Correspondance inédite du marquis de Sade/An 2

Texte établi par Paul BourdinLibrairie de France (p. 343-352).
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AN II


M. de Sade est à Vincennes, chez un ami. Sa nouvelle adresse à Paris est la suivante : « Au citoyen Sade, homme de lettres, rue de la Ferme-des-Mathurins, no 871, Chaussée d’Antin. »

Il envoie des procurations pour vendre en Provence quarante mille livres de bien représentant le prix de la maison qu’il a acquise à terme, rue de Miromesnil. La vente portera de préférence sur le petit domaine de la Grand’Bastide, à Saumane, qui est insinué au nom de Gaufridy.

Mais celui-ci, dont la timidité est malchanceuse, se trouve compromis, avec un de ses fils, « dans l’affaire de Marseille ». M. de Sade s’étonne de la constance que montre son ami à se mettre dans de mauvais cas. L’avocat ne veut pas comprendre que la république est comme les filles et qu’on peut tout se permettre avec elle pourvu qu’on se dise de ses amis. C’est ce dont le marquis ne se fait pas faute. Il vient de déclarer ses revenus et ils ne dépassent pas, à l’en croire, deux cents livres par an, toutes charges déduites ! Au nombre de celles-ci figurent la rente de quatre mille francs dont il n’a jamais donné un sou à madame de Sade et une prétendue pension à la citoyenne Quesnet « sa fille adoptive et naturelle ».

M. de Sade, qui ne craint pas de soumettre au visa des municipalités cette étonnante déclaration, s’indigne, par contre, que son ancien régisseur Fage refuse de lui délivrer, dans les termes qu’il a donnés lui-même, un certificat constatant qu’il ne doit plus rien au comédien Bourdais. Ce Fage est un agent des Montreuil, comme au temps où il venait pour l’arrêter à la Coste, à la tête de la maréchaussée.

Le ministre pressé par le citoyen Sade va se mettre à l’affaire du pillage.

M. de Murs décline. Le marquis espère que Gaufridy ne négligera rien pour avoir la succession.

Au fait il en a grand besoin, et les comptes de fermiers qu’arrête son régisseur ne l’enrichiront pas. Tout est mangé par avance et au delà. Audibert, de la Coste, est toujours créancier. Lions prétend qu’il a dû acquitter les impôts arriérés de 1791 et 1792, mais c’est un pur mensonge. Ce Lions est aussi gredin que son frère, lequel n’a point donné l’argent de la dernière récolte qu’il a faite et se refuse toujours à prendre à son compte la traite Boulouvard. M. de Sade reconnaît, il est vrai, dans une autre lettre, que Lions puîné se comporte assez bien. Mais ce n’est que l’opinion d’un instant : on est honnête quand on lui envoie de l’argent, suspect quand on le fait attendre et fripon dans tous les autres cas.

Un décret qui doit être présenté à la Convention et qui prescrit la mise sous séquestre des biens appartenant aux parents d’émigrés donne les trois sueurs au ci-devant marquis. Il prépare aussitôt une pétition à l’assemblée et offre de faire de nouveaux enfants pour remplacer ceux qui ont trahi la nation. Le projet, qui a été renvoyé au comité de législation, n’est heureusement pas près d’être voté. Mais le comité révolutionnaire d’Apt n’attend pas qu’il le soit pour mettre sous scellés les caisses de meubles que Paulet a fait porter chez l’avocat. M. de Sade se hâte d’envoyer à ses membres une autre pétition où il parle de ce qu’il a enduré sous le ci-devant tyran de la France et de son dévouement à la loi, tout en les suppliant d’attendre qu’elle soit en vigueur pour exiger de lui ce qu’il donnera alors sans se plaindre et, s’il le faut, avec son sang. Il joint à cette lettre le catalogue de son portefeuille civique où le district n’aura qu’à faire choix des pièces qu’il lui plaira demander. Il faut, de toutes façons, prévenir un séquestre qui le réduirait à l’aumône et dont la seule menace paralyse les ventes qu’il veut faire. Il envoie des exemplaires de sa première pétition à tous ses agents, mais leur demande de prendre bien garde de réveiller le chat qui dort, c’est-à-dire de faire songer qu’il figure lui-même comme émigré sur la liste des Bouches-du-Rhône. Lions se montre fort honnête ; Quinquin l’envoie « f… f… » et il y a un peu de louche dans les réponses de l’avocat.

