Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8868

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 400-401).
8868. — À M. LE CHEVALIER HAMILTON,
ambassadeur a naples[1].
À Ferney, 17 juin.

Monsieur, le public vous a l’obligation de connaître le Vésuve et l’Etna beaucoup mieux qu’ils ne furent connus du temps des cyclopes, et ensuite de celui de Pline. Les montagnes que vous avez vues de mes fenêtres à Ferney sont d’un goût tout opposé. Votre Vésuve et votre Etna sont pleins de caprices : ils ressemblent aux petits hommes trop vifs, qui se mettent souvent en colère sans raison ; mais nos montagnes de glaciers, qui sont dix fois plus hautes et quarante fois plus étendues, ont toujours le même visage, et sont dans un calme éternel. Des lacs toujours glacés, de six milles de longueur, sont établis dans la moyenne région de l’air, entre des rochers blancs, au-dessus des nuages et du tonnerre, sans qu’il y ait eu de l’altération depuis des milliers de siècles.

Il n’y a pas bien loin de la fournaise où vous êtes aux glaciers de la Suisse ; et cependant quelle énorme différence entre les terrains, entre les hommes, entre les gouvernements, entre Calvin et San Gennaro[2] !

J’ai vu avec douleur que vous n’avez pu faire rajuster un thermomètre en Sicile. Que dirait Archimède, s’il revenait à Syracuse ? mais que diraient les Trajan et les Antonins, s’ils revenaient à Rome ?

Je trouve tout simple que les éruptions des volcans produisent des monticules ; ceux que les fourmis élèvent dans nos jardins sont bien plus étonnants. Ces petites montagnes, formées en huit jours par des insectes, ont deux ou trois cents fois la hauteur de l’architecte. Mais pour nos vénérables montagnes, seules dignes de ce nom, d’où partent le Rhin, le Danube, le Rhône, le Pô, ces énormes masses paraissent avoir plus de consistance que Monte-Nuovo, et que la prétendue nouvelle île de Santorin. La grande chaîne des hautes montagnes qui couronnent la terre en tous sens m’a toujours paru aussi ancienne que le monde : ce sont les os de ce grand animal ; il mourrait de soif s’il n’y avait pas de fleuves, et il n’y aurait aucun fleuve sans ces montagnes, qui en sont les réservoirs perpétuels. On se moquera bien un jour de nous quand on saura que nous avons eu des charlatans qui ont voulu nous faire croire que les courants des mers avaient formé les Alpes, le mont Taurus, les Pyrénées, les Cordillères.

Tout Paris, en dernier lieu, était en alarme : il s’était persuadé qu’une comète viendrait dissoudre notre globe le 20 ou le 21 de mai[3]. Dans cette attente de la fin du monde, on manda que les dames de la cour et les dames de la halle allaient à confesse : ce qui est, comme vous savez, un secret infaillible pour détourner les comètes de leur chemin. Des gens, qui n’étaient pas astronomes[4], prédirent autrefois la fin du monde pour la génération où ils vivaient. Est-ce par pitié ou par colère que cette catastrophe a été différée ?


To be, or not to be ; that is the question [5], etc.

  1. William Hamilton, né en 1730, mort en 1803, avait fait imprimer à Londres des Observations sur le mont Vésuve, le mont Etna et d’autres volcans, 1772, in-8o ; voyez tome XXI, page 588.
  2. Saint Janvier.
  3. Voyez tome XXIX, page 47.
  4. Saint Paul et saint Luc ; voyez tome XIX, page 143.
  5. Voltaire a donné de ce morceau de Shakespeare une imitation en vers
    (voyez tome XXII, page 150) et une traduction littérale (voyez tome XXII. page 151).