Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8230

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 373).
8230. — À MESSIEURS DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE.
À Ferney, 4 mars.

Messieurs, permettez-moi de vous soumettre une idée dans laquelle j’ose me flatter de me rencontrer avec vous. Rempli de la lecture des Géorgiques de M. Delille, je sens tout le mérite de la difficulté si heureusement surmontée, et je pense qu’on ne pouvait faire plus d’honneur à Virgile et à la nation. Le poëme des Saisons et la traduction des Géorgiques me paraissent les deux meilleurs poëmes qui aient honoré la France après l’Art poétique. Vous avez donné à M. de Saint-Lambert la place qu’il méritait à plus d’un titre ; il ne vous reste qu’à mettre M. Delille à côté de lui. Je ne le connais point ; mais je présume, par sa préface, qu’il aime la liberté académique, qu’il n’est ni satirique ni flatteur, et que ses mœurs sont dignes de ses talents.

Je me confirme dans l’estime que je lui dois, par la critique odieuse et souvent absurde qu’un nommé Clément a faite de cet important ouvrage, ainsi que du poëme des Saisons. Ce petit serpent de Dijon s’est cassé les dents à force de mordre les deux meilleures limes que nous ayons.

Je pense, messieurs, qu’il est digne de vous de récompenser les talents, en les faisant triompher de l’envie. La critique est permise, sans doute ; mais la critique injuste mérite un châtiment, et sa vraie punition est de voir la gloire de ceux qu’elle attaque.

M. Delille ne sait point quelle liberté je prends avec vous. Je souhaite même qu’il l’ignore, et je me borne à vous faire juges de mes sentiments, que je dois vous soumettre.

J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, etc.