On sent que quelque chose a diminué la confiance, ou éveillé la crainte, ou provoqué l’impertinence de ceux qui ont affaire au marquis. Gaufridy l’a prié de faire passer ses lettres par une main tierce et les municipaux de la Coste lui ont fait une injure sensible en s’abstenant de lire ses discours patriotiques, bien qu’ils aient été approuvés par la Convention. Sans doute sait-on en Provence ce que M. de Sade se garde de dire ; il a été arrêté et se trouve de nouveau sous les verrous, où il reste pendant trois cent douze jours, depuis le quinze frimaire, an II, jusqu’au vingt-quatre vendémiaire, an III. Il prétend être à la campagne et donne successivement deux adresses où on peut lui écrire : la première est celle du citoyen Renelle, rue de la Poterie, no 26, section des Arcis, la seconde celle de la citoyenne Quesnet, rue de la Ferme-des-Mathurins, no 871, c’est-à-dire celle de la maison où il habitait au moment de son arrestation. Toutes deux montrent que son amie, née Constance Renelle, reçoit les lettres qu’on lui envoie. C’est d’ailleurs à elle qu’il va se déclarer redevable de son salut.




Le marquis apprend que Gaufridy aurait pris de nouveau la fuite ; il regrette que l’avocat n’ait pas imité son exemple et fait taire la calomnie en ne bougeant pas. (Sans date).

Toujours des queues, mon cher avocat, en honneur et conscience vous aimez les queues comme une jolie femme. Il ne vous aurait pas été égal de mettre mes cent vingt francs avec les autres assignats, et, connaissant à quel point j’abhorre les queues, il ne vous aurait pas été indifférent de ne pas me faire crier six semaines après mes cent vingt francs……

Je vous remercie de vos conseils sur l’économie. Je les reçois, mon cher avocat, avec la même sensibilité qui les donne, mais croyez que je ne dépense pas trop ; il est impossible de dépenser moins, mais si vous saviez à quel prix tout est dans ce pays-ci, vous en frémiriez. On a fait un décret pour fixer les denrées et les marchands s’en moquent.

Lions d’Arles vient de me donner un coup de foudre ; il m’écrit d’abord que ma récolte est superbe et que mon blé se vendra trente-trois francs. Quatre jours après, il m’écrit qu’un décret oblige les propriétaires à ne vendre que quatorze francs ; et qui me répond qu’avant le décret il ne s’est pas pressé de le vendre trente-trois ? Je crains bien que ce Lions cadet ne vaille pas mieux que l’aîné et d’avoir troqué mon cheval borgne contre un aveugle……

J’interromps ma lettre ici pour en lire une de Quinquin qui me donne une grande inquiétude sur votre compte. Je vous conjure de m’éclaircir et de me calmer sur le champ. Il me mande positivement que, compromis dans l’affaire de Marseille, vous n’êtes plus dans ce pays. Connaissant votre patriotisme, je ne puis ajouter foi en cette ridicule histoire[1]. Mais voilà les propos que font tenir les voyages à la campagne. Au nom de Dieu, retournez dans votre ville et soyez-y tranquille. Alors, la calomnie sera contrainte à se taire sur votre compte. J’ai fait de même ici. Ils ont voulu parler ; je les ai fait taire en me montrant sans cesse et en ne bougeant pas. C’est le seul moyen de convaincre les incrédules. Tirez-moi d’inquiétude, je vous en conjure, sur le champ……


Le citoyen Sade, homme de lettres, envoie à Gaufridy la déclaration de revenus qu’il a faite et lui demande de faire certifier ses chiffres par les municipalités de la Coste, de Mazan, de Saumane et d’Arles.

