de manière à leur inspirer des préventions ; hommes que la grâce de Dieu peut encore atteindre et transformer en serviteurs de Christ beaucoup plus fidèles que nous ?… Ah ! ne perdons jamais cela de vue dans nos rapports avec les incrédules. Disons leur la vérité dans la charité ; et si nous avons de pénibles révélations à faire, abstenons-nous avec soin de tout esprit de supériorité, de toute insinuation fâcheuse, de toute interprétation injuste et défavorable ; puisque nous ne devons être animés, dans toutes nos démarches, que du désir de gagner des âmes à notre divin Sauveur.

Mais en restant fidèles à cet esprit de charité, nous ne pouvons cependant point ménager l’erreur ; nous devons avertir les membres de notre église des dangers qu’elle court, et leur dire qu’elle compte dans le pays des ennemis déclarés.

Nous n’en sommes pas réduits à cet égard à de simples suppositions : nous avons les faits sous les yeux. Personne sans doute ne pouvait se faire illusion sur l’étendue et l’importance de notre réveil religieux ; il était facile de reconnaître qu’il n’avait pas les sympathies d’une portion considérable de notre population, et que plusieurs de nos paroisses y étaient demeurées complétement étrangères. Mais il n’y avait rien là d’étonnant. Les luttes qu’on avait à soutenir s’expliquaient par l’inimitié naturelle du cœur de l’homme contre la vérité ; elles étaient une preuve que l’Évangile faisait réellement des progrès. On pouvait d’ailleurs entretenir l’espérance que les préventions injustes qui avaient été excitées, iraient en diminuant. C’est dans cet état de choses que nous a trouvés la révolution du 14 février. Rien n’avait plus particulièrement appelé l’attention publique sur les questions religieuses dans notre pays, si ce n’est la construction de nouvelles chapelles catholiques, qui pouvait faire sur craindre que le Papisme ne s’étendit parmi nous. On comprend que cette question ait pris une certaine importance aux yeux de quelques hommes effrayés des progrès que le Jésuitisme faisait dans d’autres parties de la Suisse. Et il est certain que plusieurs personnes ne prirent part à la révolution que parce qu’elles croyaient que le Protestantisme était en péril.

Mais comment s’est-il fait qu’immédiatement après la révolution, la question des Jésuites soit rentrée dans le silence, et que toute l’animadversion d’une partie de la population se soit concentrée sur ceux-là seuls qui étaient en mesure de faire opposition aux disciples de Loyola ? Il ne nous appartient pas de juger des intentions, mais les faits sont là pour prouver que les premières victimes de la révolution sont des citoyens paisibles, étrangers à la politique, dont on n’avait à craindre aucune opposition, et dont le seul crime était de se réunir pour prier et pour lire la Parole de Dieu. Des scènes de désordre et des vexations ont eu lieu indistinctement contre ces réunions, sans égard à leur caractère particulier ; on a confondu dissidents et nationaux ; et même on peut dire que c’est plus particulièrement contre les réunions présidées par des ministres de l’Église nationale qu’on s’est proposé de sévir. Le vote du Grand Conseil, dans sa séance du 20 mai, est là pour le démontrer. En sorte qu’il faut bien conclure que l’on en veut à tout ce qui fait profession de piété, et, en d’autres termes, aux doctrines de l’Évangile, à la religion de nos pères, à laquelle les pasteurs de l’église nationale que l’on met en cause, comme présidant des réunions en dehors du culte public, sont tous sincèrement attachés. On voudrait paralyser l’église nationale, parce que l’on n’aime pas les principes religieux dont elle est le représentant.

Hélas ! il est impossible de se le dissimuler ; c’est bien là ce que veulent, peut-être sans s’en rendre compte, quelques personnes qui, pour parvenir à leur but, n’ont pas craint de se servir de moyens universellement réprouvés. Comme certains mots ont à certaines époques une force irrésistible, on a pensé qu’on ferait jouer ce ressort ; aussi pour soulever un peuple, d’ailleurs paisible, a-t-on de nouveau donné cours, non plus seulement au mot de mômiers, mais à ceux de méthodistes, de jésuites protestants, qui devaient frapper au but. C’est par ces mots, adroitement employés, qu’on est parvenu non-seulement à exciter des hommes étrangers à toute question religieuse, mais encore à tromper des personnes attachées à notre église, en leur inspirant des préventions contre les enseignements de leurs pasteurs.

