Correspondance inédite du marquis de Sade/1782

Texte établi par Paul BourdinLibrairie de France (p. 177-190).
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1782


Le désordre laissé par Gothon ne fait que croître sous la régence de Rousset. La demoiselle gâte et bouleverse tout, selon Gaufridy, et sa famille la suit en tendant les mains. Il semble seulement qu’elle ait usé jusqu’à l’abus, mais c’est en vain qu’elle prétend mener les gens et met en personne la main à la pâte. L’autorité dont elle se pare est un manteau troué qui a déjà fait rire sur d’autres épaules. Les officiers du maître absent et décrédité sont eux-mêmes sans force ; elle rebute tout le monde et les Costains se moquent de ce lieutenant en jupon sans lui pardonner ses allures.

Le seigneur a cessé de payer, depuis plusieurs années, la taxe qu’il doit servir au bureau de bienfaisance et les recteurs prennent maintes délibérations pour constater son manquement, tandis que les pauvres sont couverts de vermine ou meurent de faim. Le village est plein de tumulte ; on vole ; on brûle ; on coupe les arbres du parc ; on tire le gibier du marquis jusque sous ses fenêtres ; son château même n’est pas respecté et des coquines s’y réfugient pendant la nuit.

Le père de Gothon écrit de Suisse pour savoir ce qu’est devenu l’enfant qu’elle a mis au monde dix jours avant sa mort, si c’est le père qui le garde, quel est l’état et le caractère de son gendre, s’il dispose et fait un bon emploi de l’argent que sa fille a dû gagner en dix-huit ans de service. Cette épître huguenote, pleine de retenue et de rigidité un peu froide, est le seul souvenir décent qui ait été accordé aux cendres de la renégate.

Madame de Sade ne se plaint point de son établissement à Sainte-Aure. On y mange peu et mal, mais on n’y est importuné que par un excès de zèle pieux qui, somme toute, laisse l’esprit en paix. Il faut être dévote par conviction ou par hypocrisie : la marquise le devient par entraînement le plus honnêtement du monde.

Ses enfants tournent bien pour le caractère et pour l’instruction. La petite Laure « est colère comme un dindon » et grafigne comme le chat, mais elle tient cela de son père. Elle passe de maladie à santé, d’agitation à torpeur et ne fait rien qui se puisse prévoir ou justifier ou définir.

Madame de Sade a maintenant toutes facilités de voir son mari, mais elle ne peut lui parler sans témoin et se taît plutôt que de dire les choses à moitié. Elle le trouve fort sage et fort posé ; M. le Noir prétend qu’il a toujours ses fureurs, qu’il écrit des horreurs contre tout le monde, qu’il menace. C’est si contraire à ce qu’elle voit qu’elle ne le peut croire. La tête de M. de Sade « est une alternative de bien, de mal » : il s’amenderait sûrement si on voulait lui en fournir l’occasion, et c’est précisément ce que ses persécuteurs redoutent le plus. L’on est bien buté contre lui à Versailles ; M. de Maurepas est très mort et les autres très vivants, mais rien n’est changé.

Il y a, plus que jamais, grande disette d’argent. Madame de Sade a engagé ses boucles pour mille livres ; la présidente retient ce qu’elle lui doit pour payer la pension du captif et se fait même rembourser par sa fille une avance qu’elle lui a faite. Les successions de l’abbé et de la tante Dazy sont toujours achoppées ; à la Coste le vent fait rage et les plafonds s’écroulent ; ce qu’on touche n’est qu’une misère et l’on fatigue les fermiers pour obtenir d’eux des versements avant terme. La marquise ne veut pas recourir au juif, crainte de tout ébruiter, alors que c’est précisément à lui qu’il faut s’adresser pour avoir du secret, au moins jusqu’à l’échéance. Les créanciers pressent. Une dame Brun, de Grenoble, fait écrire, par un procureur, une lettre si forte que son avocat doit s’en excuser : « Vous savez que MM. de cet ordre n’ont pas toujours des expressions délicates ». C’est la vieille querelle de la serviette et du torchon. Madame de Montreuil mûrit peu à peu son projet de faire légalement pourvoir à l’administration des biens de l’absent, qui se refuse toujours à donner un pouvoir à sa femme. Gaufridy, pris entre les réclamations des créanciers, celles de la marquise et les exigences de mademoiselle de Rousset, fait part, non sans aigreur, à celle-ci de l’embarras où on le met. On le laisse nager sans lui montrer la rive !