Déclaration nouvelle, celle que j’ai envoyée dernièrement ne valant rien.

État de mon revenu dont je certifierai les preuves par les certificats des municipalités des lieux où mes campagnes sont situées.

J’ai en fonds de terre dans le département des
Bouches-du-Rhône pour 
         8.000 fr.
de rente.
Mon mobilier, estimé cinq mille francs, est au delà de sa
valeur, rente 
 200 fr.
attendu que je déduis 50 fr. pour l’impôt du cinquième
Total :
8.200 fr.

Sommes à ma décharge :

pour impôt à raison du cinquième sur 8.000 fr 
 1.600 fr.

somme que la loi m’accorde comme citoyen marié 
 1.500 fr.

pension à ma femme par acte passé chez Gibert, notaire 
 4.000 fr.

pension à la citoyenne Quénet, ma fille naturelle et adoptive[2] 
 1.000 fr.

Total :
8.100 fr.

Mon revenu étant de 8.200 francs, il ne me reste donc plus que 100 francs de quitte et net.

Encore ne reçois-je plus rien depuis deux ans, à cause des troubles qui ont toujours régné depuis cette époque dans mon département, et si j’ai reçu, c’est par mes ouvrages et mes emprunts sur mes fonds. Je jure et proteste de la vérité de cette déclaration. Ce 24 brumaire. Sade.

Je vous recommande extrêmement cette affaire-ci ; elle est très pressée, très essentielle, pénible pour vous, je le sais, par les détails qu’elle exige, mais je suis très mal dans mes affaires si vous ne la terminez pas tout de suite. Il faut que les municipalités de la Coste, d’Arles, de Saumane et de Mazan, en certifiant mon revenu, ne m’en composent à elles quatre que pour huit mille francs. Songez que, ma déclaration étant faite, vous me mettriez dans l’embarras si les aveux de ces municipalités allaient me rendre plus riche, et dans le fait le peuvent-elles ?……


Le marquis, mécontent de la déclaration que lui a faite Fage touchant la demande du comédien Bourdais, établit de sa propre main les termes du certificat qu’il attend de lui, et marque à l’avocat de quels moyens on doit user pour écarter toute compétition à la succession de M. de Murs.

Certes, si Fage voulait donner des armes contre moi au comédien Bourdais, il ne pourrait pas envoyer un certificat plus contre moi. Voilà précisément ce que dit Bourdais. « J’ai bien reçu, dit-il, trois cent cinquante-deux livres dix sols, mais c’était un acompte et je demande le reste ». Voici donc, mot à mot, comme doit être construit le certificat de Fage :

« Je certifie avoir payé au nommé Bourdais, pour lors gagiste de la comédie de Marseille, la somme de trois cent cinquante-deux livres dix sols, pour solde de tout compte et parfait paiement des appointements qui lui avaient été accordés pour jouer la comédie au village de la Coste près Apt. En foi de quoi le dit Bourdais a délivré sa quittance et a témoigné être parfaitement content du citoyen Sade contre lequel, le dit paiement fait, Bourdais ne peut plus avoir rien à réclamer. Je déclare en outre que c’est le dix juillet 1772 que le paiement a été fait au citoyen Bourdais.

Signé : Fage, et daté du jour où il le fera…… ».

Nous allons obtenir du ministre la permission de poursuivre mes ravageurs costains ; vous l’aurez dans ma première avec la copie du bail de Saumane que vous me demandez. Je suis fort aise que vous ayez reçu des nouvelles satisfaisantes de votre fils. J’aurais été bien fâché qu’il fût dans Toulon. Ne négligez pas[3]…… Éclaircissez tout de suite cette affaire, je vous en conjure, et mettez-vous en mesure pour qu’aussitôt la mort les scellés ne soient mis qu’en mon nom. Vous sentez de quelle importance cela est pour moi. Mettez bien la gouvernante dans mes intérêts. Je vous embrasse de tout mon cœur. Ce premier décembre.

