Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/7/1767/Mars

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (7p. 248-267).
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MARS.

1er mars 1167.

Je ne sens jamais plus vivement la misère de mon métier que lorsque je suis réduit à m’expliquer librement sur les productions de ceux qui ont un rang et de la célébrité dans les lettres. Il me serait bien agréable d’accorder à leurs productions une admiration sans bornes ; tout le profit en serait pour moi. Premièrement, il y aurait à chaque occasion un excellent ouvrage de plus, et ce serait un bien très-désirable. En second lieu, j’aurais le plaisir de louer, et de louer des gens qui ne sont pas précisément mes amis, mais avec qui j’ai des amis communs, avec qui je me trouve souvent dans la même société, à qui je connais d’ailleurs une infinité de qualités estimables, quoique leur talent littéraire ne m’ait jamais tourné la tête à un certain point. Mais enfin il faut bien que je dise comme je sens, et que je le dise franchement et sans détour. Heureux, dans l’exercice de ce pénible devoir, de pouvoir me rendre la justice que l’envie de nuire n’est jamais entrée dans mon cœur ; heureux aussi de penser qu’une décision erronée et trop hasardée de ma part ne saurait influer sur le sort d’un livre, puisqu’elle est elle-même soumise au jugement éclairé et sûr de ceux qui honorent ces feuilles de leur regard. Faisons donc notre triste devoir, et parlons librement de cette espèce de roman ou conte politique et moral que M. Marmontel vient de publier sous le titre de Bélisaire.

Ce nom illustre sous le règne de Justinien est consacré dans nos écoles à retracer à la jeunesse les vicissitudes de la bonne et de la mauvaise fortune. On ne peut se représenter sans attendrissement un guerrier célèbre par ses victoires, soutenant longtemps l’empire romain contre l’effort des barbares et contre l’influence plus maligne d’un gouvernement plein d’intrigues et de vices, succombant enfin lui-même sous les traits de l’envie et de la jalousie, ne se tirant de la prison qu’avec les yeux crevés, et réduit dans la vieillesse à mendier son pain pour récompense de ses travaux et de ses services. Quoique cette dernière partie de l’histoire de ce héros ne soit pas aussi avérée que sa disgrâce et l’ingratitude de Justinien envers lui, comme elle est devenue l’opinion générale et populaire, et qu’elle a d’ailleurs fourni le sujet d’un sublime tableau à plusieurs de nos grands peintres modernes, je l’adopte sans peine, et la tiens d’autant plus véritable qu’elle est plus poétique, plus pittoresque et plus frappante.

Si les hommes de génie par leurs inspirations et par leurs conseils faisaient exécuter aux autres avec succès ce qu’ils conçoivent et ce qu’ils imaginent, et de la manière dont ils contoivent et imaginent, ils pourraient se dispenser d’écrire eux-mêmes, et l’on pourrait se consoler du temps précieux qu’ils perdent à conseiller et à diriger les autres. Mais malheureusement les choses ne vont pas ainsi. Ceux qui ne savent pas imaginer exécutent toujours médiocrement, et l’homme du plus grand génie, de la plus belle imagination, ne rendra que faiblement et froidement ce qu’il n’aura pas conçu lui-même et les idées dont le premier germe s’est formé dans un autre cerveau que le sien. Un jour, M. Diderot, en causant avec M. Marmontel, lui dit que s’il voulait faire un livre tout à fait agréable et intéressant, il fallait écrire les Soirées de Bélisaire vieux, aveugle et mendiant, Il était aisé à un homme éloquent de s’étendre sur la beauté de ce sujet. En effet, donnez-moi le génie de Xénophon, et je ferai des soirées de Bélisaire le bréviaire des souverains et un des plus beaux livres qui aient jamais enrichi l’humanité. M. Marmontel en fut frappé. Il crut apparemment que le génie de Xénophon n’y faisait rien, et il se mit à écrire les Entretiens de Bélisaire.

La première chose qu’on est en droit d’exiger de l’auteur de ces Entretiens, indépendamment de la science de l’État, de la grandeur des vues, de la gravité du style, de la force et de la sévérité de la couleur, c’est une connaissance parfaite de l’esprit du siècle de Bélisaire, de l’état de l’empire romain sous le règne de Justinien, de l’état des forces et des finances, du caractère de ce règne, de la tournure des esprits, de la philosophie, des arts et des sciences de ce siècle. Bélisaire, s’étendant sur tous ces objets, doit en donner une idée juste et précise : car emprunter les noms de Bélisaire, de Tibère et de Justinien, et les faire discourir ensemble comme nos faiseurs d’écrits politiques et économiques dissertent entre eux dans un cercle, selon les idées reçues en ce xviiie siècle siècle en France, exposer en un mot les idées de M. Marmontel sous le nom de Bélisaire, en vérité l’Europe est aujourd’hui trop éclairée pour qu’on souffre ces espèces de parodies. Cela peut ne pas choquer les enfants, parce qu’ils sont ignorants ; mais il est impossible qu’un homme instruit s’en accommode, et c’est pour cet homme instruit qu’il faut écrire, parce que, tout en le satisfaisant, on instruit ceux qui ont besoin d’instruction. D’ailleurs

Descriptas servare vices, operumque colores


est le premier devoir qu’Horace impose au poëte. Si vous ne savez pas peindre le tableau des mœurs d’un siècle, laissez les personnages de ce siècle en repos, et donnez aux auteurs de vos romans des noms inconnus et arbitraires qui ne me préparent point à un tableau que votre impuissance ne sait exécuter.