Il n’a pas besoin d’attendre que les lettres de madame de Sade à Rousset soient tombées entre ses mains, comme elles le feront à la mort de la demoiselle, pour sentir la façon dont il y est traité. On ne le complimente encore que pour le dépouiller un peu plus. La position qu’occupe l’amie de la marquise au château de la Coste, l’affection passionnée et un peu dérisoire qu’elle affiche pour l’avocat sont autant de prétextes employés pour convaincre celui-ci de résigner entre ses mains ce qui lui reste de pouvoirs. Rousset souffle le chaud et le froid. Les deux femmes emploient, dans leur commerce, une écriture chiffrée, d’ailleurs enfantine, qui consiste à reporter à la fin de chaque mot sa lettre initiale. Tout est occasion de mystère et de combinaisons subtiles. La mort du vieux juge Rayolle a fait surgir un troisième compétiteur : l’avocat Ripert, créature de M. de Murs, dont on gagnera, en le nommant, les bonnes grâces, et qui est, au dire de Rousset, un parfait honnête homme. Mais elle ne vante sa probité que pour faire donner la succession du juge défunt à Gaufridy et celle de Gaufridy à Ripert, la parfaite vertu étant incontestablement mieux à sa place dans un emploi où l’on rend des comptes que dans un poste où l’on ne rend que la justice. Bien que l’avocat ne soit plus guère qu’un intendant à ses ordres, la demoiselle sent sa haine et veut consolider sa propre position en se débarrassant de lui, ou simplement en jouir mieux en le diminuant encore. Elle est autorisée à prendre une servante dont elle règlera le sort et les gages, sans toutefois la mettre sur le pied où était Gothon, en faveur de qui on faisait beaucoup « pour raisons que vous savez bien ». Elle reçoit en outre, avec le droit de tout contrôler, les clefs qui ont toujours été refusées à Gaufridy et, notamment, celle de la cassette dont le marquis se montrera encore si préoccupé douze ans plus tard. Mais l’avocat a passé par là, sur l’ordre de madame de Montreuil, et la marquise apprend sans étonnement que le secret du cabinet de monsieur a été violé. Rousset ajoute aux petites vilenies qu’elle prête au régisseur celle qu’elle lui fait ou lui fait faire par madame de Sade. Elle obtient en particulier qu’on substitue son propre nom à celui de Gaufridy sur les volumes du Mercure et l’avocat s’en montre si touché qu’elle essaie de se tirer de cette affaire et de celle des clefs par un long circuit de mensonges, puis par des impertinences.

Cependant la marquise fait paraître un peu d’inquiétude de l’humeur décisionnaire de son amie, parce qu’elle menace de devenir coûteuse. Elle lui en veut aussi de témoigner trop de confiance au curé « car les gens de son état qui ont de certaines finesses ne peuvent être sûrs ».

Cette opinion sur le pasteur répond du reste à celle que madame a de ses ouailles : les Costains sont incapables de bons et de mauvais conseils et n’ont un peu d’esprit que pour le mal.




Mademoiselle de Rousset avise Gaufridy du désordre qui règne dans le village de la Coste et du tapage qui s’y fait. (Le premier de l’an 1782).

……Les jeux, les tapages qui se sont faits la veille de la foire m’ont occasionné un rhume sérieux qui me fatigue beaucoup. Nos locataires vous diront sans doute que l’une des portes de la maison a été enfoncée presque sur ma tête ; j’évitais, par mon adresse, une pierre pesant plus de trente livres qui manqua me couper les deux jambes. Notre procureur juridictionnel ou fiscal, soûl comme un cochon, criait et frappait à grands coups de pierre de la part du roi et mille fois de la part du roi. Je me levais, toute bouillante, de mon lit au bruit intérieur et extérieur. Je crus tous les diables déchaînés dans cette infernale maison. Si nous avions eu une police et que les cavaliers eussent resté, la bastide du pauvre viguier n’aurait pas brûlé. Nous sommes parmi des loups enragés. Tout le monde crie après M. de Sade et M. l’avocat Gaufridy. Si la police ne s’exécute pas, c’est la faute à eux……


La marquise donne des nouvelles de ses enfants à mademoiselle de Rousset ; elle croit que M. de Sade prendrait de bonnes résolutions et les tiendrait si on le rendait à sa femme et à ses amis. (13 janvier 1782).

……À présent, M. le Noir a pris le ton de me dire, toutes les fois que je demande à voir mon mari : « Mon Dieu, madame, très volontiers pour cela ». Vous croyez qu’il n’y a plus qu’à partir de ce mot à l’exécution ; il se passe trois semaines, quelquefois six, le tout pour trouver le moment de faire une signature.

