Correspondance inédite de Hector Berlioz/155

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 353).
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CLV.

À M. AUGUSTE MOREL.


Paris, 26 mai 1868.

Mon cher Morel,

Je viens d’apprendre par Lecourt que vous m’aviez écrit à Monaco et qu’on vous avait renvoyé votre lettre. Merci de cette attention. J’ai été bien éprouvé et j’ai encore, en ce moment, bien de la peine à écrire. Ne soyez pas étonné si je ne vous ai rien dit ; mes deux chutes, l’une à Monaco, l’autre à Nice, m’avaient ôté toutes mes forces. À présent, les suites directes de ces deux chutes sont à peu près effacées ; mais ma maladie est revenue et je souffre plus que jamais. Je n’ai que des choses cruelles à vous écrire. Je suis allé en Russie pour me distraire un peu et j’ai assez bien supporté le double voyage à Moscou et à Saint-Pétersbourg ; ils m’ont fêté de toutes les manières. La grande-duchesse m’a comblé de soins et d’attentions. J’ai dirigé six concerts du Conservatoire de Pétersbourg et deux de Moscou. Maintenant je ne pense à rien ; je vous vois désenchanté comme moi, Lecourt tout comme vous ; j’aurais eu un grand plaisir à vous voir tous les deux, quand j’étais dans les environs de Marseille, et j’y serais allé en revenant de Nice, si je n’avais pas été en si mauvais état. Mais le moyen ? et puis je serais bien plus brisé par votre société que par toute autre. Peu de mes amis ont aimé Louis comme vous l’aimiez. Et je ne puis oublier. Pardonnez-moi tous les deux.