Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8243

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 387).
8243. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT[1].
13 mars.

J’apprends, monsieur, avec une extrême douleur la perte que vous avez faite, et je me console dans la certitude que vous la réparerez. Je témoigne à Mme Dix-neuf ans ma sensibilité et mes regrets. Je suis constant dans mes passions. Mon attachement pour l’homme que vous savez[2] ne se démentira jamais. Je serais un monstre d’ingratitude si je n’étais pas pénétré pour lui d’une reconnaissance que personne ne peut blâmer. Je suis persuadé qu’il approuve la pièce en six actes[3] qui m’a tant charmé. Je ne sais pas encore si elle réussira entièrement ; mais je la regarderai toujours comme le plus bel ouvrage qu’on ait fait en France depuis plusieurs siècles. Mon suffrage est bien peu de chose ; mais il ne peut être suspect : c’est celui d’un vieillard aveugle, goutteux et mourant, qui n’a plus rien à dissimuler.

Je suis bien aise que vous soyez content de votre montre. J’ai peur qu’elle ne soit pas encore bien réglée ; cela demande quelquefois du temps. Il s’agit de tourner connue il faut l’aiguille de la spirale ; souvent même il faut l’enlever pour la replacer. C’est une opération fort délicate. Chaque art a ses finesses. À l’égard du prix, Dufour et Ceret[4] m’ont dit qu’il n’était que de 650 livres. Cela m’a paru très-bon marché. Vous payerez ces bonnes gens a votre commodité ; et, si Vous voulez le permettre, on tirera sur vous quand votre quartier sera fini, au 1er avril, une lettre de change de pareille somme.

Je voudrais bien pouvoir aussi vous envoyer par la poste ces Questions sur l’Encyclopédie ; mais cela n’est pas aisé.

Le vieux malade du mont Jura vous embrasse de tout son cœur.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Choiseul.
  3. La création de six conseils.
  4. Directeurs de la manufacture de montres, à Ferney.