Au défaut de ce tableau, dont M. Marmontel n’a pas su nous tracer la plus légère esquisse, je m’attendais du moins à entendre parler un homme d’État, un héros que les épreuves de la bonne et de la mauvaise fortune avaient rendu philosophe ; à qui l’âge, l’expérience et le malheur avaient donné ce coup d’œil profond, ce sens, cette gravité, cette éloquence touchante et sublime qui imprime le respect, élève l’âme, et la rend digne de s’approprier les leçons d’un grand homme. Ma surprise a été égale à mon chagrin, de ne trouver dans Bélisaire qu’un vieux radoteur, débitant des lieux communs méthodiquement et sans mesure, bavard à l’excès, reprenant chaque jour bien exactement et bien ennuyeusement la conversation où il l’avait laissée la veille, prêchant toujours, ne sachant ni causer ni attacher par ses froides dissertations. Son ton bourgeois, sa petite morale lourde et triviale, sa monotonie capable d’endormir l’homme le plus éveillé, m’ont mis vingt fois dans le cas de m’écrier avec le bon La Fontaine :

Hors Je hais les pièces d’éloquence
Hors de leur place et qui n’ont point de fin.

C’est que M. Marmontel n’a rien de ce qu’il faut à un poëte. Point de génie. Point de naturel. Point de grâce. Point de sentiment. Rien qui vous touche, qui vous émeuve ; rien qui effleure l’âme. Il ne connaît ni le génie des hommes ni celui des affaires. Il veut nous instruire par la bouche de Bélisaire, et nous endoctriner sur tous les grands objets du gouvernement, et il n’est pas seulement sur aucun de ces objets au niveau des idées de son siècle. En puisant les siennes uniquement dans les meilleurs écrits de son temps, il aurait du moins eu plus de nerf et d’élévation. Son système militaire est extravagant. Je veux mourir s’il entend lui-même ce que Bélisaire débite sur le luxe ; et s’il sait jamais ce qu’il faut pour opérer le bonheur public et combien c’est une chose difficile, il cessera de croire que le premier bon diable ou le premier honnête bourgeois placé sur le trône (car c’est toujours sous ces traits qu’il représente les bons princes) y ferait des merveilles.

Il est une classe de lecteurs qui, convaincue apparemment de la nécessité des livres médiocres, aime à les juger avec indulgence. Si le Bélisaire de M. Marmontel n’est pas un ouvrage de génie, on ne peut disconvenir qu’il ne contienne d’excellents principes, qu’il ne prêche partout l’amour de la vertu et la bonne morale ; et que peut-on faire de mieux, dans la jeunesse surtout, que de se nourrir l’esprit de pareilles lectures ? J’avoue que je suis bien éloigné de penser ainsi, car sans compter que ce Bélisaire me paraît absolument manquer de sentiment et d’élévation, deux qualités sans lesquelles je ne puis imaginer une bonne morale, j’avoue que je crois les lieux communs, et ce que j’appelle le bavardage vertueux, non-seulement inutiles, mais contraires au progrès de la morale soit publique, soit particulière : inutiles, parce que les lieux communs ne parlent jamais à l’âme, et que c’est elle qu’il s’agit de remuer et de toucher ; contraires, parce qu’ils accoutument la jeunesse à se payer de mots, à se contenter de phrases et de tournures, et à les substituer aux choses. Lisez le chapitre de Bélisaire contre les favoris, et demandez à ce bon aveugle quel bien il croit avoir fait en expliquant ce que c’est que la faveur. Il dit que la faveur accorde au vice aimable ce qui appartient à la vertu ; il ajoute qu’un prince éclairé, juste et sage, n’a point de favoris, qu’il a des amis. Mais le prince le plus livré aux favoris sera d’accord sur ces principes. Il trouvera les flatteurs et les favoris une espèce d’hommes exécrables ; mais heureusement, dira-t-il, je n’ai que des amis. De quoi s’agit-il donc, puisqu’il n’y a point de prince à qui l’on n’ait prêché le danger des flatteurs, et qui n’en soit convaincu ? Il s’agit de lui apprendre à distinguer les flatteurs des amis, et cette science ne s’acquiert pas des lieux communs, et on lirait vingt fois le chapitre de Bélisaire sans en être plus avancé. C’est que les véritables éléments de morale pour les princes, c’est l’histoire qui les renferme ; et pour nous en tenir à l’exemple pris au hasard dans les conversations de Bélisaire, c’est en lisant la vie et les malheurs dun prince livré aux favoris, en comparant les mœurs et la conduite de ces favoris avec la conduite de ceux qu’il appelle ses amis, qu’un prince sans expérience et enclin à cette faiblesse pourra peut-être réussir à se garantir des atteintes d’un poison qui ne se présente que sous l’aspect le plus séduisant.