À l’égard de ses terres ou [de] la translation, on est aussi rébarbatif que le premier jour…… Cela me donne un noir, une mélancolie que je ne peux vous dire. Si je ne me surmontais, je pleurerais toute la journée……

La mort de M. de Maurepas n’a apporté aucun changement…… La tête de qui vous savez est une alternative de bien, de mal ; cependant, quand l’on me voit, l’on persiste toujours dans le bien ; c’est, après, les réflexions qui perdent la tête et font écrire des choses qui ne sont réellement pas bien. Il ne veut point sortir du système qu’il s’est formé et cependant il dit que, s’il sortait, il se conduirait bien. Le grand mal est que l’on ne veut pas l’essayer ; moi je pense que réellement l’on craint qu’il ne répare en se conduisant bien. C’est odieux à penser, mais leur conduite le prouve.

Je suis sûre que si vous et moi le tenions pendant huit jours, avant qu’il ait vu personne de ses infâmes Provençaux, vous lui feriez prendre une résolution sage qui attraperait bien du monde ; mais je ne serai pas assez heureuse pour cela.

Mes petits bonshommes vous présentent leurs hommages. Ils tournent bien pour le caractère et leur instruction, leur santé est bonne.

La petite Laure est colère comme un dindon ; sans savoir pourquoi, bat, égratigne comme le chat et est d’une mauvaise santé. Elle a été saignée trois fois dans un jour et n’était point du tout faible le soir. On dit dans la famille : « C’est tout le caractère de son père, etc… »


M. de Sade envoie, sous le nom de « des Aulnets », un abrégé de sa « philosophie » à une correspondante qui est vraisemblablement mademoiselle de Rousset.*

En quelques lieux que vous soyiez, mademoiselle — près ou loin, avec des turcs ou des galiléens, avec des moines ou des comédiens, des geoliers, ou d’honetes gens, des chiffreurs ou des philosophes — toujours est-il que l’amitié ne permet point que je me dispense au renouvellement de cette année des devoirs sacrés qu’elle m’impose — après lesquels suivant l’antique usage je me livrerai sous votre bon plaisir a quelques réflexions épisodiques nées pourtant du fond du sujet.

Si ma situation a des épines, il faut avouer cependant qu’elle suggère souvent des pensées d’un genre de philosophie bien plaisante.

En remontant à l’époque de mes malheurs il me semble quelquefois entendre, ces sept ou huit tignaces poudrées a blanc, à qui je les dois, revenant l’un de coucher avec une honete fille qu’il débauche, celui-ci avec la femme de son ami, cet autre s’échapant tout honteux d’une rue borgne où il serait bien faché qu’on découvrit ce qu’il vient de faire — celui-là — d’un taudis souvent encore bien plus infâme, il me semble dis-je les voir tous chargés de luxure et de crimes, s’atabler autour des pièces de mon procès et là, le chef s’écriant dans l’enthousiasme du patriotisme et de l’amour des loix — comment ventrebleu mes confrères, ....ce petit avorton qui n’est ni président — ni maître au compte — a voulu jouir comme un conseiller de grand chambre ! Ce petit gentilhomme campagnard a voulu s’ingérer à croire qu’il lui étoit permis de nous ressembler, — quoi sans hermine et sans mortier, il s’est fouré dans la cervelle qu’il y avait une nature pour lui, comme pour nous, comme si la nature pouvait être analisée, …violée …bafouée …par d’autres que par les interprètes de ses loix, et comme s’il pouvait y avoir d’autres loix que les nôtres ? de la prison… morbleu… de la prison messieurs, il n’y a que cela dans le monde oui six ou sept ans d’une chambre bien close à ce petit impudent la… ce n’est que là messieurs où l’on apprend à respecter les loix de la société, et le meillieur de tous les remedes pour qui s’est avisé de les enfraindre, est de l’obliger a les maudire. D’ailleurs… il y a une chose ici… Mr de… qui comme vous scavez est en place cela etoit pour lors et n’est plus dieu merci est bien aise de trouver cette occasion la de faire un petit present a sa maîtresse, le pressurage pourra valoir douze ou quinze mil francs, ne balançons pas une minute… mais l’honneur du sujetsa femmeses biensses enfans, eh ! parbleu voilà de belles raisons… est-ce la ce qui doit nous empecher de fléchir devant l’idole du crédit ?… de l’honneur… des femmes… des enfans — n’est ce pas la les victimes que nous immolons tous les jours ?… de la prison messieurs… de la prison vous dis-je, et demain nos cousins, nos frères se feront capitaines de vaisseaux.

Prison soit repond d’une langue empâtée le president Michaut qui vient de faire un somme — prison messieurs, prison dit d’une voix aigrelette le beau Darval griffonant a la sourdine sous son manteau un billet doux à une fille d’opéra, — prison sans contredit, ajoute le pédagogue Damon la tete encor échauffée du dejeuné de la buvette — et qui peut douter de la prison conclut d’un gosier glapissant le petit Valère huché sur la pointe des piés et regardant a sa montre pour ne pas manquer l’heure du rendez-vous de Md Gourdan.

