Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8921

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 451-452).
8921. — À M. BORDES.
3 septembre.

Mon cher confrère, je ne doute pas que vous n’ayez instruit M. de Saint-Lambert de l’empressement de messieurs les commis de la douane à vous remettre votre paquet au bout de trois mois. Le proverbe : Il vaut mieux tard que jamais, n’a pas encore été mieux appliqué.

Je ne connais point cette Histoire des Deux-Indes[1], dans laquelle vous dites qu’on a tant prodigué l’enthousiasme. Y a-t-il un livre nouveau intitulé l’Histoire des Deux-Indes ? ou entendez-vous par là le fatras du jésuite Catrou sur l’Indoustan et les impertinences du jésuite Lafiteau sur l’Amérique ?

Lally était un grand étourdi, j’en conviens ; et il se peut fort bien faire qu’il ait eu tort avec votre officier, qui se met assez mal à propos à pleurer pour si peu de chose. Il ne faut pleurer que sur Lally, sur le chevalier de La Barre, sur d’Étallonde son camarade, et sur tous ceux dont l’ancien parlement de Paris a été l’assassin, pour faire croire qu’il était bon chrétien. Nous pleurerons encore, si vous voulez, sur la compagnie des Indes et sur l’État ; mais mes yeux sont si vieux et si secs qu’ils n’ont plus de larmes à fournir. J’aime mieux rire, tout malade que je suis, quoi qu’en dise M. Tessier, qui me suppose de la santé parce qu’il est jeune et qu’il se porte bien. Il ne lui reste plus qu’à dire que je suis très-amusant, parce que sa société m’a très-amusé et très-consolé à Ferney ; mais je lui pardonne son injustice.

Adieu, mon cher confrère ; jouissez de la vie ; moi, je la supporte.

  1. Dans sa lettre à Condorcet, du 11 mai 1772 (No 8540), Voltaire dit qu’il va faire venir l’Histoire de l’établissement du commerce dans les deux Indes.