Une réflexion me fait rouvrir ma lettre, en vertu de la loi que voici :

À l’égard des successions échues aux émigrés en ligne directe et collatérale depuis leur émigration et de celles qui leur écherront[4] par la suite, elles seront recueillies par la république pendant cinquante années à compter du jour de la promulgation de la présente loi sans que, pendant le dit temps, les cohéritiers puissent opposer la mort naturelle des dits émigrés.

Voilà la loi. Si vous voulez que j’aie cette succession, il faut donc que M. de Murs me fasse son héritier de son vivant ; il faut donc mettre les Chabrillan dans l’oubli et ne les faire tenir que le second rang. Il faut qu’on puisse dire : « Sade était plus près que Chabrillan. Or Sade n’a point émigré, donc le bien est à lui ». Sans cela, je n’aurai rien. Au nom de Dieu, surveillez cette affaire ! Elle est assez importante pour ne pas la négliger ; je vous demande avec la plus vive instance de ne la pas perdre de vue et vous embrasse de tout mon cœur. Je vais écrire à madame de Villeneuve qui me paraît toute Quinquin et qui ne m’écrit plus, pas plus que son conseil.

Frimaire. Mettez « citoyen » dans vos lettres. Si on les ouvrait, cela suffirait à faire suspecter et ni vous ni moi ne sommes faits pour l’être.


M. de Sade communique à l’avocat, pour qu’il en use préventivement, le texte d’une pétition qu’il se propose d’envoyer « aux législateurs de la Convention » afin d’échapper aux mesures projetées contre les parents d’émigrés.

Législateurs,

Un décret rigoureux s’exécute. Il est nécessaire, dès que vous le croyez propre au bonheur et à la prospérité de la république. Il est juste, dès qu’un amendement en calme la rigueur. Pour punir les parents des émigrés vous voulez mettre leur bien en séquestre, voilà la loi. Vous voulez bien excepter ceux de ces parents qui se sont visiblement opposés à ce crime national, voilà l’exception.

Cette exception, je la réclame et j’ose vous représenter, législateurs, que personne n’est plus dans le cas d’y prétendre que moi.

Dix ans victime du despotisme ministériel, j’étais encore à la Bastille le trois juillet 1789. J’y popularisais la garnison ; j’y dévoilais aux habitants de Paris les atrocités qui se préparaient contre eux dans ce château. Launay me crut dangereux ; je possède la lettre par laquelle il sollicitait le ministre Villedeuil de m’éloigner d’une forteresse dont je voulais empêcher la trahison à tel prix que ce pût être. On m’enlève ; je suis transféré à Charenton ; j’y reste neuf mois de plus que l’époque qui brise les fers de tous les prisonniers d’état. J’ignorais tout. On ne peut plus enfin me cacher la révolution ; je suis libre. Un seul mouvement m’anime alors, celui de la reconnaissance. Je veux aller offrir à la patrie qui brise mes fers mon sang, celui de mes enfants. J’en avais deux à lui donner. Je ne les connaissais pas ; leur enfance s’était écoulée dans Paris, lorsque j’habitais ma province, leur jeunesse au service pendant que j’étais à la Bastille. Je les appelle… je les excite à partager ma reconnaissance. Vaines clameurs… désespoir horrible ! Les monstres… ils m’ont fui ; ils ont refusé de connaître leur père ; ils se sont soustraits aux mouvements de leur reconnaissance ! Législateurs, tous ces faits sont de notoriété publique ; j’offre des preuves invincibles pour vous convaincre de tous. Dans cet état de cause, puis-je être responsable de leur crime ? Puis-je l’avoir conseillé, puisque je n’ai jamais vu ceux qui l’ont commis ?

