Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8370

Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 512).
8370. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
17 septembre.

Madame, me trompé-je cette fois-ci ? Une flotte tout entière de mes amis les Turcs, réduite en cendres dans le port de Lemnos ! le comte Alexis Orlof maître de cette île ! c’est ce qu’on me mande de Venise. Ces nouvelles retentissent dans les échos des Alpes, et nous répétons les noms de Votre Majesté impériale et du comte Orlof. Il me semble que c’est à peu près dans le même temps qu’une autre flotte fut consumée dans cette mer l’année passée ; voilà un bel anniversaire. On voit bien que Lemnos était en effet l’île de Vulcain ; ce dieu brûle vos ennemis.

Ah, Moustapha ! Moustapha ! Eh bien ! Votre Hautesse se jouera-t-elle encore à mon impératrice ? lui ordonnerez-vous de vider sans délai la Podolie ? trouverez-vous fort impertinent qu’elle n’ait pas obéi aux ordres de votre sublime Porte ? mettrez-vous encore ses ministres en prison ? Voilà mon auguste souveraine en possession de votre Tartarie-Crimée, maîtresse de tous vos États au delà du Danube, maîtresse de toute votre mer Noire. Vous n’êtes point galant, Moustapha ; vous deviez venir lui faire la cour, et baiser ses belles mains, au lieu de lui faire la guerre. Croyez-moi, demandez-lui très-humblement pardon ; c’est ce que vous avez de mieux à faire.

Savez-vous bien, monsieur Moustapha, que mon héroïne, occupée continuellement à vous battre, trouve encore le temps de m’écrire des lettres pleines d’esprit et de grâces ? vous douteriez-vous, par hasard, de ce que signifient ces mots grâces et esprit ? Elle a daigné me mander, du 22 juillet-2 auguste, qu’on lui aurait l’obligation d’une carte géographique de la Crimée ; on n’en a jamais eu de passables jusqu’à présent ; vous n’êtes pas géographes, vous autres Turcs vous possédez un beau pays, mais vous ne le connaissez pas. Mon impératrice vous le fera connaître.

Savez-vous seulement où était le paradis terrestre ? Moi, je le sais. Il est partout où est Catherine II ; prosternez-vous avec moi à ses pieds.

Donné à Ferney, le 3 de la lune de Schewal.