Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8758

8758. À M. L’ABBÉ DE VOISENON.
3 février.

Mon très-cher confrère, je vous prie de ne pas manquer d’excommunier, d’une excommunication majeure, le libraire Valade, grand imprimeur de libelles, qui, malgré toutes les lois de la police, a défiguré les Lois de Minos d’une manière à déchirer les entrailles paternelles d’un vieux radoteur qui ne reconnaît plus son ouvrage. Le scélérat a sans doute acheté une détestable copie de quelque bel esprit ouvreur de loges, qui n’a pas manqué d’y mettre beaucoup de vers de sa façon. Voilà certainement le plus horrible abus qui soit en France, et peut-être le seul : car tout le reste assurément va à merveille. Mais j’ai mes Lois de Minos sur le cœur, et j’ambitionne trop votre suffrage pour vous laisser croire un moment que la pièce soit entièrement de moi.

Vous me direz qu’il est très-ridicule, à mon âge, de faire des pièces de théâtre : je le sais bien ; mais il ne faut pas reprocher à un homme d’avoir la fièvre. Que voulez-vous qu’on fasse au milieu des neiges, si ce n’est des tragédies ? Si j’étais avec vous, je passerais mon temps à vous écouter et à me réjouir, et nous serions tous deux Jean qui rit. Cependant M. Valade ne fera pas de moi Jean qui pleure.

Je vous embrasse, je vous regrette, et je vous aime de tout mon cœur.