Où tout cela nous mènera-t-il ? Nous ne pouvons le prévoir. Ce qu’il y a de plus manifeste pour le moment, c’est que l’incrédulité a pris un nouvel élan ; si elle ne supportait qu’avec peine la pression morale que lui faisaient ressentir les progrès de la piété et des bonnes mœurs, elle ne craint plus maintenant de se montrer au grand jour. Il est probable que les Jésuites s’en réjouissent en secret ; car ils savent, par une longue expérience, qu’il est plus facile d’entrer en pourparlers avec elle qu’avec la foi opiniâtre des huguenots protestants. Rien n’est plus accommodant en effet que la religion de Rome, et l’on sait assez les avances qu’elle fait aux incrédules et les facilités qu’elle accorde à l’indifférence religieuse, pour pouvoir affirmer que, si l’église nationale est restreinte dans son action, le Catholicisme romain ne tarderait pas à couvrir notre pays. Que cela ait lieu à la suite d’une révolution commencée aux cris de « À bas les Jésuites ! » voilà sans doute ce qui paraîtra étrange à quelques-uns, mais qui ne surprendra aucun de ceux qui ont appris par l’histoire que la superstition, l’intolérance et le despotisme spirituel marchent ordinairement pas à pas avec l’incrédulité.

Ces prévisions ne sont point nouvelles ; plus d’une fois elles ont été exprimées dans le sein de nos sociétés religieuses. Peut-être nous est-il réservé d’en voir l’accomplissement. — Mais pourrions-nous rester spectateurs oisifs des menées par lesquelles se prépare un si grand malheur ? Et ne redoublerions — nous pas d’efforts pour le détourner de dessus notre cher pays ? Il est vrai que notre voix n’est déjà plus guère entendue ; on a eu soin de détruire autant que possible l’influence de notre ministère et de nous enlever la confiance de nos paroissiens. Mais quelque pénible que soit la position qu’on nous a faite, nous avons pour nous la vérité. Reprenons donc courage en regardant au Chef et au Consommateur de la foi ; combattons vaillamment avec ces armes de justice, qui sont puissantes pour renverser les forteresses de Satan, et fortifions-nous au Seigneur.

Dans la conviction où nous sommes que le Jésuitisme n’a pas de meilleurs auxiliaires que l’indifférentisme religieux et l’incrédulité, nous devrons nous appliquer bien moins à combattre directement les erreurs du Catholicisme romain, qu’à ranimer et vivifier la foi aux saintes vérités de la Parole de Dieu. Travaillons à édifier plutôt qu’à détruire. Sans négliger d’éclairer nos paroissiens sur les principes de la Ré forme, évitons cependant, surtout dans les temps d’agitation où nous sommes, ce qui pourrait de près ou de loin entretenir des haines confessionnelles et nous entraîner dans quelqu’une de ces questions brûlantes qu’exploite l’esprit de parti.

L’expérience de dix années, pendant lesquelles le Catholicisme romain a eu toutes les facilités qu’il pouvait désirer, pour s’établir dans notre pays, suffit pour nous convaincre que nous n’avons pas beaucoup à craindre de ce côté-là, si l’on laisse à l’Église nationale ses moyens naturels d’action. Ce qu’il importe donc avant tout c’est de résister au torrent de l’incrédulité, qui menace de déborder.

Sans doute c’est une œuvre difficile, une tâche de longue haleine que de faire face aux sophismes qu’invente l’esprit du siècle dans ses étonnantes évolutions. Mais ne nous décourageons point pour cela : la simplicité de la foi nous aidera à en déjouer les ruses, et nous fera sortir vainqueurs du combat. Retenons ferme ce que nous avons appris dès le commencement ; car la folie de la croix est la sagesse et la puissance de Dieu. Disons ouvertement que nous voulons nous en tenir à l’Évangile, à ces vérités salutaires que nos réformateurs ont remises en lumière et que nous puisons directement dans la Parole de Dieu. Apprenons à ceux qui pourraient encore l’ignorer, que nous n’avons voulu et que nous ne voudrons jamais prêcher autre chose que Christ et que Christ crucifié ; et que le méthodisme qu’on décrie tant, n’est au fond que la doctrine de notre liturgie et du symbole des apôtres, qui se répètent chaque dimanche dans notre culte public. Si ce point était une fois bien éclairci, on aurait beaucoup gagné. Notre peuple saurait au moins ce que veulent nos adversaires et ne serait plus trompé par des mots. Il verrait que ce qu’on propose, c’est tout simplement de substituer au Christianisme les folles imaginations d’un Owen et d’un Babeuf.

Une fois la question posée dans ses véritables termes, nous pouvons espérer que la réponse ne serait pas douteuse, et que, malgré les progrès de l’incrédulité, notre peuple déclarerait qu’il veut encore être compté au nombre des peuples chrétiens.

