Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8876

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 409-410).
8876. — À M. LE DUC DE CHOISEUL.
Juin.

S’il y a dans cet ouvrage[1] un petit nombre de vers heureux qui vous plaisent, ce dont je doute beaucoup, je vous dirai comme Horace à Mécène :


Principibus placuisse viris non ultima laus est[2].


Ce n’est pas un petit avantage de plaire aux premiers hommes de sa nation.

Cela est beaucoup plus vrai qu’on ne pense. La raison est que les hommes élevés au-dessus des autres sont distraits par tant d’affaires importantes qu’ils n’ont ni le temps ni la volonté d’écouter des choses triviales. Ils sont si accoutumés, dans toutes les discussions qui se font en leur présence, à proscrire tous les lieux communs de rhétorique, toutes les pensées fausses mal exprimées, tout ce qui est inutile, qu’ils se font, sans même s’en apercevoir, des règles du bon goût au-dessus de celles qu’on trouve dans les livres. Il faut toujours du vrai et du naturel ; mais ce vrai doit être intéressant, et ce naturel doit être noble. Monseigneur le duc d’Orléans, régent du royaume, me faisant un jour réciter le second chant de la Henriade, me dit : « Il faut que le vers me subjugue. »

J’ignore s’il y aura dans les Lois de Minos quelque morceau qui puisse vous subjuguer.

  1. Les Lois de Minos ; voyez la dernière phrase de cette lettre.
  2. Livre I, épître XVII, vers 33.