De nouvelles preuves vous convaincront, législateurs, que j’ai fait l’impossible pour les solliciter au retour et que de mes jours je ne leur ai fait passer aucun fonds. Prononcez, législateurs. Puis-je ne pas être dans le cas de l’exception de la loi ? Puis-je ne pas être écouté quand je vous supplie de me conserver un bien que je ne veux employer qu’à former des nœuds qui, brisant les anciens, puissent donner bientôt l’existence à des enfants dont l’éducation et les sentiments me consolent de tous les malheurs dont m’ont accablé les premiers ! Sade.


Le marquis n’a pas obtenu ce qu’il voulait de la complaisance de Fage et de celle des municipalités du Comtat et de Provence ; celle de la Coste lui a fait l’affront de ne pas lire ses discours patriotiques. (22 Nivôse).

Quoique encore à la campagne pour quelques jours[5], mon cher avocat, vous n’en recevrez pas moins ma lettre timbrée de Paris. Je suis bien fâché que cette petite absence me prive du plaisir de faire politesse à la personne que vous m’avez adressée. Si cette personne est encore à Paris à mon retour, je m’empresserai de l’aller chercher. Je connaissais la difficulté de la demande que je vous faisais, mais il me semble que vous ne vous en écartez pas trop puisque l’état de la Coste, que je voulais voir à deux mille, n’est porté dans ce que vous m’envoyez qu’à deux mille deux cent quatre-vingt-seize. Il me semble qu’après avoir écrit et signé que la Coste ne me rapportait que deux mille, je ne serai pas très en défaut en montrant des titres qui prouvent que je n’en retire que deux mille deux cent quatre-vingt-seize. Mais, en lisant cet article de votre lettre avec attention, on y trouve un peu de louche. Est-ce le revenu qui monte à deux mille deux cent quatre-vingt-seize, ou les impositions ? Je vous en demande pardon, mon cher avocat, mais l’article de votre lettre sur cela n’est point du tout clair. Si c’est le revenu, je suis en règle ; sinon il s’en faut de beaucoup que j’y sois. Je vous prie d’éclaircir cela tout de suite. Mazan a fait ce que je désirais ; son revenu est attesté à deux mille livres par la municipalité. J’ai l’attestation. Arles n’a pas voulu s’y mettre. Lions n’a pu rien obtenir et ils ont porté le revenu à six mille. Le refus des gens de Saumane est incompréhensible ; il est pourtant certain que ce bien-là me rapporte excessivement peu……

Fage vous a donné un billet ridicule. Je ne l’ai jamais soupçonné de se mêler de comédie ; mais, sans se mêler de comédie, il pouvait bien attester la vérité, laquelle est qu’il a payé le comédien Bourdais pour solde de tout compte.

Le comédien Bourdais est une mouche cantharide des Montreuil, et Fage, en le soutenant, prouve qu’il est encore tout aussi Montreuil que quand il venait pour m’arrêter à la Coste, à la tête des brigands ministériels. Voilà toute la réponse que mérite son spirituel billet.

Si je voulais faire beaucoup de tort à la municipalité de la Coste, je dénoncerais son insouciance à lire les discours patriotiques que je lui ai envoyés, mais je méprise trop les meneurs de cette contrée pour leur nuire. Qu’ils sachent seulement que ces discours avaient eu l’approbation de la Convention et qu’ils devaient, d’après cela, se faire un devoir de les lire……


Le marquis prend l’avocat dans un dilemme. (12 pluviôse).

Il y a, mon cher citoyen, une contradiction formelle dans vos deux dernières qui m’inquiète et me tracasse beaucoup, et je vous prie de m’éclaircir cela le plus tôt possible. Vous me dites dans votre lettre du dix sept nivôse que vous avez reçu une lettre et ma pétition ; au bas de cette même lettre vous mettez : « Vous m’avez envoyé un mémoire concernant la Coste que je n’ai pas reçu et je ne puis me charger de cette affaire. »