Mais après avoir levé les préventions que fait naître une confusion de mots, il nous resterait une tâche plus importante à remplir. Nous ne devons pas en effet nous dissimuler que, si notre réveil religieux a rencontré en plus d’un endroit une opposition violente, c’est en bonne partie à ses écarts que l’on doit l’attribuer. Il y aurait présomption et aveuglement à ne pas le reconnaître. Quelque injustes que soient, dans la plupart des circonstances, les jugements que l’on porte sur ceux qui y ont pris part, ils ne sont cependant pas entièrement dénués de fondement et peuvent nous donner d’utiles instructions. De quelque part que nous vienne la vérité elle est bonne à recevoir.

Sans parler du mal que la dissidence, sous ses diverses, formes, a fait à la cause de l’Évangile en divisant les disciples du Seigneur pour des questions d’organisation et fort souvent pour de simples questions de mots ; ne devons-nous pas convenir, qu’au milieu de bien des choses respectables, dont la gloire appartient à Dieu seul, notre mouvement religieux a eu aussi de nombreuses imperfections ? On peut lui reprocher son dogmatisme tranchant et ami des nouveautés, et une tendance à faire consister la vie chrétienne dans la participation à certaines œuvres extérieures plutôt que dans la pratique des vertus humbles et modestes qui sont d’un si grand prix devant Dieu. Il a eu de cette manière plus de retentissement au dehors que de vraie profondeur, et nous avons pu nous faire des illusions, que n’ont sans doute pas partagées les ennemis de la vérité, dont les préventions, au lieu de diminuer, sont par cela même allées en augmentant. Joignez à cela les fautes des chrétiens, des démarches imprudentes, des allures parfois exclusives et orgueilleuses, bien des vues hasardées émises légèrement, et l’on comprendra que les masses, qui ne sont pas naturellement favorables à l’Évangile, aient éprouvé quelque antipathie pour un mouvement dont, au milieu de tant de misères, elles ne pouvaient que difficilement reconnaître l’origine divine et les salutaires effets.

Notre intention n’est point, en constatant ce fait, d’excuser une opposition toujours coupable à la Parole de Dieu, ou de jeter du blâme sur personne en particulier. Nous savons que certaines erreurs semblent se propager par l’air que nous respirons, et qu’il y a dans l’esprit général d’une époque des tendances fausses, auxquelles il est presque impossible de ne pas participer quelque peu. Mais nous voudrions que l’expérience du passé nous servit, et que tous ceux qui ont le bonheur de connaître l’Évangile s’appliquassent à écarter avec soin toutes les occasions de chute qu’ils peuvent avoir données jusqu’ici aux incrédules et aux faibles dans la foi. Si nos frères dissidents voulaient nous entendre, nous les conjurerions, au nom du Seigneur, de se rapprocher de nous, afin que nous soyons d’autant plus forts pour résister aux attaques toujours plus vives qui sont dirigées contre la Parole de notre Dieu ; nous les prierions de cesser du moins de combattre une église au sein de laquelle ils ont, pour la plupart, été engendrés à la foi en Jésus-Christ et qui ne voudrait entretenir avec eux que des rapports de fraternité et de paix. — Puis, nous tournant vers nos troupeaux, nous les presserions de ne pas rejeter la Parole du salut à cause des infirmités de ceux qui la leur ont annoncée, et de ne pas se laisser détourner du Seigneur par les fautes de ses ministres, qui comme tous les autres hommes sont sujets à bien des erreurs. Oui, montrons-leur, à l’exemple de Paul, que le trésor qui nous a été confié ne perd pas de sa valeur, pour leur être apporté par des mains aussi faibles que les nôtres, et que si Dieu l’a mis dans des vases de terre, c’est afin que l’excellence de cette puissance de grâce soit tout entière attribuée à Lui seul.

Ah ! s’il nous était donné de sortir de l’épreuve par laquelle nous passons, plus humbles, plus défiants de nous-mêmes, mais plus confiants en Dieu ; si, sentant notre faiblesse, nous recourrions à Lui avec plus de foi et d’ardeur, nous n’aurions pas lieu de nous plaindre, et nous pourrions espérer pour notre église de plus grandes bénédictions. Relevons donc nos mains affaiblies et nos genoux chancelants et faisons des sentiers droits à nos pieds, afin que ce qui cloche ne se dévoie pas tout à fait, mais plutôt qu’il soit guéri (Hébr. XII, 12, 13). Notre peuple, comme tous les peuples, a besoin de la vérité. Annonçons-la donc avec toujours plus de force et de charité ; faisons-le autant que possible avec la plénitude des enseignements divins, sans y ajouter, mais aussi sans en rien retrancher, exposant fidèlement tout le conseil de notre Dieu ; et appliquons-nous à rendre honorable notre ministère par une vie conforme à ces saints enseignements.

