Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8544

8544. — À MADAME DE BEAUHARNAIS[1].

On dit, madame, que les divinités apparaissaient autrefois aux solitaires dans les déserts ; mais elles n’écrivaient point de jolies lettres ; et j’aime mieux la lettre dont vous m’avez honoré, que toutes les apparitions de ces nymphes de l’antiquité. Il y a encore une chose qui me fait un grand plaisir, c’est que vous ne m’auriez point écrit si vous aviez été dévote ou superstitieuse : il y a des confesseurs qui défendent à leurs pénitentes de se jouer à moi. Je crois, madame, que si quelqu’un est assez heureux pour vous diriger, ce ne peut être qu’un homme du monde, un homme aimable qui n’a point de sots scrupules. Vous ne pouvez avoir qu’un directeur raisonnable, et fait pour plaire. Le comble de ma bonne fortune, c’est que vous écrivez naturellement, et que votre esprit n’a pas besoin d’art. On dit que votre figure est comme votre esprit. Que de raisons pour être enchanté de vos bontés ! Agréez, madame, la reconnaissance et le respect du vieux solitaire V.

  1. Marie-Anne-Françoise Mouchard de Chaban, épouse du comte de Beauharnais, née en 1738, morte en 1813.