Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8658

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 197-198).
8658. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
26 octobre.

Je demande pardon à mon cher ange de l’importuner d’un petit scrupule qui est venu à notre jeune avocat.

M. de Thibouville lui a mandé : « J’ai porté sur la dernière copie, approuvée par Marin, tous les changements de la dernière copie présentée à M. de Sartines et approuvée par lui. »

Le scrupule de notre avocat consiste à ne pouvoir comprendre que M. de Thibouville ait fait passer d’une copie à l’autre des actes entièrement bouleversés, comme s’il ne s’agissait que de trois ou quatre lignes d’écriture.

Vous avez dû vous apercevoir, mon cher ange, que le premier acte est entièrement altéré, de façon qu’il faut le recopier tout entier. Ce qui était la dernière scène de cet acte est devenu la première ; et ce changement en a encore exigé d’autres. Ce bouleversement a paru nécessaire pour une raison que je trouve bien forte.

La première scène était d’un appareil pompeux et d’un intérêt aussi pressant que tragique ; la dernière était tout entière en raisonnements ; c’était servir le roti avant le potage.

On a donc, dans cette dernière leçon que je vous ai envoyée par Lekain, remis les choses dans l’ordre où elles doivent être. Vous avez paru approuver ce nouvel ordre, et moi j’y tiens fortement. Il me semble que le tout compose actuellement un édifice dont toutes les parties sont tellement liées qu’il est impossible de les déranger sans défigurer toute l’architecture.

Il se pourrait que M. de Thibouville n’eût pas examiné ce premier acte, qu’il eût cru que les changements n’étaient que dans les quatre autres, et en petite quantité, et qu’en conséquence il n’eût fait porter, sur sa première copie, que quelques vers de la vôtre.

Je vous écris donc pour vous dire que je m’en tiens absolument à cette dernière copie à vous envoyée. Je vous prie très-instamment que ce soit la seule à laquelle on ait égard ; sans quoi je courrais grand risque de perdre mon procès. Je crains qu’on n’ait préféré l’ancien premier acte au nouveau ; cela serait désespérant. Je vous demande en grâce de me rassurer.

Ne pensez-vous pas qu’il sera convenable d’attendre le retour de Fontainebleau pour représenter nos Lois de Minos ? On parle d’une pièce nouvelle, intitulée Adeline. Je laisserai passer cette Adeline très-volontiers. J’étais très-pressé l’année passée ; je le suis un peu moins à présent. Je sens cependant qu’il ne faut pas laisser trop refroidir l’enthousiasme où l’on est de la révolution de Suède. Si les lois de la Pologne ont quelque rapport au deuxième acte, l’aventure de la Suède fait le cinquième presque tout entier ; il n’y manque que de donner le nom de baron de Rudbeck à Mérione.

Je finis, comme je finis toujours, en remettant tout entre vos mains, et en me recommandant à votre providence.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.