Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8145

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 303-304).
8145. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
26 décembre.

En attendant, madame, que les metteurs en œuvre me donnent les instructions précises sur vos chaînes de montres ; en attendant que je puisse vous dire pourquoi on ne monte jamais en or les chaînes qui sont entièrement de marcassites, je vous dirai un petit mot du jeune metteur en œuvre dont vous avez reçu probablement cinq pierres[1] fausses par M. le duc de Praslin.

Je lui ai fait enfin comprendre que son cinquième acte ne valait rien du tout. Je lui ai dit : « Vous croyez, parce que vous êtes jeune, qu’on peut faire une bonne tragédie en onze jours ; vous verrez, quand vous serez plus mûr, qu’il en faut quinze pour le moins. » Il m’a cru, car il est fort docile. Il a fait sur-le-champ un nouveau cinquième acte, qu’il met sous les ailes de mes anges.

Tout cela était assez difficile, car ce pauvre enfant n’avait à mettre, dans toute sa pièce, que du sentiment. Point d’aventure romanesque, point de fils de Thyeste amoureux d’une jeune inconnue trouvée sur le sable de la mer, et qui est reconnue enfin pour sa sœur ; point de galimatias : il n’était soutenu par rien ; il fallait que, pour la première fois, une honnête femme avouât à son mari qu’elle a un enfant d’un autre, et cela sans faire rire.

Il fallait qu’une bonne mère s’offrît pour prendre soin de l’enfant sans faire rire aussi, et qu’Atrée fût un barbare sans être trop révoltant.

Encore une fois, il y avait du risque ; mais mon jeune metteur en œuvre croit avoir marché sur ces charbons ardents sans se brûler ; il croit même avoir parlé au cœur, dans un ouvrage qui ne semblait susceptible que de faire dresser les cheveux à la tête.

Voici les éclaircissements des metteurs en œuvre. Nous souhaitons une quantité prodigieuse de bonnes années à nos anges.

  1. Les Pelopides, tragédie en cinq actes, tome VII, page 101.