On a appelé l’ouvrage de M. Marmontel le Petit Carême du P. Bélisaire, à imitation du Petit Carême du P. Massillon, parce que les entretiens de Bélisaire ressemblent en effet beaucoup à des sermons, et que le bonhomme vous endort son lecteur comme un moine qui prêche. Si vous me demandez quel est le but moral de cet ouvrage, je vous dirai qu’il est fait exprès pour prouver qu’un empereur qui doit à l’un de ses sujets une longue suite de victoires et tout le lustre de son règne, n’a rien de mieux à faire, pour lui témoigner sa reconnaissance, que de le réduire à la mendicité, après lui avoir fait crever les yeux. Je sais bien que ce n’était pas là précisément ce que M. Marmontel se proposait de prouver jusqu’à l’évidence ; mais il n’y a pas moins réussi, en donnant à son Bélisaire la résignation non d’un héros, mais d’un capucin. Un héros, après avoir éprouvé les plus cruelles injustices de la part de son prince ou de son siècle, peut avoir l’âme trop fière pour daigner se plaindre, il peut renfermer dans son sein tout murmure ; un capucin va plus loin. Il vous prouve comme Bélisaire, en vingt endroits de ses sermons, que Justinien ne pouvait guère se dispenser de lui faire crever les yeux, et que cet auguste et respectable vieillard, pour avoir fait à peu près toute sa vie le mal, avec une bonhomie et une imbécillité parfaites, doit être un objet d’amour et de tendresse pour ses sujets. Voilà ce que j’appelle une morale empoisonnée, et qui mérite une place parmi les assertions des jésuites sur le régicide : car c’est vouloir porter le poison et la mort immédiatement dans l’âme des princes que de prêcher une telle morale. Si un imbécile endormi sur le trône peut être impunément, durant son long sommeil, le jouet et l’instrument de la calomnie et de la méchanceté ; si, croyant poursuivre les ennemis de son autorité, il peut opprimer le mérite, dépouiller la vertu, encourager le crime, éteindre dans l’âme de ses peuples toute élévation et tout désir de véritable gloire, et prétendre malgré cela, à titre de bonhomie, aux respects et à la vénération de la postérité, je ne sais plus quel sera l’hommage réservé à la mémoire des grands et bons princes ; et peu s’en faut que, d’accord avec la Sorbonne, quoique sous un point de vue différent, je ne traduise Bélisaire comme un corrupteur de morale, comme un empoisonneur public, au tribunal de la postérité, qui juge sans ménagement les bons et les mauvais princes, les bons et les mauvais écrivains.

Je me suis dispensé de relever dans cet ouvrage des défauts beaucoup plus frappants. Les enfants ont été blessés de voir Justinien plusieurs jours de suite en conversation avec Bélisaire, sans que celui-ci en ait le moindre doute ; apparemment que l’empereur contrefaisait sa voix, suivant l’usage du bal de l’Opéra de Paris, où l’on parle le fausset quand on ne veut pas être connu. Cet auguste et respectable vieillard qui, par surprise, a fait crever les yeux au plus grand homme de son siècle, en est quitte pour s’en retourner tous les soirs un peu rêveur de ces conversations, et pour dire à la fin aux intrigants de sa cour : Tremblez, lâches ; son innocence et sa vertu me sont connues. Voilà assurément un beau repentir et un beau triomphe pour Bélisaire ?

Il y a au quinzième chapitre un sermon de Bélisaire en faveur de la tolérance. Comme il n’est pas moins bonhomme que son empereur, il sauve tout le monde, et il soutient que les souverains n’ont ni droit ni intérêt à gêner la liberté de penser de leurs sujets. La Sorbonne a été vivement offensée de la témérité de ces assertions. Elle a déjà fait des démarches pour arrêter le débit de l’ouvrage, et elle lancera sans doute une censure en forme contre un aveugle qui ose placer Marc‑Aurèle, et Trajan, et Titus, et d’autres scélérats de cette espèce, dans le séjour des bienheureux, en se conformant à cet égard à l’opinion de plusieurs pères de l’Église.


cantique spirituel d’un paralytique.
Sur l’air : Ne v’là-t-il pas que j’aime.

Pour moi vous croyez qu’il n’est plus
PourDe plaisir dans la vie ?
Je trouve, moi, bien que perclus,
PourMon sort digne d’envie.

De mes pieds et mains engourdis
PourLorsque je perds l’usage,
D’un avant-goût du paradis
PourJe fais l’apprentissage.

N’avoir aucun sens en défaut
PourVous paraît bien commode ;
Mais vous savez bien que là-haut
PourTout change de méthode.

Nous laisserons en ces bas lieux
PourLa dépouille mortelle ;
Et nous n’en jouirons que mieux
PourDe la vie éternelle.

Dans le séjour délicieux
PourDes célestes merveille

Nous aurons des plaisirs sans yeux,
PourSans mains et sans oreilles.

Aux plaisirs des sens renoncer
PourPour vous sera bien rude ;
Et moi de savoir m’en passer
PourJ’aurai pris l’habitude.

Un jour pourtant Dieu nous rendra
Pour(Consolez-vous, mesdames),
Nos yeux, nos mains, et cœtera,
PourNos corps avec nos âmes.

Cette chanson est, ainsi que la suivante, de M. de La Condamine, devenu demi-ladre, mais toujours gai, malgré ses infirmités.


requête de la société royale d’agriculture,
Sur le même air que la chanson précédente.