Et voilà donc en France, a quoi tient l’honneur, la vie, la fortune et la réputation du citoyen ?… la bassesse… la flatterie… l’ambition… l’avarice commence sa ruine, et l’imbecilité la finit.

Misérables créatures jettées pour un moment sur la surface de ce petit tas de boue — il est donc dit qu’il faut que la moitié du troupeau soit la persécutrice de l’autre. O homme, esce à toi qu’il appartient de prononcer sur ce qui est bien — ou sur ce qui est mal, c’est bien à un chétif individu de ton espece a vouloir assigner des bornes a la nature — a décider ce qu’elle tolere a annoncer ce quelle défend — toi — aux yeux de qui, la plus futile de ses opérations est encor a résoudre — toi qui ne peut expliquer le plus leger des phénomênes définis moi l’origine des loix du mouvement — de celles de la gravitation — develope moi l’essence de la matierre, est-elle inerte ou non ? — si elle ne se remue pas, dis moi comment la nature qui n’est jamais en repos a pu créer quelque chose qui y soit toujours, et si elle se meut… si elle est la cause certaine et légitime, des générations et des alternations perpétuelles — dis-moi ce que c’est que la vie — et prouve moi ce que c’est que la mort ? dis moi ce que c’est que l’air — raisonne juste sur ses différens effets, apprends moi pourquoi je trouve des coquillages sur le haut des montagnes et des ruines au fond de la mer, toi qui decide si une chose est crime ou si elle ne l’est pas — toi qui fait pendre à Paris pour ce qui vaut des couronnes a Congo, fixe mes opinions sur le cours des astres sur leur suspension — leur atraction, leur mobilité, leur essence, leur periodes — prouve moi Newton plutôt que Descartes, et Copernic plutôt que Ticho-Brahé — explique moi seulement pourquoi une pierre tombe quand elle est lancée de haut — oui rends moi palpable cet effet si simple, et je te pardonnerai dêtre moraliste quand tu seras meilleur phisicien. Tu veux analiser les loix de la nature, et ton cœur …ton cœur ou elle se grave est lui-même une enigme dont tu ne peut donner de solution… tu veux les définir ces loix… et tu ne peut pas me dire comment il se fait, que de petits vaisseaux trop gonflés, renversent à l’instant une tête, et fassent dans la même journée, un scélérat du plus honete des hommes… toi… aussi enfant dans tes sistèmes, que dans tes découvertes… toi qui depuis trois ou quatre mil ans — invente, change retourne argumente, en est pourtant encor a ne nous offrir pour recompense de nos vertus, que l’élisée des grecs, et pour chatiment de nos crimes, que leur fabuleux tartare — toi qui n’est parvenu après tant de raisonemens divers, tant de travaux, tant de poudreux volumes compilés sur cette sublime matierre — qui n’est parvenu dis-je qu’à mettre un esclave de titus a la place d’hercule, et qu’une femme juive a celle de minerve… tu veux approfondir, philosopher sur les egaremens humains tu veux dogmatiser, sur le vice et sur la vertu, tandis qu’il t’est impossible de me repondre ce que c’est que l’un, ou que l’autre, lequel est le plus avantageux a l’homme, lequel convient le mieux a la nature et s’il ne naitrait peut être pas de ce contraste, léquilibre profond qui les rend tous deux necessaires. Tu veux que l’univers entier soit vertueux, et tu ne sens pas que tout périrait a l’instant s’il n’y avait que des vertus sur la terre… tu ne veux pas entendre que puisqu’il faut qu’il y ait des vices, il est aussi injuste à toi de les punir, qu’il le serait de te moquer d’un borgne… et de tes fausses combinaisons… des digues odieuses que tu voudrais imposer a celle qui se moque de toi… quel en est l’affreux résultat… malheureux je frémis de le dire… qu’il faut rouer celui qui se venge de son ennemi, et combler d’honneur, celui qui assasine ceux de son roi, qu’il faut détruire celui qui te vole un écu, et l’accabler de récompenses, toi, qui te croit permis d’exterminer au nom de tes loix celui qui n’a d’autre tort que d’être entraîné par celles de la nature — qui n’a d’autre tort que d’être né, pour le maintien sacré de ses droits — eh ! laisse la tes folles subtilités,… jouis mon ami, jouis et ne juge pas… jouis te dis-je abandonne à la nature le soin de te mouvoir a son gré, et a l’éternel celui de te punir — si tu ne t’est trouvé qu’un infracteur ; — humble fourmi croupée sur cette motte de terre — traine ton fêtu au magasin — fais eclore tes œufs nourris tes petits — aime les — ne leur arrache pas surtout le bandeau de l’erreur — les chimères reçues, (je te l’acorde) valent mieux pour le bonheur que les tristes vérités de la philosophie ; — jouis du flambeau de l’univers — c’est pour eclairer des plaisirs, et non par des sophismes, que sa lumière brille a tes yeux — n’use pas la moitié de ta vie aux moyens de rendre l’autre malheureuse, et après quelqu’années de végétation sous cette forme assez bizarre, quoiqu’en puisse penser ton orgueuil, endors toi, dans le sein de ta mère pour te reveiller bientôt sous un autre conformation, et cela par de nouvelles loix que tu nentends pas mieux que les premières. Songe en un mot que c’est pour rendre heureux tes semblables, pour les soigner, pour les aider, pour les aimer que la nature te place au milieu d’eux, et non pour les juger et les punir et surtout pour les enfermer.

