Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8421

Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 556-558).
8421. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
2 décembre.

Mon cher ange, Florian arrive ; il m’apporte votre lettre. Je suis bien faible, bien misérable, bien accablé de tous les horribles détails de ma colonie, qui ne conviennent guère à un vieux malade ; mais je vous réponds sur-le-champ comme je peux, et cela article par article, comme un homme qui fait semblant d’avoir de l’ordre.

Je ne savais pas que IV et V[1] vous manquassent : vous les aurez par la première occasion ; mais vous n’aurez pas sitôt ni Pelopides, ni mademoiselle Lenclos[2], ni Sophonisbe.

C’est une terrible chose qu’une colonie ; je n’aurais pas conseillé à Sophocle d’en établir ; et je suis devenu, de plus, si questionneur, que je n’ai fait que des Questions depuis deux mois.

Je répondrai à la question de votre ami : Pourquoi les Guèbres et Sophonisbe ne sont-ils pas dans le recueil ? C’est que ces ouvrages n’étaient pas encore faits quand le marquis[3] imprimait mes facéties théâtrales sans consulter ni le prince ou son frère, ni moi ; et ce qui vous étonnera, c’est que je n’ai pas vu une page de son édition.

Je suppose que Mlle Daudet est auprès de Mme de Strogonof. En ce cas, elle est avec la personne la plus riche de la Russie. Si c’est Mme Stagarof, comme vous l’écrivez, je ne la connais pas. Tout ce que je sais, c’est que je suis au désespoir d’avoir été inutile à Mlle Daudet.

J’ai encore un petit mot à dire pour M. le marquis de Monteynard. J’ai retrouvé le mémoire qu’il avait la bonté de me demander, et je le lui ai envoyé accompagné d’un autre que j’ai présenté hardiment à tous les juges. Dans ce nouveau mémoire[4], j’ai l’insolence de proposer de faire une loi générale sur la mainmorte, et d’abolir cet usage, qui jure avec le nom de France, et surtout avec celui de Franche-Comté. J’ose indiquer un moyen de dédommager les seigneurs en augmentant un peu les redevances, et en rendant les vassaux libres : je prends même la liberté d’ajouter que ce règlement mettrait le comble à la gloire du ministère. Monsieur le chancelier a poussé la bonté jusqu’à m’écrire à ce sujet. J’espère beaucoup. Je mourrai heureux si je puis avoir contribué à briser les fers de plus de deux cent mille sujets du roi c’est un de mes rêves.

Je viens à présent à l’article des montres. M. Le Gendre[5], de Versailles, comme je vous l’ai mandé[6], doit vous en remettre une, ou à Mme d’Argental. M. le baron Duben, seigneur suédois, en a trois autres qu’il doit remettre à Mme d’Argental ou à vous. Il n’en reste plus qu’une qu’on ne tardera pas à vous envoyer. Je ne savais pas que de ces cinq montres il y en eût une nommément pour M. de Thibouville. Je croyais que c’était une commission qu’il donnait pour une autre personne.

Il ne me reste qu’à vous parler de l’abbé, mon historien. Je lui ai écrit[7] ; je l’ai invité à venir chez moi : j’ignore s’il a reçu ma lettre.

Voilà tous les articles traités sommairement. Celui de la santé de Mme d’Argental est le plus intéressant.

Mme Denis et moi, nous nous mettons tous deux à l’ombre des ailes de nos anges.

Ne nous oubliez pas auprès de votre ami.

  1. Des Questions sur l’Encyclopédie.
  2. Le Dépositaire, comédie dont Ninon est le principal personnage ; voyez tome VI, page 391.
  3. Sobriquet par lequel Voltaire désignait Cramer le jeune.
  4. Ce doit être l’écrit intitulé Coutume de Franche-Comté ; voyez tome XXVIII, page 371.
  5. Beau-frère de Hennin.
  6. Cette lettre manque.
  7. Lettre 8389.