Savants promoteurs des moissons,
SavaOuvrez-moi votre temple,
Non pour y dicter des leçons,
SavaMais pour servir d’exemple.

Je fus un grand agriculteur
SavaDe vingt ans à cinquante ;
Aujourd’hui, de cultivateur
SavaJe suis devenu plante.

Mais plante des lointains pays,
SavaDélicate étrangère,
À qui l’on accorde à Paris
SavaLes honneurs de la serre.

Là, plus choyé que le jasmin
SavaQue le lis et la rose,
De bouillon, de sucre et de vin,
SavaTour à tour on m’arrose.

Si j’en crois mes deux jardiniers[1]
SavaDont l’un l’autre relève,
Des zéphyrs les airs printaniers
SavaRanimeront ma sève.

Je n’oserais ajouter foi
SavaÀ ce flatteur oracle,
Et je n’attends pas que pour moi
SavaLe Ciel fasse un miracle.

Pour les fleurs il n’est qu’un printemps,
SavaJ’ai passé mon automne ;
L’arbre végète plus longtemps,
SavaMais enfin se couronne.

De mes rameaux faites donc
SavaDes fagots ou des planches ;
Car si je puis sauver le tronc,
SavaJ’abandonne les branches.

— Le jeune Mozart, qui, à l’âge de sept ans, s’est trouvé grand joueur de clavecin, grand compositeur, musicien consommé, et qui doit être compté, aujourd’hui qu’il se trouve dans sa dixième année, parmi les plus grands musiciens de l’Europe, n’est pas le seul enfant merveilleux que nous ayons vu à Paris en ces derniers temps. Le fils d’un bûcheron de Lorraine, appelé Féry, enfant de huit ans, est né avec le talent de faire dans sa tête les calculs les plus compliqués avec une facilité et une sûreté qui tiennent du prodige. Le vicaire de son village, s’étant aperçu de cette aptitude, en a écrit à M. d’Alembert ; celui-ci en a parlé à différentes personnes, et on a fait les fonds nécessaires pour faire venir ici cet enfant afin de pourvoir à son éducation. Je lui ai vu faire plusieurs opérations arithmétiques. On lui dit, par exemple, l’âge qu’on veut, d’un homme de quarante, de cinquante ans ; on y ajoute des mois et des jours pour rendre le calcul plus compliqué, et on lui demande combien de quarts d’heure cet homme a vécu ? Alors le regard de l’enfant devient fixe, on peut continuer la conversation sans l’interrompre ; et lorsque son opération est finie, il vous en prononcera très-exactement le résultat. Dans les calculs de cette espèce il aura de lui-même l’attention d’y faire entrer les années bissextiles, qui les compliquent infiniment davantage. Il se trompe rarement, et quand cela lui arrive, il s’en aperçoit ordinairement avant qu’on ait eu le temps de vérifier son calcul. Il explique très‑clairement sa méthode d’opérer, et quand il se trompe, il fait voir de quelle manière cela lui est arrivé. Ce talent de calculer se développa dans cet enfant à l’occasion d’une somme de vingt‑quatre livres que son père, excessivement pauvre, avait eu le bonheur d’amasser. Ce louis d’or fit un si grand événement dans la famille que l’enfant voulut savoir combien il y avait de liards dans un louis d’or, et depuis ce temps il n’a cessé de calculer. Il paraît sensible et bien né. Il est d’une physionomie intéressante, mais je ne serais pas étonné qu’il ne vécût point. On vient de le mettre dans une pension militaire, où la géométrie et les mathématiques s’enseignent particulièrement, S’il fait des progrès à proportion des dispositions qu’il montre, il pourra être reçu de l’Académie des sciences à l’âge que nous avons fixé au jeune Mozart pour faire exécuter son premier opéra sur le théâtre de Saint-Charles à Naples, c’est-à-dire à l’âge de treize à quatorze ans. Il faut consacrer le souvenir des vilaines actions comme des bonnes. Si le jeune Féry a trouvé de généreux bienfaiteurs, il a aussi déjà rencontré des gens qui savent calculer comme lui. Un conseiller au parlement de Metz s’est chargé de prendre cet enfant à Nancy, dans sa chaise, et de l’amener à Paris. En le remettant à M. d’Alembert, ce conseiller lui a demandé quatre louis d’or pour les frais de voyage. C’est bien des liards. M. d’Alembert les a payés en s’en faisant donner quittance. Si le jeune Féry devient un géomètre célèbre, je me flatte que nous lirons dans le précis de sa vie, immédiatement après son extrait baptistère, la quittance de son conducteur. Ce conducteur me paraît plutôt membre de la synagogue des juifs de Metz que membre du parlement de cette-ville ; il vend un peu cher l’honneur de voyager à côté de lui. Je suis très-fâché de n’avoir pu savoir son nom pour le conserver ici avec l’éloge que son noble et généreux désintéressement lui a si bien mérité. Je recommande ce panégyrique à l’équité de M. d’Alembert.

