Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8346

Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 491-492).
8346. — À CATHERINE II,
impératrice de russie
7 auguste.

Madame, est-il bien vrai ? suis-je assez heureux pour qu’on ne m’ait pas trompé ? Quinze mille Turcs tues ou faits prisonniers auprès du Danube, et cela dans le même temps que les troupes de Votre Majesté impériale entrent dans le Pérécop ! Cette nouvelle vient de Vienne ; puis-je y compter ? mon bonheur est-il certain ?

Je veux aussi, madame, vous vanter les exploits de ma patrie. Nous avons depuis quelque temps une danseuse excellente[1] à l’Opéra de Paris. On dit qu’elle a de très-beaux bras. Le dernier opéra-comique[2] n’a pas eu un grand succès, mais on en prépare un qui fera l’admiration de l’univers ; il sera exécuté dans la première ville de l’univers par les meilleurs acteurs de l’univers.

Notre contrôleur général[3], qui n’a pas l’argent de l’univers dans ses coffres, fait des opérations qui lui attirent des remontrances et quelques malédictions.

Notre flotte se prépare à voguer de Paris à Saint-Cloud.

Nous avons un régiment don a fait la revue ; les politiques en présagent un grand événement.

On prétend qu’on a vu un détache de jésuites vers Avignon, mais qu’il a été dissipé par un corps de jansénistes qui était fort supérieur : il n’y a eu personne de tué ; mais on dit qu’il y aura plus de quatre convulsionnaires d’excommuniés.

Je ne manquerai pas, madame, si Votre Majesté impériale le juge à propos, de lui rendre compte de la suite de ces grandes révolutions.

Pendant que nous faisons des choses si mémorables, Votre Majesté s’amuse à prendre des provinces en terre ferme, à dominer la mer de l’Archipel et sur la mer Noire, à battre des armées turques. Voilà ce que c’est que de n’avoir rien à faire, et de n’avoir qu’un petit État à gouverner.

Je n’en suis pas moins attaché à Votre Majesté impériale avec un profond respect, et un inviolable dévouement qui ne finira qu’avec ma vie.

Le vieux Malade de Ferney.[4]

  1. Mlle Dervieux ; voyez lettre 8039.
  2. Les Jardiniers, paroles de Davesne, musique de Prudent, joués le 15 juillet 1771.
  3. L’abbé Terray.
  4. Il y a ici, dans Beuchot, une lettre à Thieriot que nous avons placée à l’année précédente ; voyez page 167.