Correspondance inédite de Hector Berlioz/152

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 348-349).
◄  CLI.
CLIII.  ►


CLII.

À M. ET MADAME MASSART.


Saint-Pétersbourg, 18 janvier 1868.

Chère madame Massart,

J’arrive de Moscou et, en rentrant dans mon salon, je trouve un petit monceau de lettres, au nombre desquelles la vôtre ne me cause pas la plus vive joie, parce qu’il y en a une autre, vous devinez de qui, que je n’espérais pas. La vôtre, cependant, m’a fait bien plaisir. Elle aurait dû me laisser indifférent ; mais, quoi ! on n’est pas parfait. J’ai lu, tout de même, vos lignes si cordiales et j’y réponds aujourd’hui. La place Michel est silencieuse sous son manteau de neige ; les corbeaux, les pigeons et les moineaux ne remuent pas ; les traîneaux ne courent pas ; il y a un grand enterrement, celui du prince Dolgorouki, où va l’empereur avec toute la cour et auquel, en conséquence, tout le monde assiste.

Mon programme du concert de samedi prochain est fixé. Je n’y suis pour rien, heureusement ; car, au suivant et dernier, je serai pour tout. Oh ! quelle joie quand j’aurai battu la dernière mesure du final d’Harold ! quand je pourrai me dire : « Je pars pour Paris dans trois jours, c’est-à-dire au commencement de février. » Je ne puis résister à ce climat. J’ai moins souffert à Moscou. Et quels enthousiasmes ! Le premier concert avait lieu dans la salle du Manège ; il y avait dix mille six cents auditeurs. Et quand j’ai vu tout ce monde acclamer l’Offertoire de mon Requiem avec son chœur sur deux notes, et me redemander sans fin, j’avoue que ce sentiment religieux si rare, manifesté par une foule immense, m’a remué jusqu’au cœur. Au second concert qui avait lieu avec les seules ressources du Conservatoire, dans la salle des Nobles, l’Offertoire avait été redemandé et il a produit le même effet.

Que me parlez-vous de vous donner un concert à Paris ? Si je donnais un concert à mes amis, en dépensant purement trois mille francs, je n’en serais que plus injurié par la presse.

Après vous avoir vus à Paris, j’irai à Saint-Symphorien et de là à Monaco me baigner dans les violettes et dormir au soleil. Je souffre tant, chère madame, mes maux sont si constants, que je ne sais que devenir. Je voudrais ne pas mourir maintenant, j’ai de quoi vivre.

Dites mille choses à Massart et remerciez de son bon souvenir madame Nicolet, si charmante.

Adieu, adieu ; je vous serre la main.