Ensuite, dans votre lettre du trente nivôse, vous me dites que l’on a supprimé mon mémoire, que cette suppression a instruit le comité et qu’en conséquence il a mis le scellé sur des effets à moi transportés chez vous. Il m’est absolument impossible d’entendre rien à ce grimoire-là. Si, comme le dit votre lettre du dix-sept, vous avez reçu ma pétition, comment se peut-il qu’elle se trouve supprimée. Ou elle est reçue, ou elle est supprimée. Si elle est reçue, pourquoi me dites-vous dans la lettre du trente : « Elle est supprimée », et si elle est supprimée, pourquoi me dites-vous dans votre lettre du dix-sept : « Elle est reçue ». Il m’est absolument impossible de rien entendre à cela. Quoi qu’il en soit, je m’en tiens, jusqu’à votre explication, à l’édition de la suppression puisqu’il s’en est ensuivi un scellé, et dans ce cas, voici une lettre pour votre comité que vous adresserez et remettrez, si toutefois vous le trouvez nécessaire……


Le marquis représente aux membres du comité révolutionnaire d’Apt qu’ils se sont un peu trop pressés de saisir ses effets.

Citoyens,

Vous me pardonnerez si je vous représente que je crois que vous vous êtes peut-être un peu trop pressés de mettre le scellé sur des objets m’appartenant chez le citoyen Gaufridy. Rien n’est encore en mouvement sur cet objet dans ces cantons-ci, attendu que la Convention a renvoyé tout ce qui regarde ce projet de séquestre des biens des parents des émigrés aux comités de législation et de salut public pour lui présenter la rédaction du dit décret et le mode d’exécution. Or, ces comités n’ont encore rien dit. Rien absolument n’est fait sur cet article ; il est donc évident, citoyens, que vous avez été trop vite.

Je prouvais d’ailleurs dans le mémoire qui est tombé dans vos mains qu’il était, aussi moralement que physiquement, impossible qu’étant détenu par ordre du ci-devant tyran de la France quand mes enfants ont émigré, qu’il était impossible, dis-je, impossible que j’eusse favorisé ce crime et j’annonçais, dans le même mémoire, les preuves les plus victorieuses du train que j’avais fait quand je l’avais su. Comment se peut-il donc, citoyens, que ce soit précisément ce qui devait me blanchir à vos yeux qui m’y fasse traiter comme coupable ? Il m’est impossible d’arranger cela avec le caractère d’équité dont je sais que votre comité fait profession. Je vous supplie de revenir d’un acte de promptitude qui pourrait me faire tort, et vous en seriez d’autant plus fâchés que vous êtes, je crois, bien convaincus que je ne suis pas coupable et qu’il était impossible que je le fusse. Personne ne respecte la loi comme moi ; exigeât-elle mon sang, je m’ouvrirais moi-même les veines pour le lui offrir, mais une loi quelconque n’a d’action que quand elle est promulguée et celle dont il s’agit ne l’est pas. Je vous prie donc d’attendre la publicité de cette loi pour agir et, lorsque cette publicité rendra ma défense nécessaire, vous verrez en quels termes elle sera faite. Jusque-là je vous demande instamment de suspendre et de me croire fraternellement, citoyens, votre concitoyen. Sade.

Ce 12 pluviôse, l’an 2 de la république.


Le marquis parle pour les oreilles qui sont derrière la porte. « Ce 22 germinal ». (11 avril 1794).

……Je suis vraiment peiné de votre situation, et d’autant plus que, connaissant votre façon de penser, vous ne la méritez certainement pas. Je me rappelle du temps où vous et moi, au coin du feu ou dans nos allées de la Coste, nous désirions, nous prédisions l’heureux changement de gouvernement que nous ont enfin donné nos représentants. Devons-nous donc souffrir sous un ordre de choses tant désiré, tant prédit par nous ? Mais, patience, cher ami ! Nous dépendons de gens trop justes pour qu’ils ne nous rendent pas justice un jour, et soyez bien sûr que nous l’obtiendrons toujours bien plus de ces gens-ci, qui sont nos frères et nos camarades, que nous ne l’aurions eue jadis de la morgue des grands seigneurs et de l’insolence des robins. Pour moi, je l’avoue, j’aime la république par système et par reconnaissance, et je verserai, comme vous, quand elle voudra, mon sang pour la défendre……


Le marquis demande des nouvelles de Gaufridy, de ses affaires et de son argent. Il donne comme étant la sienne l’adresse de la citoyenne Quesnet. (4 messidor).

