Correspondance inédite de Hector Berlioz/127

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 308-309).
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CXXVII.

À M. AUGUSTE MOREL.


Paris, dimanche, 21 août 1864.

Mon cher Morel,

Je vous remercie de votre cordiale lettre ; cette croix d’officier, et surtout l’avis non officiel que m’a donné de cette faveur le maréchal Vaillant, m’ont fait plaisir à cause de mes amis et aussi un peu à cause du déplaisir que cela fait aux autres. Mais comment pouvez-vous conserver encore des illusions sur les réalités musicales de notre pays ? tout y est mort, excepté l’autorité des imbéciles ; il faut bien se résigner à le reconnaître, puisque cela est. Je suis à peu près seul ici ; Louis est reparti avant-hier pour Saint-Nazaire ; tous mes amis et voisins sont en Suisse, en Italie, en Angleterre, à Bade. Je vois seulement quelquefois Heller ; nous allons dîner à Asnières, nous sommes gais comme des chouettes ; je lis, je relis ; le soir, je passe devant les théâtres lyriques pour me donner le plaisir de n’y pas entrer. Avant-hier, j’ai passé deux heures dans le cimetière Montmartre ; j’y avais trouvé un siège très commode sur une tombe somptueuse et je m’y suis endormi. De temps en temps, je vais à Passy chez madame Érard, où je trouve une colonie d’excellents cœurs qui me font le meilleur accueil ; je savoure le plaisir de ne pas faire de feuilletons, de ne rien faire du tout. Si je n’étais pas attaché à Paris par plusieurs petits intérêts, je voyagerais malgré mes maux physiques, mais il faut y rester. D’ailleurs, Paris devient de jour en jour plus beau ; c’est un plaisir de le voir fleurir si rapidement. Il y a après-demain grand festival à Carlsruhe ; Liszt y est venu de Rome ; ils vont y faire de la musique à arracher les oreilles ; c’est le conciliabule de la jeune Allemagne présidée par Hans de Bulow. Vous savez que ce bon Scudo est reconnu fou et enfermé.

Quel malheur !