Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8799
Monseigneur, une des plus douces consolations que j’aie reçues depuis plus de vingt ans a été la lettre[1] dont Votre Altesse royale m’a honoré ; je vois que vous daignez toujours protéger les lettres, et que vous favorisez les Français après vous être amusé à les battre ; ils sont dignes en effet de vos bontés. Cette nation, qui passe pour être un peu légère, ne l’a jamais été pour vous ; elle vous a toujours aimé, et les gens sensés de chez nous ont rendu unanimement justice à vos grands talents militaires comme à vos grâces.
Le jeune M. Mainissier, secrétaire du général de Brux, Écossais au service de l’impératrice de Russie, m’apporta hier dans mon lit, où mes maladies me retiennent, la lettre dont je remercie Votre Altesse royale ; mon triste état, et la perte presque entière de mes yeux, ne me permettront guère de lire trois gros volumes de la Politique morale, dont ce jeune homme est l’auteur ; mais je lui rendrai tous les services qui dépendront de moi, quoiqu’il soit très-difficile de dire des choses neuves en morale, et peut-être dangereux d’en dire de vieilles en politique.
Il est vrai qu’il y a eu de grands politiques à l’âge de vingt-cinq ans mais ils n’imprimaient rien à cet âge sur le gouvernement.
Quoi qu’il en soit, si le jeune M. Mainissier est assez heureux pour penser et s’exprimer comme vous, il réussira. Je le trouve bien heureux d’avoir pu vous faire sa cour ; mon âge et ma fin prochaine ne me laissent pas espérer un tel bonheur.
Je suis avec le plus profond respect, monseigneur, de Votre Altesse royale, etc.