Si ce petit morceau de philosophie peut vous plaire, jaurai la satisfaction mademoiselle, de vous en donner la suite, aux ettrenes prochaines. Si non vou voudrez bien me le faire dire, et nous choisirons quelque sujet plus analogue, a la gaieté de l’esprit d’un sexe, dont vous faites lornement, et dont je fairai gloire dêtre toute ma vie, ainssi que de vous, mademoiselle

le très humble et très obéissant serviteur
Des Aulnets

Du poulailler de Vincennes ce 26 janvier au bout de 59 mois et demi de pressurage et sans succès en vérité.


La dame Doyen de Baudoin, toujours sans nouvelles du marquis, le supplie de lui faire part de son sort. « Nimes, ce 12 février 1782 ».

Mon cher marquis,

Est-il possible qu’après quatre années de recherches, je n’aie pas pu parvenir à savoir ce que vous étiez devenu. L’on m’assure que vous étiez enfermé pour toute votre vie. Si ce malheur ne vous accable pas, daignez m’en faire part tout de suite ; je partagerai avec vous une nouvelle si chère à mon cœur, et me délivrerai des tourments où l’incertitude de votre sort me plonge. Vous ne pouvez pas vous refuser à un sentiment si légitime, dicté par la reconnaissance et le désir de partager vos malheurs ou votre bonheur, dont j’attends la réponse avec instance et suis et serai toute ma vie la plus sincère de vos amies.

Mon cher marquis, votre très humble et très obéissante servante.

Doyen de Baudoin.

La marquise demande à l’avocat de ne pas s’en remettre à mademoiselle de Rousset du soin de lui donner des nouvelles de la Coste… (24 mars 1782).

……Je n’ai point de nouvelles de la Coste ; il y a un temps infini que je n’ai reçu de mademoiselle de Rousset et ne vous fiez pas à elle pour ce que vous voulez que je sache car j’ai beaucoup de ses lettres où elle ne me parle de rien de Provence. Ce sont de jolis bavardages amoureux……


mais elle le prie de se défaire entre les mains de cette bonne amie des « Mercure » qu’on lui envoie.

……Recevez-vous les Mercure exactement, et toutes les années précédentes sont-elles mises en liasses à part pour être remises à M. de Sade quand il les voudra ? Il serait désagréable d’avoir fait un abonnement régulier pour que l’ouvrage ne fût pas complet. Comme vous n’avez pas le temps de faire tout cela, donnez-le à mademoiselle de Rousset, elle le mettra en ordre et cela l’amusera et l’empêchera de s’ennuyer. Du caractère dont vous la connaissez, l’esprit lacostain ne lui est pas d’une grande ressource, et je voudrais bien la conserver dans ce pays-là pour quand j’irai, car je ne puis vous exprimer comme j’aime sa société et combien je regrette qu’elle m’ait quittée. J’espère bientôt voir M. de Sade et ne vous oublirai point auprès de lui. Ce 8 avril 1782……


La marquise partage l’avis de mademoiselle de Rousset sur les Provençaux. M. de Sade désire, comme elle, que la demoiselle accepte un logement au château. (Sans date).

Je viens d’écrire, mademoiselle, à M. le’avocat de vous offrir ma bourse, et je ne doute pas qu’il ne le fasse puisqu’il a eu l’honnêteté de vous offrir la sienne……

Il y a longtemps que je suis de votre avis, l’on est bien malheureux d’avoir des démêlés avec des Provençaux. Qu’appelez-vous : ma lettre lue en plein consistoire ? Avant que de vous la donner, est-ce que Gaufridy l’avait lue devant du monde ? Si cela était, je lui écrirais pour lui signifier que mes lettres ne sont pas faites pour être lues en public. Cela est si singulier que je ne le puis croire et vous prie de me marquer cela très clair.

