Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8903

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 432-433).
8903. — À M. MARMONTEL.
9 auguste.

Mon cher historiographe, vous voilà donc entré dans ce chemin semé d’épines ; mais vous le couvrirez de fleurs convenables au sujet. Voilà d’ailleurs les Incas qui vous appellent. On prétend que les Indios bravos, après avoir détruit leurs vainqueurs, ont enfin mis sur le trône un homme de la race des anciens Incas. Ce n’est pas là vraiment une affaire de roman, c’est matière d’historiographerie. Vous en avez assez honnêtement dans le Nord et dans le Midi.

J’ai vu M. de Garville, et je ne l’ai point assez vu. J’étais très-malade, mais j’espère qu’il me donnera ma revanche.

J’ai reçu une brochure imprimée chez Valade. C’est une Épître à Sabatier et compagnie[1]. J’ignore à qui j’en suis redevable. Je soupçonne M. l’abbé du Vernet, et encore un autre abbé dont j’ignore la demeure. Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à être défendu par des gens d’Église. Ceux-ci me paraissent de la petite église des gens d’esprit, et du petit nombre des élus.

Dans l’embarras où je suis de savoir à quel saint je dois des actions de grâces, je m’adresse à vous, mon cher ami ; je vous envoie ma réponse tout ouverte ; je vous supplie d’y mettre l’adresse, et de l’envoyer à l’auteur, qui sans doute est connu de vous ou de M. d’Alembert. Il ne serait pas mal que l’on connût un peu à fond ce M. Sabatier. Ses protecteurs sauront au moins qu’ils sont fort mal servis par les gens qu’ils emploient.

Je me flatte que vous recevrez dans quelques jours un petit essai sur quelques révolutions de l’Inde, sur la perte de Pondichéry, et sur la mort funeste de Lally[2]. Cela est du ressort de feu l’historiographe et de l’historiographe vivant[3]. Je puis vous assurer de la vérité de tous les faits. La plupart sont curieux, et peuvent même être intéressants six ans après l’événement. L’auteur est un peu l’avocat des causes perdues ; mais vous serez convaincu que M. de Lally était innocent, et que l’ancien parlement n’était pas infaillible.

Je suis enchanté que La Harpe ait remporté un nouveau prix[4]. Je souhaite qu’il en ait deux cette année à la fin, sa gloire forcera le gouvernement à lui rendre justice.

Adieu, mon très-cher et illustre confrère ; continuez toujours à veiller sur notre petit troupeau, qui est toujours près d’être mangé des loups.

  1. Épître à MM. La Beaumelle, Fréron, Clément, et Sabatier, suivie de la Profession de foi, autre épître du même auteur, par M. de V***, 1773, in-8o de 22 pages, commençant par ce vers :

    Bravo, messieurs ! quatre contre un, etc.

  2. Fragments historiques sur l’Inde et sur le général Lally ; tome XXIX, page 85.
  3. Après la mort de Duclos, Marmontel avait obtenu le titre d’historiographe de France, qu’avait eu Voltaire.
  4. Le prix de poésie. Sa pièce était intitulée Ode sur la navigation.