Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8987

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 508-509).
8987. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 28 novembre 1773.

Vous êtes le plus surprenant des mortels. Mais pourquoi mortel ? Vous ne mourrez jamais. Vous n’avez que trente ans ; vous êtes fixé pour toujours à cet âge.

Votre Tactique[2] m’a enchantée ; elle a fait cet effet à tout le monde : il y en a mille copies, et la première parole que chacun dit, c’est : Avez-vous lu la Tactique de M. de Voltaire ? Y a-t-il rien de plus charmant ?

J’ai seulement trouvé une personne[3] (et cette personne est un très-bel esprit, l’amie intime de M. Thomas) qui craint que vous n’ayez offensé le roi de Prusse. Cela n’est-il pas ineffable ?

Je vous fais des remerciements infinis de vos attentions ; continuez-les-moi : envoyez-moi tous vos cailloux ; ils sont plus précieux que tous les diamants qu’on a recueillis des temps passés, et ne peuvent entrer en comparaison avec ceux du temps présent. Oui, je le proteste, mon cher Voltaire, je n’admire que vous, et je ne puis en admirer d’autres.

J’ai dit à Mme de La Vallière que vous me parliez d’elle, que vous l’aimiez toujours : elle en a été flattée au delà de toute expression ; elle m’a chargée de vous le dire, et qu’elle avait deux de vos bustes sur sa cheminée : elle achète tous ceux qu’elle rencontre. Quand vous m’écrirez, qu’il y ait un article pour elle que je puisse lui montrer : elle se porte mieux. Que dites-vous de la mort de M. de Chauvelin[4] ? C’est une perte pour tout le monde ; nos philosophes diraient pour l’humanité.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.
  2. Voyez tome X, page 167.
  3. Mme Necker.
  4. Le marquis de Chauvelin était de la société intime de Louis XV. Il fut attaqué subitement de convulsions, en se tenant près de la table où le roi jouait au piquet, et mourut aussitôt.