Or donc, mademoiselle, vous persiflez très bien vos amies. Moi, pauvre créature, écrivant humblement et pensant terre à terre, je m’aperçois cependant très bien quand vous vous divertissez à mes dépens ; mais, bien loin de m’en fâcher, je vous en aimerais davantage s’il était possible que mon attachement pût s’accroître et qu’il ne fût pas déjà depuis du temps à son comble……

J’ai vu la dame du Luxembourg[1], elle m’a dit qu’elle allait demander une permission pour le voir. Qu’est-ce que cela veut dire ?

J’ai vu M. de Sade, à qui j’ai remis votre lettre où il apprend les désastres de la Coste. Il me charge expressément d’employer tous les moyens pour vous engager à accepter un logement à la Coste. Il doit vous en écrire. Il veut que je vous envoie toutes les clefs, vous priant de ne parler à personne que vous les ayez et d’être seule quand vous y entrerez, partout, sans excepter la cachette dont il ne veut point vous parler dans la lettre qu’il doit vous écrire et que je vous ferai passer exactement dès que je l’aurai reçue……


Le marquis sort de sa torpeur et fait prendre, du fond de sa geôle, des mesures de police au garde de la Coste.

Il est ordonné à Cavalier, garde du château de la Coste, d’aller dès l’instant de la réception de cet écrit porter plainte chez le juge d’Apt des menaces à lui faites par le nommé Joseph Sambuc, bourgeois du dit lieu de la Coste et de requérir l’autorité du dit juge pour qu’il lui soit fourni, selon l’usage, une escorte de cavaliers de maréchaussée, avec laquelle il s’embarquera pour saisir et appréhender au corps le dit Joseph Sambuc sitôt qu’il le verra paraître armé sur les terres seigneuriales de la Coste ; faire ensuite traduire par la dite escorte le dit délinquant, contre lequel Cavalier formera sa plainte, et comme braconnier, et comme ayant failli sur le port d’armes aux ordonnances du roi. Indépendamment des profits qui peuvent revenir sur la dite capture au sieur Cavalier garde-chasse, j’enjoins par les présentes à M. Gaufridy, mon agent, de donner dix écus de gratification à Cavalier, sitôt qu’il aura fait capturer le délinquant, pour récompense ; et voulant que le dit Cavalier soit également encouragé par la récompense que contenu par la crainte d’une punition, j’enjoins également par les présentes à M. Gaufridy de destituer et renvoyer du château le garde Cavalier si, d’ici à trois mois, à compter du jour où lui auront été remises les présentes, il n’a pas soutenu les droits de son seigneur et l’honneur de son poste en se vengeant, ainsi que lui permettent les loix, des menaces et insultes à lui faites par ce mauvais sujet nommé Joseph Sambuc que je vais m’occuper de mon côté à faire exiler et chasser de ma terre, comme un perturbateur du repos public.

Le marquis de Sade.

Fait à Paris, ce dix-sept avril 1782.


Mademoiselle de Rousset appelle l’avocat à la rescousse contre les vers et les teignes de son lit. (14 mai 1782).

……Je voudrais que vous vinssiez faire un petit voyage…… Nous arrangerions en même temps le linge que nous avons laissé éparpillé dans cette chambre où nous le mîmes ; ce petit air de désordre n’est pas bien…… J’ai quelques petits projets pour cette chambre, car pour celle où le garde s’est amusé, ou, pour mieux vous le faire entendre, ma chambre, je n’y coucherai du tout plus. Outre les idées peu chastes qu’elle pourrait me communiquer, j’en ai deux autres moins plaisantes qui me feraient trop craindre au premier coup de vent. Bontemps a décidé que tout ce côté de mur ne valait rien. Le lit de plume de ce même lit est plein de vers ou de teignes si singuliers que je n’en ai jamais vu de cette espèce ; ils sont plus longs que la moitié de mon doigt et minces comme un gros fil à coudre……


Mademoiselle de Rousset instruit l’avocat de son démêlé avec le garde et lui annonce, pour le dérider, que le chanoine Vidal, son vieil ennemi, a engrossé sa gouvernante. « Ce dimanche à soir, 30 ou 31 juin 1782 ».