— On a imprimé en Suisse des Étrennes aux désœuvrés, ou Lettres d’un Quaker à ses frères et à un grand docteur. Quand M. de Voltaire a voulu châtier l’évêque du Puy-en-Velay, un certain quaker a adressé deux lettres charitables à Jean-George. Ici un partisan de Jean-Jacques Rousseau copie cette tournure pour dire son sentiment sur le procès de son chef avec M. Hume. La première lettre est contre ce philosophe ; la seconde, contre M. de Voltaire, à cause de la lettre qu’il a adressée à M. Hume à l’occasion de ce procès. L’auteur inconnu de cette brochure, malgré son excessive animosité contre M. de Voltaire, aura pourtant de la peine à se faire lire, parce qu’il est triste et plat comme il convient à un copiste. C’est encore un de ces avocats d’office, qui se sont emparés de cette cause aussi ennuyeuse que célèbre, qui ne disent aucun fait nouveau, n’en nient aucun, mais nous apprennent simplement comme il faut les voir.

— On nous a aussi envoyé de Hollande les Intérêts des nations de l’Europe, développés relativement au commerce. Ouvrage dédié à l’Impératrice de Russie. Quatre volumes in-12. Cet ouvrage est instructif et fondé sur de bons principes, mais qui sont aujourd’hui connus de tous ceux qui ont réfléchi sur ces matières. L’auteur s’appelle M. Accarias de Sérionne, si je ne me trompe. Il a été anciennement avocat, ensuite commerçant, ensuite banqueroutier, ce qui lui a fait quitter le royaume. Depuis, il a fait la Gazette du commerce à Bruxelles, et aujourd’hui il est retiré en Hollande. On vient de faire un petit extrait de son ouvrage dans une brochure intitulée l’Intérêt public. Cet extrait, qu’on dit de M. le marquis de Puységur, ne roule que sur deux objets. La première partie est destinée à montrer les véritables effets du taux de l’argent dans un pays, et à examiner s’il serait avantageux pour la France que l’intérêt de l’argent y fût à trois pour cent. L’auteur prouve assez bien que ce serait le moment de la décadence totale des manufactures. Dans la dernière partie on examine et l’on prouve la légitimité de l’intérêt de l’argent contre l’absurdité de nos lois, prises dans le code des lois romaines et, qui pis est, dans le code juif, deux codes diamétralement opposés à la législation d’un peuple commerçant.

— Il nous vient encore de Hollande un essai sur cette question : Quand et comment l’Amérique a-t-elle été peuplée d’hommes et d’animaux ? Par M. E. B. d’E…[2] ; cinq volumes in-12 fort ennuyeux. L’auteur, qui est Suisse, mais dont je ne sais pas le nom, se perd dans des discussions sans nombre. Moi, sans avoir besoin de tous ces raisonnements ennuyeux et de tout son mauvais style, je lui dirai bien comment l’Amérique a été peuplée. En deux mots : comme le reste. Ce mauvais ouvrage a d’abord été toléré, et ensuite défendu ici, parce que l’auteur ne veut pas admettre le déluge en Amérique comme dans l’ancien continent. La Sorbonne ne veut pas seulement que tout le monde soit damné éternellement ; elle veut aussi que tout le monde ait été jadis noyé. Rien n’est plus digne de la douceur ordinaire de ce corps charitable. L’auteur, qui est tout noyé pour moi, a dédié son ouvrage au prince Louis de Wurtemberg, qui vit en particulier et en philosophe à Lausanne.

— Le Voyage de Robertson aux terres australes, traduit sur le manuscrit anglais. Volume in-12 de près de cinq cents pages. C’est encore un présent qui nous vient de pays étranger. C’est un roman politique qui nous représente une espèce d’utopie ou de gouvernement idéal. Tout cela est à pleurer d’ennui. On a fait un assez plaisant carton à ce roman. Il y avait, dans la feuille qui commence page 145, une satire assez forte des parlements qui embarrassent les vues du gouvernement par leurs continuelles remontrances. On n’a pas imprimé cette feuille, et on lui en a substitué une autre qui contient une sortie contre les philosophes et contre ce qu’on appelle encyclopédistes en France. Il est vrai que cette philippique ne va pas avec le reste de l’ouvrage, où tout le bien qui arrive au peuple chimérique que l’auteur dépeint est opéré par les philosophes ; mais, à la faveur de cette incartade, l’ouvrage a eu la permission de se débiter, et l’on s’est peu soucié de savoir si le reste tenait ou non. Je plains ceux qui profitent de la permission de lire ce voyage imaginaire avec ou sans carton.

— Les Variétés d’un philosophe provincial, par M. Ch… le jeune[3], en deux parties in-12, consistent en réflexions morales, en observations critiques, portraits, caractères, allégories, fables, etc. Ce philosophe a tout varié dans ces deux petites parties, excepté la platitude et l’ennui, qui sont partout les mêmes. Ses réflexions religieuses méritent le bonnet carré de Sorbonne, et à son ton on juge qu’il a très-bien fait de se décorer du titre de provincial.

Examen des faits qui servent de fondement à la religion chrétienne, précédé d’un court traité contre les athées, les matérialistes, les fatalistes, par M. l’abbé François. Trois volumes. in-12. Il en est de la théologie comme de la médecine. Depuis qu’on saigne et qu’on purge, il n’y a pas moins de malades. On écrit tous les jours contre les incrédules, et le nombre des incrédules augmente toujours. En se faisant apôtre de Sorbonne on est un peu bafoué, mais on attrape du moins un bon bénéfice ; c’est ce que je souhaite à l’apôtre François. Dans l’apostolat philosophique, il n’y a jusqu’à présent que de la gloire et des coups à gagner.

