Coup d’État du 2 décembre 1851
2, 10 décembre 1851. Décret qui dissout l’Assemblée Nationale et le conseil d’Etat, rétablit le suffrage universel, convoque le peuple français dans ses comices, et met en état de siège l’étendue de la 1re division militaire (X, Bull. CDLXV, n. 3379
Le président de la République décrète :
Article 1er
modifierL’Assemblée nationale est dissoute.
Article 2
modifierLe suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.
Article 3
modifierLe peuple français est convoqué dans ses comices, à partir du 14 décembre jusqu’au 21 décembre suivant.
Article 4
modifierL’état de siège est décrété dans l’étendue de la première division militaire.
Article 5
modifierLe conseil d’État est dissous.
Article 6
modifierLe ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.
- Fait au palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.
- Signé Louis-Napoléon Bonaparte.
- Contresigné par le ministre de l’intérieur,
- De Morny.
2, 10 DÉCEMBRE 1851.- Proclamation du pré- sident de la République. Appel au peuple. (X, Bull. CDXLV, n. 3380.)
FRANÇAIS !
La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s’écoule aggrave les dangers du pays. L’Assemblée qui devait être le plus ferme appui de l’ordre est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de trois cents de ses membres n’a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l’intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile ; elle attente aux pouvoirs que je tiens directement du Peuple ; elle encourage toutes les mauvaises passions ; elle compromet le repos de la France ; je l’ai dissoute, et je rends le Peuple entier juge entre elle et moi.
La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d’affaiblir d’avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l’ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m’ont trouvé impassible,. Mais aujourd’hui que le pacte fondamental n’est plus respecté de ceux-là mêmes qui l’invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont perdu deux monarchies veulent me lier les mains, afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France : le Peuple. Je fais donc appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis : Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d’un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend responsable d’actes que je ne puis empêcher et m’enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir vers l’abîme.
Si, au contraire, vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les moyens d’accomplir la grande mission que je tiens de vous. Cette mission consiste à fermer l’ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.
Persuadé que l’instabilité du pouvoir, que la prépondérance d’une seule Assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d’une Constitution que les Assemblées développeront plus tard :
- Un chef responsable, nommé pour dix ans ;
- Des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul ;
- Un conseil d’État formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le Corps législatif ;
- Un Corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel, sans scrutin de liste qui fausse l’élection ;
- Une seconde Assemblée formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.
Ce système, créé par le premier consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité ; il les lui garantirait encore.
Telle est ma conviction profonde. Si vous la partagez, déclarez-le par vos suffrages. Si, au contraire, vous préférez un gouvernement sans force, monarchique ou républicain, emprunté à je ne sais quel passé ou à quel avenir chimérique, répondez négativement.
Ainsi donc, pour la première fois depuis 1804, vous voterez en connaissance de cause, en sachant bien pour qui et pour quoi.
Si je n’obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d’une nouvelle Assemblée, et je lui remettrai le mandat que j’ai reçu de vous.
Mais si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c’est-à-dire la France régénérée par la Révolution de 89 et organisée par l’Empereur, est toujours la vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.
Alors la France et l’Europe seront préservées de l’anarchie, les obstacles s’aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecteront, dans l’arrêt du Peuple, le décret de la Providence.
- Fait au palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.
- Signé LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.
2, 10 décembre 1851 Proclamation du président de la république à l’armée (X, Bull. CDLXV n. 3381
SOLDATS !
Soyez fiers de votre mission ; vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays : la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant.
Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s’opposaient et au bien que je voulais faire et aux démonstrations de vos sympathies en ma faveur. Ces obstacles sont brisés. L’Assemblée a essayé d’attenter à l’autorité que je tiens de la nation entière, elle a cessé d’exister.
Je fais un loyal appel au Peuple et à l’armée et je leur dis : Ou donnez-moi les moyens d’assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place.
En 1830 comme en 1848, on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque, on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos vœux, et cependant vous êtes l’élite de la nation. Aujourd’hui, en ce moment solennel, je veux que l’armée fasse entendre sa voix.
Votez donc librement comme citoyens ; mais comme soldats, n’oubliez pas que l’obéissance passive aux ordres du chef du gouvernement est le devoir rigoureux de l’armée, depuis le général jusqu’au soldat. C’est à moi, responsable de mes actions devant le peuple et devant la postérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public.
Quant à vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de l’honneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du peuple.
Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Ils sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous, dans le passé, communauté de gloire et de malheur. Il y aura dans l’avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France.
- Fait au palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.
- Signé LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.