Le bien-être ou le trop de repos, monsieur l’avocat, rendent les domestiques impertinents. Le garde en est un exemple. Je montais au château selon mon usage quand j’ai vu sa maîtresse assise sur sa porte. Je lui ai demandé si elle savait que le garde eût donné aux lapins. « Oui. » C’était sa réponse ordinaire. « Il est singulier qu’à telle heure que je monte, je ne trouve pas vestige d’herbe ; trois heures après que je leur ai cueilli et donné, j’y vois encore des restes, des côtes, des racines ; dites-lui qu’à présent qu’il y a des petits, ils mourraient s’il ne leur donne abondamment ». Cet homme sort tout d’un coup de cette maison : « Eh ! Sacré fou.. ! C’est à moi à qui il faut parler. B…, damnation, etc ! Je lui donne trois fois par jour ! Qu’avez-vous à dire et à répondre ? » — J’ai répondu qu’à telle heure que j’y fusse[2] montée les lapins n’avaient jamais rien. Ici, nouvelles exécrations. Je lui ai tourné le dos en le priant de ménager ses termes. Oh ! certes, l’avis les lui a fait augmenter ! Il a fait assembler tous les voisins par ses sottises, etc… Il est venu me trouver dans les terrasses pour me demander son compte et me dire des invectives. Quant à sa première proposition, je lui ai dit de s’adresser à vous et à la seconde j’ai répondu que c’était un impertinent. « Vous êtes pis que Gothon, m’a-t-il dit. » Etcetera, etceterarum. Vous seriez-vous douté que cette chère Gothon, avec son ton dur, impérieux, et le mien si opposé, inspirât les regrets de cet homme ? Ce même homme trouve singulier que des gens qui ne sont pas ses maîtres (tels sont ses termes) s’émancipent à des représentations, à des remontrances ; mais [que] des sacré f.. de gens qui ne sont rien veuillent lui faire des représentations, il aime mieux s’en aller !…

M. Faure a dû vous remettre, à votre passage de Lumières[3], une lettre de ma part, pour servir d’antidote à votre style grave[4]. Vous aviez sûrement été à confesse ce jour-là. À propos de confession, savez-vous que le chanoine Vidal a si bien confessé sa gouvernante qu’il en a résulté une hydropisie de neuf mois ? Son exposition est faite sur un inconnu. Les chansons et les mauvais vers inondent son domicile. M. Fabre m’a donné cette nouvelle aujourd’hui ; je vous la donne aussi gracieusement qu’elle m’a été donnée. Tout ce que nous pouvons dire, vous et moi, c’est que l’homme n’a pas été impuissant……


La marquise est d’accord avec mademoiselle de Rousset sur la légèreté de Gaufridy. L’histoire du « Mercure » lui servira de leçon. (Sans date).

Je réponds, mademoiselle, à votre lettre du vingt-neuf juin. Ce n’est pas aujourd’hui que je connais G.frid.. pour un étourdi et venir au château pour rire, se délasser l’esprit, et les affaires, néant……

À l’égard du Mercure je ne suis point étonnée qu’il ait été piqué et c’était votre intention. Ainsi tout est rempli à ce sujet. Cela lui fera faire une autre fois attention à ce que l’on lui demande. Voici la lettre qu’il m’a écrite que je vous prie de me renvoyer. La réponse que je lui fais le prie de vous la communiquer. Elle est sensée être pour tous les deux et, adressée à lui, cela fera un bon effet, n’est-ce pas ?……


Mademoiselle de Rousset ne se sent pas en sûreté dans un château sans serrures au milieu d’une population qui ne respecte rien. (6 septembre 1782).

Le manque de parole de ce vilain serrurier me met dans un embarras terrible…… Le premier fou peut venir m’égorger dans mon lit. N’ayant pu faire sentinelle ni veiller aux alentours, attendu que la grand-porte est emberlificotée d’une manière au-dessus de mes forces, on a pris tous les raisins, saccagé et arraché les pampres de la vigne au-dessous du château. Les chasseurs de Ménerbes et de Bonnieux sont presque venus dans la Coste. Parcourant les alentours du château, ils ont tué des perdreaux ; ils guettent, m’a-t-on dit, un lièvre. « Tant mieux pour eux, si toutefois ils boivent à nos santés ». Çà été toute ma réponse……


La marquise s’inquiète de la santé de mademoiselle de Rousset et veut qu’elle prenne une servante. (24 septembre).

Comment vous portez-vous, mademoiselle ?…… Avez-vous une servante au moins pour vous servir ? Vous n’avez pas grand foi au médecin, mais cependant il faut se soulager ; c’est la première chose à faire et ils en savent certainement plus que nous. Je n’ai reçu de vous qu’un petit billet depuis bien longtemps, joint à une lettre de M. de Donis.

Le point le plus essentiel pour moi est votre santé que je voudrais qui fût meilleure ; ne m’en laissez point ignorer les détails et travaillez à vous guérir. Ce doit être la base de tout.

Je ne vous demande pas si M. Gaufridy a bien soin de vous ; je suis persuadée qu’il en est aux petits soins……


Mademoiselle de Rousset n’ose point coucher au château où la tempête menace de tout démolir.

Je crois que ne coucherai pas au château ce soir, monsieur l’avocat. Tous les habitants pourraient bien suivre mon exemple. Il fait une tempête épouvantable ; l’éboulement augmente à tous les quarts d’heure ; des tuiles, du plâtras qui tombent avec carillon augmentent ma frayeur. Je ne vois que crevasses dans tous les coins. Je voudrais que vous vinssiez passer seulement deux heures ici avant votre départ pour Arles. Cela me tranquilliserait beaucoup……


La marquise compte sur la bonne entente de mademoiselle de Rousset et de l’avocat pour mettre un terme au mal que Gothon a laissé faire. (8 octobre 1782).