— On vient de publier un Magasin énigmatique, contenant un grand nombre d’énigmes choisies entre celles qui ont paru depuis un siècle. Volume de quatre cents pages, avec la table des mots à la fin. Voilà le Mercure de France impitoyablement mis à contribution pour une denrée dont il avait conservé le débit exclusif.

— Mon parti serait tout pris sur le Traité des affections vaporeuses, par M. Pomme, dont il paraît la troisième édition. Ce n’est pas qu’on n’y trouve de bons principes, de bonnes vues et de la science ; mais M. Pomme, à qui l’on veut absolument faire une réputation à Paris depuis six mois, est trop systématique pour ne pas donner souvent à gauche. Il n’en est pas des systèmes en médecine comme des systèmes en physique. La nature ne va ni plus ni moins, malgré le radotage des philosophes sur les lois ; mais le médecin opère en conséquence de son radotage, et le malade en est la victime. Ce n’est pas l’instruction qui manque à nos médecins, c’est la fureur des systèmes qu’ils ont de trop, et l’on trouve aujourd’hui en général cent hommes instruits contre une bonne tête. Ce que M. Pomme dit de l’usage pernicieux des boissons chaudes et des relâchants dans les affections nerveuses est approuvé par les plus grands médecins de l’Europe. Dans ces maladies, il s’agit presque toujours de donner du ton et du ressort à des cordes trop relâchées, et la glace et les bains froids sont deux grands remèdes en médecine.

Le Parfait Bouvier, ou Instruction concernant la connaissance des bœufs et des vaches, leur âge, maladies et symptômes, avec les remèdes les plus expérimentés propres à les guérir. On y a joint deux petits traités sur les moutons et les porcs, ainsi que plusieurs nouveaux remèdes expérimentés sur les chevaux, par M. Boutrolle. Brochure in-12 de soixante‑treize pages. Dans ce siècle philosophique, on écrit sur tout, et bientôt un bon fermier de campagne ne pourra se dispenser d’avoir à côté de ses étables et de ses toits à porcs une bibliothèque à l’usage de ses valets, garçons vachers et filles de basse-cour. M. Boutrolle prétend aux honneurs d’auteur classique des étables.

Le Citoyen désintéressé, ou Vues pratiques concernant les embellissements et établissements utiles à la ville de Paris, analogues aux travaux publics qui se font dans cette capitale, et qui peuvent être adaptés aux principales villes du royaume, avec les moyens d’économie et de finances. Par Dussaussoy. Première partie in-8o ornée de plans et de figures. Je souhaite à ce citoyen autant de génie, de goût et de lumières, qu’il a de zèle et de désintéressement.


15 mars 1767.

S’il est si difficile de définir au juste le caractère d’un seul homme, quelle difficulté, dira-t-on, ne doit-il pas y avoir à définir celui de tout un peuple ? Au risque de soutenir un paradoxe, j’avouerai que de ces deux problèmes je ne sais pas encore quel est le plus difficile à résoudre. Dans un seul homme il y a des nuances si fines, si délicates, si personnelles, qu’il faut peut-être avoir encore plus de sagacité pour les saisir, et pour remarquer ce que tous les habitants du même climat peuvent avoir de commun et ce qui les distingue foncièrement de leurs voisins. Les mêmes traits souvent répétés sont plus faciles à noter que ceux qui sont uniques dans leur genre, et qui ne peuvent souvent être aperçus qu’une seule fois. Le caractère de l’individu ne se peint que par des actions, qui varient à chaque instant et qui se cachent même le plus souvent sous l’ombre du mystère. Le caractère général d’une nation est nécessairement à découvert, il s’imprime dans des monuments exposés continuellement sous nos yeux ; nous pouvons l’étudier dans la nature de sa langue, de son gouvernement, de ses coutumes, de ses usages, de ses manières, de ses arts, de son climat. Je sens que cette étude est plus longue, plus étendue, mais je la crois aussi plus sûre, je dirais presque moins impossible que la connaissance particulière des hommes. Il n’en a pas plus coûté à Tacite de peindre les Germains, les Anglais, les Juifs, qu’il ne lui en a coûté de peindre Séjan, Tibère, Agricola.

Pourquoi trouvons-nous donc si peu de justesse et de vérité dans la plupart des relations de nos voyageurs ? C’est que la plupart de nos voyageurs n’ont eu ni assez de philosophie, ni assez de connaissances pour embrasser les objets qu’ils voulaient nous faire connaître ; c’est que la plupart ont porté dans leurs recherches un esprit de système et de parti qui ne leur a permis de voir que ce qui convenait à leur but particulier ; c’est qu’ils ont cherché à être amusants, au lieu d’être vrais, et que rarement ils ont donné à leur travail le temps nécessaire pour l’exécuter avec succès. Parmi les modernes qui ont travaillé dans ce genre, on ne peut guère citer que Chardin et Muralt ; encore ce dernier a-t-il vu avec plus d’esprit que d’impartialité. On sent, comme dit Rousseau, combien il hait les Français, jusque dans les éloges qu’il leur donne.

