Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8832

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 366-368).
8832. — À M. VERNES[1].

La Gazette de Leyde a dit un mot du désaveu public de la famille de M. de Montclar.

Voici une relation plus circonstanciée.

On l’envoie à M. de Vernes. Il est supplié d’en conférer avec M. de Moultou, et de vouloir bien la faire insérer dans tous les journaux et dans toutes les gazettes, comme il a eu la bonté de le promettre.


Relation exacte et authentique de la mort de M. de Montclar, ancien
procureur général du parlement de Provence.

M. de Montclar, ancien procureur général du parlement de Provence, étant malade à sa terre de Saint-Saturnin, diocèse d’Apt, de la maladie dont il est mort, fut administré le 12 février 1773 par le vicaire de sa paroisse, nommé Jonval, en présence de madame sa femme, de son frère, M. de Salonet, capitaine de cavalerie, de quelques parents et de tous ses domestiques.

De quoi fut dressé un procès-verbal,

L’évêque d’Apt, nommé Boçon, gouverné par quelques ex-jésuites, mande, le 14 février, le vicaire de Saint-Saturnin, et lui fait un crime d’avoir conféré les sacrements de l’Église romaine à M. de Montelar ; il le menace, il l’intimide, il exige de lui une fausse déclaration dans laquelle il est dit en termes exprès que M. de Montclar, en mourant, a protesté être soumis à une bulle, appelée la bulle Unigenitus, comme à un article de foi ; qu’il rétracte tout ce qu’il a fait et écrit contre ladite bulle ; qu’il demande pardon d’avoir persécuté les saints jésuites ; qu’il leur rend hommage, qu’il se repent d’avoir prêté son ministère à la destruction d’une société si utile. Ce sont les propres termes de cet écrit.

Le vicaire Jonval remontre humblement à l’évêque que rien de tout cela n’est vrai que lui, Jonval, a déjà attesté tout le contraire, devant la famille, de vive voix et par écrit ; et qu’enfin il ne peut se résoudre à mentir avec tant d’impudence. L’évêque l’assure que c’est pour la plus grande gloire de Dieu. Un ex-jésuite lui fait comprendre que si M. de Montelar n’a pas proféré expressément ces paroles, il devait les avoir dans son cœur.

Enfin le malheureux vicaire signe cette pièce calomnieuse.

De retour à Saint-Saturnin, il est troublé de remords ; il demande pardon à Mme de Montclar, à M. de Salonet, à toute la famille, à tous les domestiques, de la faiblesse qu’il a eue. Il désavoue, les larmes aux yeux, les mensonges que l’évêque d’Apt avait arrachés à sa timidité.

Ce désaveu, signé de quatre témoins, est du 16 février. Cet ecclésiastique, pressé entre les reproches de la famille et les menaces de son évêque, supplie par écrit le frère de M. de Montclar de vouloir bien supprimer toutes les pièces qui pouvaient prouver cette manœuvre.

M. de Salonet lui répond le 23 février, de Marseille, où il était pour lors :

« Je ne puis me prêter à la proposition que vous me faites. Quand on nous représentera cette déclaration que l’évêque d’Apt vous a fait signer chez lui, contre la vérité connue à tous deux, que pourrions-nous répondre ? On ne trafique point ainsi de la vérité. Nous ne le pourrions point pour nous-mêmes, encore moins pour la réputation d’un père de famille respectable, etc. »

Toutes ces pièces sont entre les mains de la famille. L’affaire a été rapportée exactement au roi. Ce monarque était attaqué lui-même dans l’écrit frauduleux de l’évêque, que le vicaire de Saint-Saturnin avait signé malgré lui. Car si le procureur général du parlement de Provence avait été coupable en donnant autrefois des conclusions contre les jésuites, le roi était plus criminel encore en détruisant cette compagnie dans ses États.

Le roi de Portugal l’était encore davantage en faisant brûler le jésuite Malagrida ; le roi d’Espagne, en les chassant tous d’un même jour[2].

La calomnie absurde dont on a voulu noircir la mémoire de M. de Montclar n’est pas la première de cette espèce, et ne sera pas la dernière.

Le fanatisme est en possession de persécuter les vivants et les morts. Si tous ceux qui ont été témoins de semblables fraudes voulaient les mettre au jour, ils effrayeraient le genre humain.

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. Ici Voltaire est faible, ou plutôt parle un langage officiel qui n’est pas le sien.

    Non seulement on a toujours commis un crime épouvantable quand on a brûlé qui que ce fut ; mais on a tort de proscrire, même les jésuites. Il faut leur résister et les maintenir à leur place, par les seules armes de la liberté et de la publicité ; ce sont celles qu’ils redoutent le plus. Le mystère fait leur force et la persécution ennoblit tout ce qu’elle frappe. (Note du premier éditeur.)