Correspondance de Voltaire/1777/Lettre 9973

Correspondance de Voltaire/1777
Correspondance : année 1777GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 50 (p. 203-204).

9973 — À M. MARMONTEL.
8 mars.

Non, mon cher confrère, mon successeur, devenu mon maître ; non, pour mon malheur, je n’ai point reçu de nouvelles du Pérou[1] ; non, M. de Vaines ne m’a rien écrit et ne m’a rien envoyé. Il faut que je sois proscrit par l’Inquisition, car notre ami Panckoucke m’avait dépêché, il y a près d’un mois, un livre par M. Moreau, secrétaire de M. de Vergennes, et je ne l’ai point reçu. Il y a quelque excommunication lancée sur les livres et sur moi.

Si vous conservez une bonne volonté, dont j’ai grand besoin, vous m’enverrez votre ouvrage tout uniment par la diligence de

Lyon. Ne me laissez point languir dans la misère, tandis que vous enrichissez Paris.

Pourriez-vous me dire si vous avez entendu parler de l’affaire d’un jeune philosophe, et par conséquent d’un jeune malheureux, nommé Delisle de Sales, auteur d’un livre intitulé De la Philosophie de la Nature ? Il a été violemment persécuté, et même décrété de prise de corps. Il y a un mauvais vent qui souffle sur la philosophie. On ne réussit, dit-on, qu’en faisant des journaux contre la tolérance, et le métier de Fréron est devenu une charge héréditaire dans l’État. Heureusement je suis loin de cette barbarie, et je vais m’en éloigner encore davantage en finissant une vie longtemps persécutée. Donnez-moi les Incas pour mon viatique, et que les Pizaro et les Almagro ne me privent point des précieuses marques de votre amité.

P. S. Pourriez-vous me dire le nom d’un homme aimable[2] qui vint me voir à Ferney il y a quatre ans ; qui avait un emploi considérable dans les fermes ; qui demeurait à l’hôtel Bretonvilliers, ou à l’hôtel Lambert ; qui était ami d’un ministre aujourd’hui disgracié ; qui vous présenta à lui ? Vous devez le connaître à toutes ces indications. Où est-il ? que fait-il ? Pardon.

  1. C’est en 1777 que parut la première édition des Incas, par Marmontel.
  2. Garville, ami du duc d’Aiguillon ; voyez tome XLVIII, page 458.