Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8892
J’ai toujours aimé M. de La Condamine. Je vous prie, monsieur l’abbé, de l’en assurer, et de le remercier de son Catéchismes[2]. Vous pouvez aussi, monsieur, le bien assurer que je suis très-fâché de savoir qu’il loge chez lui La Beaumelle, et qu’il donne à dîner à Fréron. Il y a de meilleures bonnes œuvres à faire. Ses vers ne sont pas d’un grand poëte : il n’en a jamais fait que pour s’amuser ; mais ses sentiments sont ceux d’un honnête homme. Je l’ai toujours connu pour être de la communion des gens de bien. Je n’aime ni La Beaumelle, ni Fréron, qui m’a affligé quelquefois, et qui souvent m’a fait rire. Mais je crois, monsieur, avec vous et votre ami M. de La Condamine, qu’il existe un Dieu rémunérateur et punisseur, et qui, s’il se mêle des chenilles de nos vergers, rendra à mes ennemis selon leurs œuvres.
Je vous renvoie, monsieur, le Chinois de M. de La Condamine. Un jeune homme de beaucoup de talent, que je possède dans ma chartreuse, s’est amusé à rajuster et à raccourcir les habits de cet honnête Chinois ; cela ne peut déplaire ni à Kien-long, son empereur, ni à son père, l’arpenteur du zodiaque, que j’aime toujours, malgré Fréron, La Beaumelle, et autres grands écrivains, qui font la gloire du règne de Louis XV.