Pour bien juger le caractère d’un pays, vaut-il mieux lui être étranger, ou en être citoyen ? Il semble d’abord qu’un homme élevé au milieu de ses compatriotes, en supposant toutes les autres conditions égales, peut parvenir plus facilement à les connaître que ne le pourrait un étranger ; cependant n’y a-t-il pas aussi quelques rapports qui rendent le point de vue où se trouve l’étranger plus favorable ? Pour bien observer, il faut éviter également les faux jours de la surprise et ceux de l’habitude. Nous passons trop légèrement sur les objets qui nous sont familiers, nous sommes trop étonnés de ceux qui nous sont absolument nouveaux. Dans le premier cas, nos observations risquent d’être plates et communes ; dans le second, il est à craindre que nous ne nous laissions séduire par une fausse apparence de merveilleux.

Pour faire donc une relation aussi intéressante qu’instructive, un voyageur devrait, ce me semble, commencer par noter soigneusement toutes les singularités qui l’ont frappé au premier coup d’œil, mais ne se permettre d’en rendre compte qu’après avoir approfondi la langue, la religion, la constitution politique, les mœurs, les usages et le ton du pays qu’il veut observer.

Ce qui rend sans doute aujourd’hui la connaissance des différents peuples de l’Europe si difficile, c’est que l’on peut dire à peu près des nations entières ce qu’on a dit si souvent des hommes qui composent une même société. Tout s’est confondu, tout se ressemble ; les mœurs, la politique, la philosophie, ont fait à peu près les mêmes progrès dans tous les États de l’Europe. Il y a un système commun à tous. L’esprit dominant des grandes capitales, le goût des voyages, celui des lettres, et surtout le commerce, ont formé pour ainsi dire de tous les peuples de l’Europe un seul peuple. Hérodote trouverait aujourd’hui, dans toute cette partie du monde, moins de caractères, moins de variétés, que dans l’étendue bornée des pays qu’embrasse son Histoire.

Rien de plus vrai en général ; cependant l’on se tromperait beaucoup de croire que toutes les circonstances qui ont pu rapprocher tant de nations aient absolument effacé leur caractère original : elles en ont seulement altéré quelques traits, et si, sous l’apparence qui le cache, il est plus difficile à saisir, il n’en existe pas moins. Plus la société s’étend, plus l’homme, sans doute, se dénature, mais il ne saurait changer entièrement son être. Semblable à Protée, il devient susceptible de mille formes différentes. C’est au coup d’œil du génie à le fixer sous celle qui lui est propre. L’Italie même, malgré toutes les révolutions qu’elle éprouva sous l’empire des barbares, sous le joug humiliant du despotisme religieux, et durant les longues guerres de la France et de l’Empire, n’a-t-elle pas conservé longtemps cet esprit d’indépendance et d’ambition qui fit sa gloire dans les jours heureux de la république ?

Le défaut de nos vues en morale, en politique, en philosophie, est d’être toujours ou trop générales, ou trop minutieuses ; mais s’il m’est permis de dire ce que je pense sur un sujet sans doute fort au-dessus de ma portée, je crois remarquer une différence sensible entre la manière dont on pouvait étudier les nations anciennes, et celle dont il faut étudier les nations modernes. Pour connaître les Grecs, les Romains et les anciens habitants des Gaules et de la Germanie, c’était beaucoup d’avoir acquis la connaissance de leurs lois, de leurs coutumes et de leur religion. On nous connaîtrait fort mal aujourd’hui si l’on ne nous connaissait que par ces relations-là. Nos lois, nos coutumes, notre religion, nous sont devenues presque absolument étrangères. Nos mœurs et notre philosophie ont du moins affaibli beaucoup l’influence qu’elles devraient avoir naturellement sur notre manière de penser et de sentir, et l’on en jugerait bien mieux par l’esprit de notre théâtre, par le goût de nos romans, par le ton de nos sociétés, par nos petits contes et par nos bons mots, que par nos lois, notre culte et les principes de notre gouvernement.

J’imagine qu’on ferait un ouvrage fort curieux en rassemblant sous certains titres les expressions proverbiales, les bons mots les plus caractéristiques de chaque nation. Est-il possible de ne pas reconnaître l’orgueil espagnol dans l’Almenos du Page, dont son maître avait la bonté de dire qu’il était aussi noble que le roi ? Qui ne voit l’indifférence et la morgue philosophique d’un Anglais, dans la repartie du fameux Wilkes à un poëte français qui, voulant réciter un poëme contre la fierté de ces insulaires, ne put jamais se rappeler que ce premier vers :

Ô barbares Anglais, dont les sanglants couteaux…


« Eh monsieur, rien n’est plus aisé à finir :

Coupent la tête aux rois et la queue aux chevaux ! »


Le mot de Mme de Tallard, qui ne voulait pas qu’on portât des jupons bordés de tresses d’or ou d’argent, parce que cela ne servait, disait-elle, qu’à écorcher le menton ; ce mot si fou ne peint-il pas toute la pétulance française ? Je ne cite que les premiers traits qui s’offrent à ma mémoire ; il en est mille autres qui ont plus de saillie, plus d’originalité, et surtout plus de vérité locale.

