Correspondance inédite de Hector Berlioz/109

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 281-283).
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CIX.

AU MÊME.


Paris, 2 juin 1861.

Je te vois très tourmenté ; je ne puis rien te dire de rassurant. Alexis cherche à te trouver une place à Paris, et c’est précisément parce qu’il la cherche, qu’il ne la trouvera pas. Je suis aussi incapable que lui de changer ta position. C’est à toi à te faire ton sort et à ne pas te mettre dans des embarras dont personne au monde ne pourra t’aider à sortir. Je suis allé chez madame Lawsson ; elle va mieux, elle était sortie. Les répétitions du Freyschütz sont abandonnées. On m’a fait perdre un mois pour rien.

Comme compensation on m’a demandé de monter l’Alceste, ainsi que j’avais monté Orphée au Théâtre-Lyrique, en m’offrant les droits d’auteur complets ; pour des raisons musicales qu’il serait trop long de t’expliquer, j’ai refusé. On croit dans ce monde-là que l’on pourrait faire faire pour de l’argent les choses les plus contraires à la conscience de l’artiste ; je viens de leur prouver que cette opinion était fausse.

Les Troyens sont décidément admis à l’Opéra. Mais il y a Gounod et Gevaert à passer avant moi ; en voilà pour deux ans. Gounod a passé sur le corps de Gevaert, qui devait être joué le premier. Et ils ne sont prêts ni l’un ni l’autre ; et moi, je pourrais être mis en répétition demain. Et Gounod ne pourra être joué au plus tôt qu’en mars 1862.

Mon obstination à refuser de monter Alceste fait du bruit et contrarie beaucoup de gens.

On ferait mieux de ne pas s’amuser à perdre du temps et de l’argent pour insulter un chef-d’œuvre de Gluck, et de monter les Troyens tout de suite.

Mais, comme le bon sens indique cela, c’est cela qu’on ne fera pas. Liszt vient de faire la conquête de l’empereur : il a joué à la cour la semaine dernière, et hier il a été nommé commandeur de la Légion d’honneur. Ah ! quand on joue du piano !…

Je n’ai pas encore fini ma partition de Béatrice ; je puis si rarement y travailler. Pourtant cela avance peu à peu.