Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8170

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 318-319).
8170. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
9 janvier.

Je ne crois pas, mon cher Baron[1], que Mme Denis vous ait encore écrit ; mais moi, je vous écris, quoi que vous en disiez, et c’est pour vous dire que je vous ai envoyé une Sophonisbe de M. Lantin ; que s’il faut encore quelques vers, ils sont tout prêts ; mais que je doute fort qu’on joue cette pièce.

Les Pelopides de M. Durand[2] seraient plus faits pour la nation ; il y a là une petite pointe d’adultère qui ne réussirait pas mal ; il y a même un inceste assez galant et très-honnête ; on ne peut pas faire un enfant avec un beau-frère avec plus de modestie. La vengeance est dure, je l’avoue ; mais cela se pardonne dans un premier mouvement.

Un des malheurs de Crébillon (et ses malheurs sont innombrables), c’était de se venger après vingt ans de cocuage, et de se venger par plaisir, comme on fait une partie de chasse. M. Durand a mis beaucoup de nouvelles nuances à son enseigne à bière ; il a fait un cinquième acte tout battant neuf. Il a prié M. d’Argental de lui renvoyer toute l’ancienne copie ; il vous en fera tenir une autre incessamment. Il faut, s’il vous plaît, le plus profond secret.

Il ne serait pas mal de savoir de M. d’Argental si on pourrait faire jouer cela pour le mariage[3], en s’adressant à M. le duc de Duras.

Voilà le sommaire de tous les articles. Pressez-vous de me répondre ; car je me meurs, et je veux savoir à quoi m’en tenir avant ma mort. Ma dernière volonté est que je vous aime de tout mon cœur.

  1. Allusion à l’acteur de ce nom. (K.) — Voyez la note, tome XXXVII, page 148.
  2. C’était sous ce nom que Voltaire avait eu l’idée de faire jouer les Pélopides ; voyez tome VII, page 101.
  3. Du comte de Provence, depuis Louis XVIII.