Nous avons cherché dans notre littérature à imiter tantôt les Espagnols, tantôt les Italiens, tantôt les Anglais, ils nous ont imités à leur tour : cependant ne les reconnaît-on pas tous, jusque dans leurs imitations, à des nuances très-marquées ? L’Espagnol n’a-t-il pas essentiellement l’esprit ingénieux que doivent produire la chaleur du climat et l’austère contrainte des mœurs publiques ? l’Italien, celui qui tient à des sens délicats et à une imagination brillante et voluptueuse ? l’Anglais, celui de la mélancolie et d’une méditation profonde ? Et ce qui distingue particulièrement nos écrivains français, n’est-ce pas cet esprit facile et léger que donnent l’usage et le goût de la société ?

— Il paraît deux nouveaux volumes pour servir de suite à l’Histoire de la vie du grand Condé, par M. Désormeaux[4]. Cet ouvrage n’a eu aucun succès. L’histoire de la maison de Montmorency, que l’auteur avait écrite auparavant, avait fait du moins quelque légère sensation ; mais celle du grand Condé a été aussitôt oubliée que blâmée.

M. l’abbé Laugier, ex-jésuite, vient d’achever son Histoire de la République de Venise, dont on distribue actuellement les trois derniers volumes. C’est encore un ouvrage qui n’a pas fait la moindre sensation, quoique l’auteur s’en occupe depuis nombre d’années. M. l’abbé Laugier a écrit sur l’architecture différents essais qui ont eu beaucoup de succès.

L’Homme d’État, par Nicolo Donato, ouvrage traduit de l’italien, avec un grand nombre d’additions considérables extraites des auteurs les plus célèbres qui ont écrit sur les matières politiques. Trois gros volumes in-12. Les additions, compilées des différents auteurs, regardent le luxe, le commerce et d’autres objets à la mode. L’Homme d’État de Nicolo Donato est un recueil de lieux communs qu’on ne saurait lire. Cela aurait eu quelque réputation, il y a cinquante ou soixante ans ; mais aujourd’hui nous sommes à mille lieues par delà.

— On a aussi traduit de l’italien, de M. Charles Denina, professeur d’éloquence et de belles-lettres, au collége royal de Turin, un Tableau des révolutions de la littérature ancienne et moderne. Volume in-12, qui n’a pas fait la moindre sensation.

M. l’abbé de Longchamps a aussi publié une compilation intitulée Tableau historique des gens de lettres, ou Abrégé chronologique et critique de l’histoire de la littérature française dans ses diverses révolutions, depuis son origine jusqu’au dix‑huitième siècle. Deux volumes qui seront suivis de plusieurs autres, mais dont ni les présents ni les futurs ne seront lus de personne.

Géographie universelle à l’usage des colléges, par M. Robert, professeur au collége de Châlon-sur-Saône. Deux gros volumes. Dieu bénisse M. Robert Covelle, citoyen de Genève, et nous préserve des compilations de M. Robert, professeur de Châlon !

ver de m. le marquis de vilette
à un anonyme qui lui avait adressé des vers
sur la querelle avec m. de lauraguais[5].

Monsieur l’anonyme badin,
On ne peut avec plus d’adresse,
De gaîté, de délicatesse,
Dire du mal de son prochain.
Votre muse aimable et légère
M’égratigne si doucement
Qu’il faudrait être fou vraiment
Pour aller se mettre en colère.
Recevez-en mon compliment.
Mais pourquoi votre esprit caustique,
Sur moi s’égayant sans façon,
M’accuse-t-il d’être hérétique
Au vrai culte de Cupidon ?
Avez-vous consulté Sophie,
Vous qui m’imputez ce péché ?
Vous sauriez que de l’hérésie
Je suis un peu moins entiché.
Charmé de cet air de tendresse,
Qui des amants flatte l’espoir,
J’ai souhaité voir la princesse
Passer du théâtre au boudoir.
Sur les tréteaux reine imposante,
Elle est ce qu’elle représente :
Mais on revient au naturel :
Chez elle libre, impertinente,
La princesse est femme galante,
Gentil ornement de bordel.
Oui, oui, la reine Marguerite
L’eût aimée autant que ses yeux ;
Elle en eût fait sa favorite ;
On doit ses contes amoureux
À son penchant pour la saillie ;
Elle aimait les propos joyeux ;
Les plus gros lui plaisaient le mieux :

Elle pensait comme Sophie.
Mais avec l’ardeur de Vénus
Elle a l’embonpoint de l’Envie.
Je cherche un sein, des globes nus,
Une cuisse bien arrondie,
Quelques attraits… soins superflus !
Avec une telle momie,
Si j’ai pourtant sacrifié
Au dieu qui de Paphos est maître,
Me voilà bien justifié,
Ou je ne pourrai jamais l’être.




  1. Sa femme et sa belle-mère.
  2. Samuel Engel, bailli d’Echalens.
  3. L’abbé Chambon de Pontalier, ex-jésuite.
  4. Voir plus haut, p. 47.
  5. Cette querelle, dont Grimm n’a point parlé, est contée tout au long par Bachaumont (17, 21 et 22 août 1766) ; elle se termina par une réconciliation, mais aussi par la condamnation des deux adversaires à une détention de six semaines que leur infligea le tribunal des maréchaux de France.