Nous avons encore au milieu de nous bien des éléments de vie ; sachons en profiter en nous attendant au Seigneur. Eh ! pourquoi ne compterions-nous pas sur ses promesses et sur sa fidélité ? Ne savons-nous pas qu’il veille sur son Église, qu’il la conduit lui-même sur les flots irrités du monde ? Ne sommes-nous pas autorisés à penser qu’au milieu de la crise actuelle, il prépare à notre église une plus grande prospérité ? Qui sait s’il n’a pas permis ce qui vient d’arriver, pour produire au milieu d’elle un réveil plus profond, plus réel, plus solide que celui dont, malgré ses imperfections, qui ne viennent pas de Lui, nous devons déjà le bénir ? Lors même que tous les signes seraient contraires à une semblable espérance, souvenons-nous de la Parole du Maître : Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. Croyons, mes bien-aimés frères, et nous verrons aussi les choses merveilleuses que le Seigneur sait accomplir et qu’il accomplira en leur temps.

Telles sont les pensées que j’ai désiré vous soumettre, en vous priant, si vous les trouvez dignes de quelque attention, d’en faire l’objet d’une franche discussion.

En résumé, je pense que, loin de nous laisser abattre par les difficultés de notre position actuelle, nous devons redoubler de zèle en nous fortifiant au Seigneur, et qu’aussi longtemps qu’il nous sera possible, avec une bonne conscience et sans compromettre la vérité, d’annoncer l’Évangile dans notre église nationale, nous devons y demeurer. Nous l’aimons encore, oui, nous l’aimons toujours plus cette église évangélique, dans laquelle nous avons été appelés à jouir de tous les priviléges de l’alliance de grâce que Dieu a traitée avec nous en Jésus-Christ. C’est pourquoi nous désirons la voir, selon le bon plaisir de Dieu, forte et vivante de la vie de son Chef : — forte dans la liberté spirituelle, qu’elle doit réclamer du gouvernement du pays, aussi bien dans l’intérêt de la nation que pour le sien propre ; — forte d’une charité éclairée, dans tous ses rapports avec les dissidents, et cherchant à ranimer dans ses membres le sentiment de leur union à la sainte Église universelle par la foi en Jésus-Christ ; – forte enfin par la vérité, et levant haut l’étendard de l’Évangile au-dessus de toutes les doctrines erronées et de tout esprit de parti.

Tels sont nos vœux pour notre église ; telle nous la voudrions voir s’employer avec dévouement, sans préoccupations terrestres, dans la bonne ou dans la mauvaise réputation, au bien temporel d’un peuple qui nous est cher à tant d’égards et au salut éternel des âmes sur lesquelles nous avons à veiller, comme devant rendre compte. Nos vœux se réaliseront-ils, ou bien les recevra-t-on comme on reçoit un beau rêve ? C’est ce qu’il ne nous est pas donné de prévoir. Qu’il nous soit seulement permis de dire que nous les regardons comme rentrant tout à fait dans les limites du possible ; mais que, fussent-ils encore d’une exécution beaucoup plus facile, nous ne comptons que sur la grâce miséricordieuse de Dieu pour leur accomplissement.


  1. Les Individualistes et l’Essai de M. le prof. Vinet  ; page xxv.
  2. Ce caractère judaïque n’est pas moins sensible dans les doctrines plymouthistes que dans l’ancienne dissidence. Pour s’en convaincre il suffit de se rappeler l’expression si fréquemment employée par ces frères de : culte en dehors du monde. Ils établissent, il est vrai, la sacrificature spirituelle de tous les enfants de Dieu, mais ils en réservent l’exercice à leur mode de réunion et nient qu’un culte spirituel puisse se rendre là où on lit une liturgie et où un pasteur officie. — Hélas ! que de barrières on élève entre ceux que le Seigneur veut unir ! Pourquoi ces triages et toutes ces divisions le plus souvent pour des points peu importants ? Je me suis souvent demandé si les dissidents admettent en plein la souveraineté et la libre grâce de Dieu, puisqu’ils mettent tant d’importance à des questions secondaires, comme si la grâce de Dieu ne pouvait pas agir avec ou malgré les formes. Ah certainement ! s’ils croient, comme nous n’en doutons pas, que « Dieu ait tant AIMÉ LE MONDE, que de donner son Fils unique afin que QUICONQUE croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle ; » s’ils admettent dans toute leur force ces admirables paroles, ils ne sont dissidents que pour la forme, et ne le sont plus en réalité dans leur cœur.