Mademoiselle de Rousset, monsieur l’avocat, vient de me marquer le désastre arrivé au château de la Coste : les plafonds, poutres à bas, vers dans les lits, etc. L’argent donné à Gothon en vérité était bien mal employé, [il] faut en convenir, et la confiance en cette fille bien mal placée. Si vous l’aviez crue capable de cela, vous auriez eu l’œil pour le lui faire faire comme il faut ; au passé il n’y a plus rien à dire.

Mais pour le présent, je suis tranquille, parce que vous et mademoiselle de Rousset empêcherez de pareils inconvénients et que je suis bien sûre que vous vous entendez avec elle et vous entendrez pour le bien, de sorte que vos avis, je l’ai déjà remarqué, sont toujours les mêmes……

Il faut visiter le château et faire étayer ce qui menace pour la sûreté, empêcher l’eau de tomber, les couvertures, etc. ; cela va sans dire. D’ailleurs, je prie mademoiselle de Rousset de vouloir bien vous dire ce qu’il y aura à faire faire parce que, sur les lieux, elle voit cela de plus près que vous, et je ne doute pas qu’elle ne le fasse souvent car elle est bien aise, la chère demoiselle, de vous attirer à la Coste. Son faible pour vous ne diminue pas et, si elle osait, elle se plaindrait de ce que vous n’y venez pas assez souvent……


La marquise répond à un avis de mademoiselle de Rousset qu’elle n’ignorait pas que l’on avait fouillé dans le bureau de M. de Sade. (11 octobre 1782).

Puisqu’il y a du tripotage dans le bureau, comme je m’en suis convaincue pour autre chose qui ne vous regarde pas, il faut choisir un autre endroit et me l’indiquer pour faire passer les choses essentielles. J’ai donc pris le parti d’écrire à G. que toutes mes lettres, il les mît dans un tiroir fermant à clef et ne les montrât à qui que ce soit, et ne lui en ai pas marqué la raison pour être plus sûre d’un secret que je dois garder……

C’est singulier comme G., avec de l’esprit, a des choses gauches et bêtes. Vous entendez à quoi cette phrase répond. C’est cependant, à votre avis, ce qu’il y a de mieux dans le pays.

Les charmants bourgeois de la Coste ont beau faire, le garde ne rentrera jamais. Je les compare tous à un tas d’enfants ; les uns chantent la messe à tort et à travers ; les autres, plus méchants et sournois, font la servante à Pilate. Je ne crois pas plus que l’on ait donné de mauvais conseils au garde que je ne crois que l’on est capable d’en donner de bons. Tout cela est une pétaudière qu’il faut mépriser et ne vaut pas la peine d’être éclairé. C’est aussi méprisable que leur individu.

Ce qui m’affecte plus vivement, c’est vos coliques, c’est la peur que vous devez avoir eue à la chute du plafond, c’est l’embarras et les peines que vous prenez pour nous……


La marquise ne partage pas la confiance que mademoiselle de Rousset a au curé. La communauté de Saumane fait une affaire au viguier récemment choisi par M. de Sade pour coquinerie et corruption. (4 novembre 1782).

……Tâchez de conserver le garde dans la bonne habitude de ne point aller au cabaret ; c’est ce qui les perd tous.

À propos de la haine que vous dites que G… a pour vous, cela me fait ressouvenir que je vous ai envoyé, il y a déjà du temps, une lettre de lui que je vous priais de me renvoyer sur le champ. Vous ne l’avez pas fait. Est-ce que vous ne l’auriez pas reçue ?……

Votre confiance au curé est-elle bien fondée ? Les gens de son état qui ont de certaines finesses ne peuvent pas être sûrs……

La communauté de Saumane a délibéré contre Pépin de le faire sortir de place pour coquinerie, etc… et, au refus de M. de Sade, ils auront recours au vice-légat. Ma tante m’a écrit et Gaufridy m’a envoyé leur lettre. La première m’a marqué que Pépin se vantait d’avoir payé sa place, en jetant cela sur Gothon. Il faudrait parer à cela. Vous qui êtes au fait, marquez-moi, en cas d’événement, ce qu’il faut que j’écrire à G……




  1. Probablement la présidente. L’hôtel des Montreuil se trouvait dans la rue Neuve-de-Luxembourg.
  2. « Fus », dans le texte.
  3. Village voisin de la Coste ; lieu de pèlerinage.
  4. L’avocat a été fort piqué par la substitution du nom de mademoiselle de Rousset au sien sur les volumes du « Mercure ».