Je ne comprends plus rien à votre silence, mon cher citoyen…… Je vous prie instamment de vous occuper un peu de ma situation, s’il vous est possible et de m’envoyer mon quartier de mai. Voilà six semaines qu’il est échu et que je n’ai encore reçu à compte du dit quartier que quatre cents francs par le citoyen Lions. Je vous supplie instamment de m’envoyer les deux mille neuf cent trente francs restants, ou, à la fois, les vingt mille francs du prix de la Grand’Bastide de Saumane, ainsi que nous en sommes convenus, au moyen duquel arrangement je vous laisserai deux ans en repos. Il est bien extraordinaire qu’après m’avoir proposé cette affaire qui, disiez-vous, devait se terminer tout de suite, vous m’ayez ensuite laissé dans le plus grand silence et dans la plus grande inquiétude sur cela. Donnez-moi donc de vos nouvelles, je vous en conjure. Je vous en ai dernièrement adressé une par Audibert, je vais essayer celle-ci par[6]…… Mandez-moi aussi si vous avez réussi à faire lever ce séquestre injuste et si vous avez reçu les certificats de résidence. Il est inouï que vous me laissiez dans l’inquiétude sur tout plein d’objets si essentiels. Je n’en puis concevoir la raison. Si par hasard il arrivait que vous voulussiez vous servir d’une adresse autre que celle qui porte mon nom, vous pouvez, quand il vous plaira, employer la suivante : à la citoyenne Quesnet en sa maison, rue de la Ferme-des-Mathurins, no 871, chaussée du Mont-Blanc. Comme je suis en pension chez cette citoyenne et que nous logeons et mangeons ensemble, vos lettres me parviendront sans aucun retard. Adieu, mon cher citoyen, envoyez-moi de l’argent exactement et réponse à celle-ci, je vous conjure, car je suis dans le plus extrême embarras. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Ce 4 messidor.





  1. Voici les indications que je trouve dans le livre de M. Jean Barruol : « La Contre-Révolution en Provence et dans le Comtat » ; elles éclaireront la suite de cette correspondance :
     Un certain nombre d’Aptésiens, parmi lesquels Gaufridy et Fage, se réfugièrent à Toulon après la répression du mouvement fédéraliste et l’entrée de Carteaux à Marseille ; mais, tandis qu’ils y acclamaient Louis XVII et arboraient la cocarde blanche, ils furent reconnus par deux soldats d’Apt, prisonniers, qui les dénoncèrent plusieurs mois après. Ils furent mis en prison et n’échappèrent à la mort qu’en produisant des certificats de résidence délivrés par des municipalités complaisantes. Fage fut, néanmoins, emprisonné une seconde fois avec sa famille. Gaufridy et son fils durent, de leur côté, errer longtemps dans la montagne du Luberon. C’est vraisemblablement dans cette situation qu’ils se trouvaient lorsque Goupilleau et le marquis obtinrent leur grâce au début de l’an III.
  2. En marge : « C’est elle qui tient ma maison et dont je vous ai parlé ». On sait que le marquis a été accusé de vivre avec sa propre fille. Voila, sans doute, l’explication de ce bruit. Il a fait passer Quesnet pour sa fille naturelle dans le dessein de frauder le fisc, et peut-être, après son internement à l’hospice de Charenton, pour faire avoir à sa compagne le libre accès de maison.
  3. Cette partie de la lettre est déchirée. M. de Sade envisage la mort prochaine de M. de Murs, son parent.
  4. « Echoiront », dans le texte.
  5. M. de Sade est en prison depuis le six décembre 1793 ou seize frimaire an II.
  6. Le nom du porteur a été effacé.