Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8990

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 510-511).
8990. — À M. LE MARQUIS DE CONDORCET.
5 décembre.

C’est bien vous qui êtes mon maître, monsieur le marquis, et qui l’auriez été de Bernard de Fontenelle. C’est vous qui êtes un vrai philosophe, et un philosophe éloquent. On m’a parlé d’un éloge de M. Fontaine[1], qui est un chef-d’œuvre. Vous ne sauriez croire quel plaisir vous me ferez de me le faire parvenir.

Je ne connais guère que vous et M. d’Alembert qui sachiez présenter les objets dans leur jour, et écrire toujours d’un style convenable au sujet. J’ai cherché dans mes paperasses la mauvaise plaisanterie sur les comètes[2], je ne l’ai point trouvée. On dit qu’il y en a deux : l’une de moi, l’autre que je ne connais pas ; mais, dans l’état où je suis, souffrant continuellement, et près de quitter ce petit globe, je dois prendre peu d’intérêt à ceux qui roulent comme nous dans l’espace, et avec qui probablement je ne serai jamais en liaison.

Il est vrai que, dans les intervalles que mes maladies me laissent quelquefois, je m’amuse à la poésie, que j’aime toujours, quand ce ne serait que pour donner un os à ronger à Clément et à Sabotier ; mais j’aime mieux votre prose que tous les vers du monde. Ce que j’aime autant que votre prose, c’est votre personne. Jamais les belles-lettres et la philosophie n’ont été si honorées que par vous.

Agréez, monsieur, le très-tendre respect du vieux malade de Ferney.

  1. Fontaine de Bertins, géométre, mort en 1771. C’est Condorcet qui est l’auteur de l’Éloge.
  2. Lettre sur la prétendue comète ; voyez tome XXIX, page 47.