Correspondance inédite de Hector Berlioz/121

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 300-301).
◄  CXX.
CXXII.  ►


CXXI.

À MADAME MASSART.


Paris, 23 septembre au soir, au coin de mon feu (1863).

Chère madame Massart, vous croyez peut-être que, n’ayant plus à recevoir chez vous ni tasses de chocolat, ni sonates de Beethoven, ni quatuors, je ne pense plus à vous ?… Vous en êtes capable ; vous avez sucé le venin des Maximes de la Rochefoucauld ; vous croyez qu’il y a un motif intéressé à toutes nos actions ! — Hélas ! cela pourrait bien être.

Pourtant, qu’est-ce qui m’oblige à vous écrire, ce soir ? Qu’est-ce qui me force à envoyer une poignée de main à votre mari ? Qu’est-ce qui me porte à m’apitoyer sur votre sort ? car, j’en suis sûr, vous traînez une vie misérable dans votre petite boîte de sapin, pompeusement nommée « maison de campagne », où il n’y a de place que pour un piano, sans queue, où vous sentez la mer à toute heure, où il vente à décorner des bœufs, où, quand vous jouez la sonate en fa mineur, vous vous ennuyez vous-même,

Ayant pour auditeurs des crabes seulement…

Il faut qu’on dise : « Madame Massart est à la campagne, dans sa villa ; elle prend des bains de mer, elle folâtre sur les grèves, elle aspire les senteurs marines et les effluves de l’infini… » O blagues colossales et puériles ! Je vous plains ; mais il faut bien faire son métier de banquiste…

C’est égal, je vous replains.

Quand revenez-vous ? Bon, il semble que je m’attende à recevoir de vos nouvelles, et certes, ni Massart ni vous n’oserez m’écrire trois lignes. Je vous sais trop modestes, vous ne vous ferez pas cet honneur. J’ai chargé l’autre jour votre parrain (oh ! un parrain ! la Dame blanche ! est-ce bouffon !) de vous présenter mes hommages ; il a dû vous voir. Bertsch aussi a dû vous voir.

Je suis tout absorbé par nos répétitions du Théâtre-Lyrique. Ça va, ça va. Heureusement, vous ne serez pas encore revenus de vos terres au mois de novembre et vous ne me ferez pas le chagrin de vouloir assister à la première représentation ; car je n’aurai pas de billets à vous donner. Massart, qui est un si fameux enleveur de salles, me fera bien faute. Cela diminuera beaucoup mes chances de succès et peut me faire perdre quatre ou cinq cents représentations ; je me résigne.

Vous croyez peut-être que je vais vous dire : « Ah ! le cinquième acte !… Ah ! les adieux de Didon ! Ah ! le chœur des prêtres de Pluton ! Ah ! ceci ! ah ! cela !… » Eh bien, oui, vous avez raison, je n’ai pas la vanité de me croire modeste, moi ; j’ai, au contraire, la modestie de me croire bouffi de vanité. Eh oui, il y a tout plein de « Ah ! » Si votre crabe entendait cela, il en frémirait sous sa carapace.

Bonjour, bonjour ! Massart fait, dit-on, des chasses merveilleuses ; le bruit court qu’il a tué un chardonneret (a goldfinch). Vous qui vous piquez d’anglais, vous ne saviez certes pas le nom britannique de ce charmant oiseau.

Adieu, adieu ! La présente n’a pour objet que de vous faire savoir que je me porte fort mal ; je souhaite qu’elle vous trouve de même. Cela me consolera.