Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8860

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 390-391).
8860. — À M. VASSELIER.
Mai.

Vous êtes donc mon confrère en fait de goutte, mon cher ami ? Pour moi, je n’ai la goutte que comme un accessoire à tous mes maux. On sait bien qu’il faut mourir ; mais, en conscience, il ne faudrait pas aller à la mort par de si vilains chemins. Je désire bien vivement de guérir pour venir vous voir ; mais je commence à en désespérer.

Je ne suis point du tout étonné de l’évêque[1] dont vous me parlez. Les comédiens sont toujours jaloux les uns des autres[2]. Nous allons avoir une troupe en Savoie, à la porte de Genève, qui fera sans doute crever de dépit celle que nous avons déjà à l’autre porte en France. Chacun joue la comédie de son côté : je ne la joue pas, mon cher correspondant, en vous disant combien je vous aime.

Mille grâces de la belle branche de palmier. Quid retribuam Domino[3]?

P. S. Il y a, dans le Bugey, un brave officier qui aime la lecture, qui est philosophe, et qui m’a demandé des livres[4]. Je crois ne pouvoir mieux remplir mon devoir de missionnaire qu’en m’adressant à vous. Je vous envoie le paquet que je vous supplie instamment de faire tenir à ce digne officier, à qui le roi ne donne pas de quoi acheter des livres.

Faites un philosophe, et Dieu vous le rendra. Je ne puis faire une meilleure action dans le triste état où je suis.

  1. Montazet, archevêque de Lyon.
  2. Voltaire avait déjà dit en d’autres termes : Le monologue fut en tout temps jaloux du dialogue ; voyez tome XXIV, page 215.
  3. Psaume cxv, verset 12.
  4. C’était Vasselier lui-même.